En quatrième vitesse

1955

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Genre : Film noir

(Kiss me deadly). Avec : Ralph Meeker (Mike Hammer), Maxine Cooper (Velda), Wesley Addy (Lt. Pat Murphy), Cloris Leachman (Christina Bailey), Gaby Rodgers (Lily Carver), Mort Marshall (Ray Diker), Marian Carr (Friday), Albert Dekker (Dr. Soberin), Paul Stewart (Carl Evello), Jack Lambert (Sugar Smallhouse). 1h46.

dvd

Une nuit, le détective privé Mike Hammer prend en stop une jeune femme blonde, Christina, que la police recherche pour s'être échappée d'un asile psychiatrique. Elle est absolument terrifiée : elle dit avoir été séquestrée, ses vêtements jetés pour qu'elle ne puisse échapper à ses mystérieux geôliers. Elle irrite Mike par ses remarques sur sa voiture et sa vanité masculine mais craint de ne pas arriver vivante à Los Angeles. C'est alors qu'une voiture surgit de nulle part et oblige Mike à s'arrêter. Les hommes qui en sortent l'assomment. Mike ne peut qu'assister à la fin de la torture à mort de Christina. Il est réinstallé avec elle dans sa voiture qui est jetée du haut d'une falaise.

Mike se réveille à l'hôpital où Velda, sa secrétaire et fiancée ainsi que son ami, le policier Pat Murphy, ont veillé sur lui durant trois jours. Quinze jours plus tard, à sa sortie de l'hôpital, Mike est interrogé par une commission d'enquête criminelle venue toute spécialement de Washington. La commission est irritée par son refus de répondre sur les circonstances de l'accident alors qu'il n'est qu'un minable détective pour dossiers de divorce. Intrigué, par l'ampleur de cette affaire, Mike décide de mener seul son enquête.

Nick, son garagiste, lui apprend que sa voiture est irrécupérable mais aussi que des types inquiétants sont à sa recherche. Velda l'informe que Ray Dicker, un journaliste scientifique, a cherché à la joindre. Pat vient à titre officiel lui retirer sa licence de détective et son permis de port d'arme. Nick se rend chez Dicker non sans avoir violemment cogné un gangster qui le prenait en filature.

Dicker, brulé au visage est terrifié et lui donne néanmoins l'adresse de Christina, 325 Bunker Hill. Là Mike découvre les sonnets de Christina Gorgina Rossetti (1830-1894) et un vieux déménageur lui donne l'adresse de Lily Carver, sa colocataire qu'il a aidé à déménager précipitamment. Celle-ci l'attend un revolver à la main et lui confirme la paranoïa de plus en plus grande de Christina, effrayée par la police et des gangsters. Rentré chez lui, Mike écoute les gangsters lui proposer de s'en tenir là et lui offrent une nouvelle Jaguar en signe de leur bonne foi. Le lendemain, Mike trouve une bombe puis deux dans la superbe Jaguar.

Velda l'informe que deux amis de Christina sont récemment morts dans un accident de la route, Raymondo et Kawolsky, un jeune boxeur. Le chauffeur de camion qui a écrasé ce dernier pense qu'il a été poussé sous ses roues. Son manager terrorisé par deux gangsters de Carl Evello ne veut rien lui dire. Quand Mike se rend chez lui il est accueilli par la jolie Friday, la demi-sœur de Carl. Mike tabasse l'un des gangsters et l'autre en est si effrayé que Carl est obligé de le recevoir. Mike se rend ensuite chez Carmen Trivago, l'ami de Raymondo assassiné qui lui apprend que celui-ci cachait quelque chose de petit.

Mike ramène Lily qui semble effrayée chez lui puis repasse au garage de Nick qu'un gangster vient de tuer en déplaçant un cric pour l'écraser sous la voiture qu'il réparait. Il rend visite à Velda. Celle-ci a rencontré un ami de Dicker, un collectionneur d'art, qui lui a parlé du docteur Soberin. Elle propose d'être gentille avec lui pour obtenir de l'information. Le soir, Mike se saoule dans son bar favori où un homme vient le prévenir que Velda a été enlevé. Mike retourne au garage où Christina avait déposé une lettre. Le garagiste se souvient qu'elle était adressée à...Mike. Il retourne chez lui trouve la lettre avec ces quatre mots "Souvenez-vous de moi" puis est enlevé à son tour.

L'homme aux mocassins lui administre du penthotal, le sérum de vérité. Carl vient l'interroger mais Mike réussit à le maitriser et le fait tuer par Sugar avant de tuer celui-ci et de s'enfuir en voiture. De retour chez lui, il lit le poème de Christina... "Mais si obscurité et corruption laissent un vestige de nos pensée d'autrefois". A la morgue, il en déduit que, puisqu'elle est morte, elle a dû cacher quelque chose sur elle d'assez petit pour l'avaler. Le médecin légiste tente d'extorquer une grosse somme d'argent à Mike qui lui brise les doigts sur son tiroir. La clé qu'elle avait avalée est marquée CAH (HAC en anglais). Mike se rend au Club d'Athlétisme d'Hollywood (Hollywood Athletic Club) ou la clé ouvre le vestiaire de Raymondo. Il y découvre une mallette, qui le cuir une fois ôté s'avère brulante. En l'entrouvrant, il se brule le poignet. Lily Carver a disparu de la voiture et, quand il rentre chez lui, Pat lui apprend que la vraie Lily Carver, la colocataire de Christina, est morte depuis plus d'une semaine. En découvrant la brulure de Mike il lui révèle que l'affaire est liée au projet Manhattan, à Los Alamos, à Trinity.

Mike rend de nouveau visite à Diker qui lui révèle le nom de l'ami qu'il avait fait rencontrer à Velda, William Mist. Chez celui-ci, Mike trouve les somnifères du docteur Soberin. La permanence téléphonique de médecin lui indique qu'il doit être dans sa maison de bord de mer.

En effet, dans sa maison de bord de mer, Soberin discute avec la fausse Lili qui se nomme Gabrielle. Il lui dit qu'elle devrait s'appeler Pandore et que la boite pourrait la transformer en femme de Loth, la changer en statue de sel car la boite contient la tête de Méduse et quiconque la regardera ne sera pas changé en pierre mais en soufre et en cendres. Comme il refuse de l'ammener avec lui, Gabrielle l'abat d'un coup de revolver. Incrédule et mourant, Soberin lui demande de l'écouter comme s'il était Cerbère aboyant de toutes ses têtes aux portes de l'enfer. Il la supplie de ne pas ouvrir la boite. Surgit alors Mike, que Lily abat sans plus de façon non plus tant elle est pressée d'ouvrir la boite. En l'ouvrant, elle libère le feu nucléaire qui la brûle vivante et détruit la maison. Mike n'était que blessé. Il libère Velda et s'échappe avec elle vers la plage, tandis que la maison est la proie des flammes.

Après les succès en 1954 de Bronco Apache et Vera Cruz, tous deux initiés par Burt Lancaster, Robert Aldrich accepte la proposition du producteur Victor Saville d'adapter le best-seller de Mickey Spillane à condition de traiter son héros, Mike Hammer, comme il l'entend. Coproducteur du film, Aldrich confie à son scénariste A.I. Bezzerides le soin de forcer le trait sur le côté névropathe de Hammer, cynique et détaché de tout sauf de sa propre vanité. Bezzerides, transpose l'action de New York à la côte ouest et transforme le grand sac plein de drogue du roman en une fameuse boite qui a quelque chose à voir avec le nucléaire. Film noir violent et sexy, parsemé de vamps et de cadavres, thriller totalement paranoïaque, au rythme effréné et au dénouement effrayant, En quatrième vitesse est rapidement salué par les meilleurs critiques et élevé au rang de film culte.

Mike Hammer, détective

Christina le juge d'amblée : "Vous n'avez qu'un seul amour vrai et durable, vous. Vous êtes de ces hommes complaisants qui ne pensent qu'à leurs vêtements, à leur voiture, à eux-mêmes". Elle devine qu'il fait des pompes... "Dans une relation, vous prenez, vous ne donnez jamais"

La commission d'enquête criminelle venue toute spécialement de Washington, irritée par son refus de répondre sur les circonstances de l'accident le renvoie à son minable métier de détective pour dossiers de divorce. Alors que sa secrétaire Velda recherche son amour il la contraint à coucher avec des clients pour obtenir des preuves d'adultère. Elle el prévient vainement "D'abord tu trouves un fil conducteur, qui te conduit à une ficelle et la ficelle t'amènera à une corde. Et c'est au bout de cette corde que tu te balanceras".

Aldrich dote son héros d'un intérieur ultra moderne au 10401 Wilshire Boulevard. Répondeur enregistreur, tableaux et statues décorent son appartement.

Une série d'à-coups violents pour un polar métaphysique

Les vingt plans du prégénérique sont très connus et donnent le ton du film accompagnés des halètements de la femme qui court et retrouve difficilement sa respiration :

(1) Les pas d'une femme qui courent le long des pointillés centraux d'une route, (2) un court plan rapproché taille puis (3) un plan large d'elle sur la route s'approchant en plan rapproché épaule, le regard fixé vers une voiture qui ne s'arrête pas. (4) Reprise brève des pas, (5) du plan général se terminant en plan rapproché épaule avec, cette fois la vision de la voiture qui ne s'arrête pas. (6) De nouveau, pour la troisième fois, les pas sur la route. (7) Un plan plus bref de l'avancée de la femme vers la caméra. (8) Les phares de la voiture de Mike Hammer. (9) Plan large de la jeune femme courant (10), plan large de la voiture s'approchant à grande vitesse de la femme sur la route, (11) plan serré sur elle, (12) sur lui freinant. (13) La voiture stoppe. (14) Elle le regarde, (15) il la regarde en colère, (16) elle le regarde. (17) Elle s'approche de la voiture qui peine à démarrer. (18) Il lui dit de monter. (19) Elle fait le tour de la voiture. (20) La voiture démarre. Sur le plan 21, lui et elle de dos avec la route devant eux, défile le générique à l'envers (du haut vers le bas, nous obligeant à le lire de bas en haut).

Toutes les séquences du film sont remarquables, déjouant sans cesse l'attente du spectateur. Depuis la voiture qui surgit de nulle part, la torture à mort de Christina évoqué par ses pieds et ses cris puis une tenaille tenue à mi-corps par des tortionnaires dont on ne voit pas le visage. Mike Hammer placé dans la voiture devrait mourir lorsqu'elle est jetée de la falaise. Dans le roman, il est clairement dit qu'il parvient à s'en extraire et s'accrocher à un arbre. Ici la voiture dévale et se retrouve en feu. La séquence se termine par un fondu au noir et l'inspecteur lui dit à son réveil qu'on ne l'a pas revu depuis trois jours. Cette allusion possible à la résurrection du Christ est renforcée par le fait que lorsqu'il va voir Nick son copain garagiste, celui-ci évoque la résurrection de Lazare.

La violence ne cessera ensuite d'être omniprésente, le violent tabassage du gangster qui suit Mike est suivi d'une seconde raclée qu'il lui inflige le précipitant en bas d'un escalier. Ensuite lorsque Sugar tente de le frapper dans la villa de Carl Evello c'est hors champ qu'à lieu la réaction de Hammer qui effraie celui qui accompagne Sugar sans que l'on sache pourquoi. On comprendra dans une scène suivante que Hammer s'est servi d'une redoutable petite matraque.

Cette violence ne cesse ainsi d'être en adéquation avec les références mythiques du film, celle de la religion catholique mais aussi de la mythologie avec les références à Pandore ou la femme de Loth, femme transformé en sel ou la tête de méduse dont ceux qui la regardent seront transformés non en sel mais en feu et en cendre. Le Dr. Soberin, avant de mourir, supplie Lily de ne pas ouvrir la boite en ces termes : Je suis tel Cerbère aboyant de toutes ses têtes aux portes de l'enfer....

L'enfer c'est bien évidemment le feu nucléaire. Les dialogues évoquent "le projet Manhattan, Los Alamos. Trinity". La fin n'est certes pas l'apocalypse nucléaire comme on l'a trop vite dit. Mike et Velda échappent à la destruction de la maison en se réfugiant dans la mer. Mais le feu est lâché et le son fait par le feu nucléaire évoque le mal diabolique avec lequel l'humanité va devoir faire face. Peut-être est-ce la marque du monde contemporain. Le chef de la bande, le Dr. Soberin exprime cette possibilité pour le sentiment d'éclore au milieu de la plus extrême violence : "Que cherchons nous, des diamants, des rubis de l'or, se stupéfiants peut-être. Comme cette terre était civilisée ! Mais le monde devenant plus primitif, ses trésors deviennent plus fabuleux !" Il dit enfin en conclusion face à l'égoïsme monstrueux de Hammer : "Peut-être le sentiment triomphera-t-il là où l'avidité a échoué. Vous mourrez, mais votre amie, vous pouvez la sauvez".

Ni Nihilisme ni apocalypse donc mais la conscience d'un monde devenu d'une violence extrême où le sentiment ne peut éclore que par bouffées.

Jean-Luc lacuve le 20/11/2013

Test du DVD

Editeur : Carlotta-Films. Novembre 2013. Nouveau master restauré haute définition. V. O. s.-t. Français. 2DVD : 17 €. Blu-ray : 20 €.

Suppléments : DÉSINTÉGRATION (23 mn) Comment Robert Aldrich a transcendé le film noir avec En quatrième vitesse, par Philippe Rouyer, critique de cinéma et enseignant à l’Université Paris I. MIKE HAMMER, L’HOMME AUX MILLE VISAGES (28 mn) Larry Cohen, créateur de la série Les Envahisseurs, se remémore les adaptations au cinéma et à la télévision des aventures de Mike Hammer, notamment J’aurai ta peau dont il a écrit le scénario. FIN CONTROVERSÉE. BANDE-ANNONCE.