La vengeance d'une jeune femme, Sylvie Rousseau (Sandrine Bonnaire), lointaine descendante d'Électre (Rivette et ses scénaristes se sont en partie inspirés de la pièce de Giraudoux), qui n'hésite pas à se substituer à son frère (Grégoire Colin), et à s'opposer à sa mère (Geneviève/Françoise Fabian), afin de faire la lumière sur la mort de son père. Celui-ci, des années auparavant, s'est apparemment suicidé en se défenestrant d'un train. L'enquête de Sylvie l'amène à affronter l'ancien associé de son père, Walser (Jerzy Radziwilowicz), qui semble détenir la clef de l'énigme, et surtout à remonter dans le passé de sa famille. Sylvie va découvrir que Walser, qui fut autrefois l'amant de sa mère, s'est en quelque sorte substitué à elle pour venger sa petite soeur, Élizabeth, morte une quinzaine d'années auparavant. Sacrifiée à l'ambition de leur père, qui alla jusqu'à vendre sa fille pour signer un contrat, Élizabeth s'est suicidée. Walser, lui, a pris sur lui la vengeance de Geneviève qu'elle n'osait pas accomplir elle-même. Mais la découverte de la vérité, loin de soulager ou de sauver Sylvie, la perd. Au cours de son enquête, elle est amenée à tuer la maîtresse de Walser, une jeune femme qui, tel le fantôme de l'héroïne de Vertigo, revient dans la dernière partie du film en la personne de sa soeur jumelle. C'est cette dernière qui aura le dernier mot, en tuant accidentellement Sylvie, qui s'effondre dans le dernier plan.
On a l'habitude de nommer le plan de travail de tout un film, l'agencement couché sur papier de ses séquences, de la première à la dernière, un chemin de fer. Et Secret Défense est, des films de Rivette, celui qui prend à la lettre ce cheminement, de station en station. Tout d'abord en creusant au centre même du film un long moment en creux, qui est aussi la part de bravoure et l'un des trajets filmés "presque en temps réel" qui comptent parmi les plus beaux de toute l'histoire du cinéma : Sylvie (Sandrine Bonnaire) prend le métro Gare d'Austerlitz, descend Quai de la Rapée, (premier voyage filmé in extenso, en un plan séquence), traverse une station, marche à travers les couloirs de la gare, entre dans un TGV, s'assoit, va boire un verre au bar, et descend à Chagny, en Bourgogne. Chemins de fer, donc. En lequel Rivette croit (il y croit même dur comme fer), suffisamment en tout cas non seulement pour faire de cette séquence légendaire le pari esthétique (où son sens du temps rejoint quelques uns de ses maîtres : le Louis Feuillade de Fantômas, en premier lieu) du film, son bras de fer, mais aussi pour que s'y joue une large part de la transformation de son héroïne : l'adolescente attardée, vieille jeune fille un peu triste, effacée, qui prend le train à Paris n'est plus, le temps d'une trajectoire toute en transformation, la même à son arrivée à Chagny. Celle qui descend du TGV est une femme, une adulte, c'est-à-dire quelqu'un qui est en âge de demander des comptes à ses pères. La grande beauté de Secret Défense, son côté "langien", angoissant, qui marque indélibilement son spectateur, sa beauté hantée, c'est précisément ce défi de la part de Rivette de s'emparer du roman familial pour en livrer un film mystérieux par l'impression physique très forte qu'il procure. On a pu dire que c'était, de tous les Rivette, et après les "bressoniens" Belle Noiseuse et les deux Jeanne, celui qui effectuait un aller-retour émouvant vers le cinéma classique, presque hollywoodien, du moins le plus fidèle à la cinéphilie de Rivette, et à ses maîtres anciens qu'étaient Fritz Lang (celui du Secret derrière la porte), Alfred Hitchcock (celui de La Mort aux trousses), et Charles Laughton de La Nuit du chasseur. En prenant la vérité nord par nord-ouest, apparemment pour enquêter sur la mort de son père, sur la disparition prématurée de sa soeur, et sur la piste que croit avoir débusquée son frère, Sylvie, à l'instar de Rivette, regagne les rives de ses origines, rouvre la porte d'un lourd manoir (la maison-cinéma ?) et n'envisage d'en revenir que solde de tous comptes (secrets percés, secrets compris). Secret Défense n'intervient pas par hasard dans la filmographie de Rivette : après le sévère échec public de Jeanne, il s'affiche clairement comme un film plus sombre, introspectif, défensif, manière pour le cinéaste comme pour son personnage de se soigner, tentant d'approcher au plus près d'un secret : ici, celui d'une famille de cinéastes.
Pascal Bonitzer, Libération, 18 mars 1998, entretien avec Marcus Rothe
« Rivette avait pensé à Électre, car sa "tragédienne" Sandrine Bonnaire découvre un meurtre dont elle doit assumer la vengeance. À cause de ses racines policières, la structure n'était pas aussi ludique et lâche que dans les autres films de Rivette. Mais jusqu'au premier jour du tournage, Jacques a tenu à ce que la fin reste ouverte pour se réserver les marges d'un jeu d'improvisation. (...) Dans Secret Défense, la durée même crée la substance et la beauté du film. Ce rien cache une charge émotionnelle très puissante. Rivette s'est inspiré de Vertigo, car Hitchcock pense la durée. On s'angoisse de ce qu'on sait qui va arriver. Le spectateur hitchcockien doit s'identifier aux protagonistes qui cherchent une vérité. La valeur du film repose sur le temps de cette enquête. Dans ce sens, Rivette est plus proche de Hitchcock que les films d'action qui enchaînent des moments spectaculaires. »
Scénario : Pascal Bonitzer, Emmanuelle Cuau, Jacques Rivette.