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(1840-1926)
Impressionnisme

 

1 - Les styles picturaux de Claude Monet

Claude Monet est à l'origine de l'impressionnisme lorsqu'il peint en 1869, avec Auguste Renoir, une série de toiles aux abords du restaurant de La Grenouillère. Il inaugure un nouveau style en peignant en plein air et utilisant plus systématiquement une touche fragmentée et juxtaposée de couleur souvent pure.

Après un séjour à Londres pour fuir la guerre en 1870 puis un été 1871 aux Pays-Bas, il s'installe à Argenteuil de 1872 à 1877 où il sera le le chef de fil incontesté de l'impressionnisme. Il peint Impression soleil levant (1872) qui marque son goût pour la modernité avec un port en pleine activité industrielle dès le matin. Le tableau donnera involontairement son nom au mouvement de l'impressionnisme. Il participe aux quatre premières expositions du groupe en 1874, 1876, 1877 et 1879. Ces expositions sont cependant des échecs critiques et financiers. Monet, excédé comme Renoir par le peu succès et la présence de Gauguin au sein du groupe, renonce aux expositions des impressionnistes de 1880 et 1881. A partir de cette année là Durant-Ruel lui achète régulièrement des tableaux et sa situation financière s'améliore. Il participe à la huitième et dernière exposition du groupe des impressionnistes dominée par les pointillistes, Seurat et Signac.

Son style a déjà changé. Il peint certes devant le modèle sur l'intégralité de sa toile dès les premières ébauches mais retouche ensuite de nombreuses fois jusqu'à ce que le résultat le satisfasse. Rare sont les exemples de pigments non mélangés dans ses tableaux. Il utilise bien au contraire une méthode sophistiquée de construction des couleurs. Le pigment noir pur est très rarement présent et les tons de terre sont totalement absents. Monet crée des teintes sombres ou atténuées en mélangeant des pigments vifs, qu'il module en modifiant le mélange. Les tons violet foncé sont obtenus en utilisant des quantités substantielles de rouge en en augmentant progressivement la quantité de bleu pour obtenir des ombres bleu verdâtre. Le blanc est utilisé partout où des tons plus clairs sont nécessaires, avec certaines sections peintes, là seulement, avec du blanc de plomb pur. Il affirme néanmoins son attachement à l'impressionnisme alors, qu'aux États-Unis, Durant-Ruel propage le succès de ses toiles.

En 1890, Monet est assez fortuné pour acheter la propriété de Giverny. Il commence alors ses premières séries systématiques, amorcée en 1877 avec les gares saint Lazare. Il saisit la lumière sur des périodes plus vastes du jour comme des saisons les meules (1891), les peupliers (1892) et la cathédrale de Rouen (1892-1894).

En 1893, il achète un terrain adjacent à sa propriété qu'il aménage en jardin d'eau. Il y réalise la série des bassins aux nymphéas dont le pont japonais est le motif principal (1899-1900). Après un voyage à Londres, il réalise une première série de nymphéas (1904-1907) qui connait la consécration en 1909. Alors que le cubisme et le fauvisme constituent l'avant garde, ses toiles élégantes sont presque abstraites tant les reflets dans l'eau y prédominent.

Pourtant, après la clôture de l'exposition de 1909, il s'ensuit une période de près de cinq ans au cours de laquelle l'artiste, épuisé par le travail intense qu'il a mené puis souffrant d'une séquence de tragédies personnelles, ne touche pratiquement plus ses pinceaux. Sa femme Alice meurt en mai 1911 et son fils en février 1914 ; une cataracte dans un œil menace sa vision ; les inondations de la Seine et de l'Epte causent d'importants dégâts à ses précieux jardins.

Il se remet au travail en 1914 et entreprend une seconde série des nymphéas, plus grands, plus sauvages que dix ans auparavant qui en feront un précurseur de l'expressionnisme abstrait de l'après seconde guerre mondiale. Ses travaux culminent avec Les grandes décorations qu'il offre à l'État pour fêter l'armistice et qui ne seront installées à l'Orangerie, selon ses plans, qu'après sa mort en 1926.

Entre temps, il aura réalisé ce qu'il est convenu d'appeler ses "dernières œuvres", qui annoncent le tachisme ou est exaltée la sensation colorée, non pas abstraite mais intensément vécue par l'artiste devant le spectacle vivant et lumineux qui l'accroche et dont il ne veut retenir que la modulation colorée.

 

2 - 85 tableaux célèbres de Claude Monet
La Pointe de la Hève à marée basse 1865 Fort Worth, Kimbell Art M.
L'embouchure de la Seine 1865 Pasadena, Norton Simon M.
La robe verte 1866 Hambourg, Kunsthalle
Le déjeuner sur l'herbe 1866 Moscou, Musée Pouchkine
Le déjeuner sur l'herbe 1866 Paris, Musée d'Orsay
Femmes au jardin 1866 Paris, Musée d'Orsay
Terrasse à Sainte Adresse 1867 New-York , Metropolitan
La charette ou Route sous la neige à Honfleur
1867 Paris, Musée d'Orsay
Madame Louis Joachim Gaudibert 1868 Paris, Musée d'Orsay
Le déjeuner 1868 Paris, Musée d'Orsay
La pie 1869 Paris, Musée d'Orsay
La grenouillère 1869 New-York, Metropolitan
Bains à la grenouillère 1869 Londres, National Gallery
La plage de Trouville 1870 Londres, National Gallery
Hôtel des Roches Noires. Trouville 1870 Paris, Musée d'Orsay
La Tamise et le Parlement 1871 Londres, National Gallery
Moulin à Zaandam 1871 Copenhague, Ny Carls. Gl.
Régates à Argenteuil 1872 Paris, Musée d'Orsay
Le bassin d'Argenteuil 1872 Paris, Musée d'Orsay
Impression, soleil levant 1872 Paris, Musée Marmottan
Les coquelicots à Argenteuil
1873 Paris, Musée d'Orsay
La Seine à Argenteuil 1873 Paris, Musée d'Orsay
Le boulevard des Capucines 1873 Moscou, Musée Pouchkine
Le boulevard des Capucines 1873 Kansas city, Nelson-Atkins
Camille Monet sur un banc de jardin 1873 New-York, Metropolitan
Le Havre : bateaux de pêche sortant du port 1874 Collection privée
Les barques. Régates à Argenteuil 1874 Paris, Musée d'Orsay
Le pont d'Argenteuil, les barques 1874 Paris, Musée d'Orsay
Le déjeuner : panneau décoratif 1874 Paris, Musée d'Orsay
Les déchargeurs de charbon 1874 Paris, Musée d'Orsay
Le train dans la neige. La locomotive 1875 Paris, Musée Marmottan
Champs de coquelicots près d'Argenteuil 1875 New-York, Metropolitan
En promenade près d’Argenteuil 1875 Paris, Musée Marmottan
Femme à l'ombrelle 1875 Washington, N. G.
Les Tuileries 1876 Paris, Musée Marmottan
Camille Monet dans son jardin à Argenteuil 1876 New-York, Metropolitan
La Japonaise, madame Monet en costume... 1876 Boston, Musée des B.-Arts
Un coin de jardin à Montgeron 1876 Saint-Pétersbourg, L'Ermitage
L’Étang à Montgeron 1876 Saint-Pétersbourg, L'Ermitage
La gare Saint-Lazare 1877 Londres, National Gallery
La gare Saint-Lazare 1877 Paris, Musée d'Orsay
La gare Saint-Lazare, arrivée d'un train 1877 Cambridge, Harvard Art M.
Le pont de l'Europe. Gare Saint-Lazare 1877 Paris, Musée Marmottan
La gare Saint-Lazare, les signaux 1877 Hanovre, M. de Basse-Saxe
La rue Montorgueil à Paris 1878 Paris, Musée d'Orsay
La rue Saint-Denis à Paris 1878 Rouen, Musée des B.-A.
Soleil d'hiver à Lavacourt 1880 Le Havre, MuMa
Coucher de soleil sur la Seine 1880 Paris, Petit Palais
La Manneporte, reflets sur l'eau 1885 Caen, Musée des B.A.
Champ de coquelicots près de Giverny 1885 Boston, Musée des b.-arts
Champ de coquelicots, Giverny 1885 Richmond, Virginia MFA
Meule de foin à Giverny 1886 Saint-Pétersbourg, L'Ermitage
Femme à l'ombrelle tournée vers la droite 1886 Paris, Musée d'Orsay
Femme à l'ombrelle tournée vers la gauche 1886 Paris, Musée d'Orsay
La Manneporte près d'Etretat 1886 New York, Metropolitan
La promeneuse 1887 New York, Metropolitan
La barque 1887 Paris, Musée Marmottan
Champ de coquelicots 1890 Saint-Pétersbourg, L'Ermitage
Meules fin de l'été 1891 Paris, Musée d'Orsay
Meule au coucher du soleil 1891 Boston, Musée des b.-arts
Meules au crépuscule 1891 Collection privée
Meule (effet de neige) 1891 Boston, Musée des b.-arts
Effet de vent, série des peupliers 1891 Paris, Musée d'Orsay
Les cathédrales de Rouen peintes en 1892 1892 Paris, New-York, Boston...
Les cathédrales de Rouen peintes en 1893 1893 Paris, New-York, Boston...
Bras de Seine près de Giverny 1897 Paris, Musée d'Orsay
Bras de Seine près de Giverny 1897 Boston, Musée des b.-arts
Le bassin aux nymphéas 1899 Londres, National Gallery
Le bassin aux nymphéas harmonie verte 1899 Paris, Musée d'Orsay
Le bassin aux nymphéas harmonie rose 1899 Paris, Musée d'Orsay
Le bassin aux nymphéas 1899 Moscou, Musée Pouchkine
Le bassin aux nymphéas 1900 Chicago, Musée des b.-arts
Une allée à Giverny 1902 Vienne, Palais du Belvédère supérieur
La Tamise à Charing Cross 1903 Lyon, Musée des B. A.
Waterloo Bridge. Effet de brouillard 1903 Saint-Pétersbourg, L'Ermitage
Les mouettes, Le parlement de Londres
1904 Moscou, Musée Pouchkine
Le Parlement, coucher de soleil
1904 Zürich, Kunsthaus
Les nymphéas 1904 Le Havre, MuMa
Nympheas 1905 Boston, Musée des b.-arts
Nympheas 1907 Boston, Musée des b.-arts
Le Palais Contarini 1908 Saint Gallen, Kunstmuseum
San Giorgio Maggiore au crépuscule 1908 Cardiff, National Museum
Autoportrait 1917 Paris, Musée d'Orsay
Les nymphéas en fleur 1917 Collection privée
Nymphéas et saule 1917 Paris, Musée Marmottan
Le bassin aux nymphéas sans saules 1918 Paris, Musée de l'Orangerie
Le bassin aux nymphéas avec saules 1918 Paris, Musée de l'Orangerie
Le pont japonais 1918 Paris, Musée Marmottan
Le bassin aux nympheas 1919 New York, Metropolitan
Le bassin aux nympheas 1919 Honolulu, Museum of Art
Le bassin aux nympheas 1919 Collection privée
Le bassin aux nympheas 1919 Collection privée
L'agapanthe, triptyque 1920 Cleveland, Saint Louis, Kansas City
Les glycines 1920 Paris, Musée Marmottan
L’allée des rosiers, Giverny 1920 Paris, Musée Marmottan
Le pont japonais 1924 Paris, Musée Marmottan

 

3 - Biographie

Après l'enfance et l'adolescence (1) ; les années d'apprentissage [1862-1868] (2) ; la naissance de l'impressionnisme [1869] (3) ; l'Angleterre et la Hollande [1870-1871] (4) ; la période d'Argenteuil, période impressionniste [1872-1877] (5), Les gares Saint Lazare [1877] (6) ; les années de misère [1878-1882] (7), la découverte de Giverny [1883-1890] (8) ; Les séries des meules, des peupliers et de la cathédrale de Rouen [1891-1894] (9), le jardin d'eau et le pont japonais [1899-1900] (10) ; Nymphéas 1 [1904-1907] (11) ; Venise [1908] (12) ; Dépression et Nymphéas 2 [1909-1917] (13) ; Les grandes décorations [1918-1919] (14) ; Les dernières oeuvres [1920-1926] (15).

Monet nait à Paris le 14 novembre 1840 dans le 9e arrondissement. Il est le second fils d'Adolphe et Louise-Justine Monet. Baptisé sous le nom d'Oscar-Claude à Notre-Dame de Lorette, il est appelé Oscar par ses parents. Il aimera à dire plus tard qu'il est un vrai parisien comme ses grands-parents, tous quatre nés à Paris. La famille, grands-parents paternels compris, s'installe au Havre en Normandie vers 1845, l'année de ses cinq ans. C'est probablement un déménagement décidé sous l'influence de sa tante Marie-Jeanne Lecadre, épouse d'un commerçant havrais qui accueille son beau-frère dans sa maison. On ne possède pas de source sur la nature exacte de l'emploi qu'occupe Adolphe Monet dans sa ville d'adoption.

Le jeune Oscar n'est pas un élève très appliqué selon ses propres dires, mais il apparaît dans les annales du collège havrais qu'il fréquente comme « une excellente nature très sympathique à ses condisciples ». De manière précoce, il développe un goût pour le dessin et il suit avec intérêt le cours d'Ochard, un ancien élève de David. Ses premiers dessins sont des caricatures de personnages (professeurs, hommes politiques) dont Monet « enguirlande la marge de ses livres... en déformant le plus possible la face ou le profil de ses maîtres » selon ses propres termes. Il fait déjà des croquis de bateau et des paysages en « plein air » sur le motif.

Adolescence

En 1857, sa mère décède et il abandonne ses études. Sa tante Lecadre l'accueille et l'encourage à continuer le dessin. Il vend ses caricatures signées O. Monet chez un commerçant spécialisé dans le matériel pour peintres, où expose également Eugène Boudin, ancien associé du propriétaire. Comme Courbet qui "découvrit" Boudin en remarquant à une devanture du Havre des petits paysages de celui-ci, Boudin lui même remarquait ces caricatures amusantes d'un jeune garçon de 15 ans qui ignorait sa vocation. Boudin l'emmena peindre en plein air dans les environs de Honfleur. "Ce fut comme un voile qui se déchire dira plus tard Claude Monet, j'avais compris ce que pouvait être la peinture.. Si je suis devenu un peintre, c'est à Eugène Boudin que je le dois. » Boudin conseille aussi à son jeune comparse à quitter Le Havre pour Paris dans le but d'y prendre des cours et d'y rencontrer d'autres artistes.

En 1861 et 1862, Monet sert dans l'armée en Algérie. Sa tante havraise, Mme Lecadre, accepte de l'en faire sortir s'il prend des cours d'art à l'université. Il quitte donc l'armée, mais n'aime pas les styles traditionnels de peinture enseignés à l'académie.

Les années d'apprentissage

En 1862, il se lie d'amitié avec Johan Barthold Jongkind, et retrouve Eugène Boudin, lors de son séjour à Sainte-Adresse et à Honfleur. De sa période honfleuraise en compagnie de ces deux peintres, Monet conservera un attachement et ils auront une influence essentielle dans la genèse de son art.

La même année, il commence à étudier l'art avec Charles Gleyre à Paris, où il rencontre Pierre-Auguste Renoir avec qui il fonde un mouvement artistique qui s'appellera plus tard impressionniste. Ils ont peint ensemble et ont maintenu une amitié durant toute leur vie. Il se lie également avec le peintre Frédéric Bazille avec qui il entretient une importante correspondance. Le peintre Sisley fréquente aussi l'atelier de Gleyre.

Un de ses modèles, Camille Doncieux, deviendra quelques années plus tard son épouse. Elle lui servit plusieurs fois de modèle, notamment pour La robe verte, présentée avec succès au Salon de peinture et de sculpture de 1866, et surtout Femmes au jardin, peint initialement dans le jardin de Monet vers la fin des années 1860 et acheté 2 500 francs par Frédéric Bazille, toile montrant pour la première fois la lumière naturelle et changeante.

A l'automne 1866, Monet rejoint Gustave Courbet sur la côte normande.

 


1869 : Naissance de l'impressionnisme

Monet réside à Bougival avec Renoir, où tous deux peignent plusieurs fois les bains et le restaurant de La Grenouillère (on peut regrouper leurs toiles par paire, ce qui montre un travail en commun). Ils y utilisent plus systématiquement la touche fragmentée et juxtaposée de couleur souvent pure, qui va devenir synonyme d'impressionnisme.

La grenouillère
Monet, 1869
La grenouillère
Renoir, 1869
 
La grenouillère
Renoir, 1869

L'Angleterre et la Hollande

Le 28 juin 1870, Monet épouse Camille Doncieux, mère de son fils Jean (né en 1867). A l'automne, il fuit la guerre franco-prussienne et se réfugie à Londres. Il fait la rencontre du marchand de tableaux Paul Durand-Ruel qui a une succursale dans la capitale de 1871 et 1875. Durant l'hiver, Monet peint des vues de la Tamise et des parcs de Londres. Il visite la National Gallery et étudie les Turner (1775-1851) qui y sont exposés, notamment dans les œuvres présentant le brouillard de la Tamise. Il rencontre le peintre américain Whistler (1834-1903), également influencé par Turner, avec lequel il se lie d'amitié. Il participe à une exposition de la Society of French Artists organisée par Durand-Ruel. Au printemps 1871 il expose à l’International Exhibition du South Kensington Museum. Monet quitte Londres en mai 1971, rentre à Paris et passe l'été en Hollande.

1872-1877 : La période d'Argenteuil, période impressionniste

En décembre 1871, Monet s’installe à Argenteuil. C'est la période la plus "impressionniste" de la carrière de Monet, tant par les sujets abordés (bords de Seine, série des Gare Saint-Lazare), que par sa technique et son style. Monet plante son chevalet dans la campagne ou dans les jardins de ses maisons. Mais c'est surtout la Seine et le mouvement des embarcations qui retient l'attention du peintre. Sur ses toiles aux couleurs claires et vives, Monet montre une parfaite maîtrise de la technique de la fragmentation de la touche dans le jeu des vibrations lumineuses.

Sa demeure, décorée d’éventails japonais, évoque celle de Whistler à Chelsea. Il participe à plusieurs expositions de la Society of French Artists de Londres. Les œuvres de Whistler sont présentées avec les siennes lors des cinquième, sixième et septième expositions, fin 1872, été 1873 et fin 1873.

En avril-mai 1874, Monet prend, avec Edgar Degas, la tête de la première exposition de la Société anonyme des artistes peintres, sculpteurs et graveurs que l'on nommera plus tard Première exposition impressionniste.

Monet y présente sept pastels et cinq tableaux : Le déjeuner, Les coquelicots, Le Havre : Bateaux de pêche sortant du port, Le Boulevard des Capucines et Impression, soleil levant. La manifestation n'a pas le succès attendu par les peintres et un grand nombre de comptes-rendus sont assez hostiles, particulièrement celui provenant du critique Louis Leroy du Charivari qui, inspiré par l'intitulé du tableau Impression, soleil levant, se sert du mot "impression" pour se moquer du style des exposants.

La proximité d'Argenteuil et de Paris, permet à Monet de s'y rendre fréquemment en train. Il peint notamment une suite de seize paysages enneigés durant l’hiver 1874-1875 près d'Argenteuil.

Monet participe à la deuxième exposition impressionniste (1876) qui ne rencontre pas plus de succès que la première. Il y est, avec Auguste Renoir, le second contributeur derrière l'encombrant Ludovic-Napoléon Lepic Avec 18 oeuvres présentée dont Bains à la Grenouillère, Le pont d'Argenteuil, Le déjeuner, La femme à l'ombrelle, La Japonaise ( La promenade et Japonerie dans le catalogue).

La série des Gare Saint-Lazare

Les trains apparaissent dans plusieurs des tableaux de Monet à partir de 1870, mais les tableaux de la gare Saint-Lazare sont son étude la plus approfondie sur les chemins de fer. Après avoir obtenu en janvier la permission de peindre la gare et ses abords, il peint une douzaine de vues de la gare Saint-Lazare entre janvier et mars 1877. Monet connait la gare depuis son enfance car c'est le terminal parisien des trains pour la Normandie, où il a grandi. Monet s'est également rendu en train pour rejoindre des sites impressionnistes clés à l'ouest de Paris, y compris Bougival et Argenteuil, où il vécu auparavant. Fin 1871, Monet avait également loué un petit appartement à un pâté de maisons de l'entrée principale de la gare.

La gare avait ouvert ses portes en 1837 et a été agrandie en 1851, selon les plans d'Eugène Flachat, puis en 1867. Cette expansion répondait à la demande de liaisons de transport rapide à travers la France et à la croissance spectaculaire de Paris elle-même ; en 1870, la gare Saint-Lazare accueillait environ 11 millions de passagers de banlieue chaque année. Les trains étaient considérés comme des emblèmes de la modernité en France et ailleurs. Pendant son séjour à Londres en 1870-1871, Monet a vu Pluie, vapeur et vitesse de Turner ​​à la National Gallery, dans laquelle une locomotive enflammée déferle sur un pont balayé par la pluie tandis qu'un lièvre sur la voie saute de son chemin. La gare était un exemple incontournable des structures urbaines nouvelles et avait déjà été peinte par Manet dans Le chemin de fer en 1873. L’ami de Monet, Gustave Caillebotte, travaillait également sur des peintures du Quartier de l’Europe autour de la gare Saint-Lazare. Le Pont de l’Europe, une vue du pont récemment construit au-dessus des voies ferrées de la gare pousse peut-être Monet à aborder un sujet similaire.

Lors de la troisième exposition de groupe impressionniste en mai 1877, Monet expose sept de ses gares sur les 30 oeuvres qu'il propose, même s'il se peut que seulement six aient été accrochées et qu'on ne se sache pas exactement lesquelles.

Les années de misère

En janvier 1878, Claude Monet est contraint de quitter Argenteuil. Il s’installe provisoirement à Paris 26, rue d’Edimbourg, où naît son second fils Miche le 17 mars. Quoique pauvre et dans le souci de ne pouvoir subvenir aux besoins de sa famille, le peintre est attentif au spectacle de la ville et de sa modernité ; oubliant pour un temps les jardins, il retrouve le 30 mai l’inspiration qui lui avait fait peindre cinq ans plus tôt le boulevard des Capucines et sa foule bigarrée.

A la fin de l’été 1878, Monet emménage à Vétheuil, petit village sur les des bords de la Seine, au nord-ouest de Paris, avec la famille de son mécène, Ernest Hoschedé, rencontré en 1876, mais alors en faillite. Ernest passe la plupart de son temps à Paris, laissant sa femme Alice et ses enfants à Vétheuil.

En 1879, Monet annonce qu'il renonce à la quatrième exposition des impressionnistes. Sans le dévouement de Caillebotte, qui se charge d'acheminer son envoi, ses vues de Vétheuil et ses rues Montorgueil et saint Denis pavoisées seraient restées à l'atelier. Au total, Monet expose 29 oeuvres.

La mort de Camille, l’épouse de Monet, le 5 septembre 1879 et les nombreuses absences d'Ernest, conduisent au rapprochement de Monet et d'Alice Hoschedé. En plus de peindre intensivement la Seine, Monet se rend régulièrement sur la côte normande pour peindre.

À partir du 17 février 1881, les achats de Durand-Ruel deviennent réguliers.

1882 : De fevrier à mi-avril, après quelques jours à Dieppe, il réside à Pourville. En juillet, quatre de ses toiles figurent à l’exposition impressionniste organisée par Durand-Ruel dans King Street, dans le quartier de Saint-James à Londres.

Monet à Giverny

1883 : Avril : Monet loue le pressoir et son clos normand à Giverny un petit hameau rural, près de Vernon, à environ 80 kilomètres au nord-ouest de Paris au confluent de la Seine et de l'Epte, et s'y installe alors définitivement avec Alice Hoschedé et ses enfants. Il a exactement 43 ans et n'est encore qu'au milieu de son existence. Il aménage la grande maison et un vaste jardin floral en remplaçant le potager et le verger existants par des parterres de fleurs colorées. Monet avait déja fait de modestes jardins dans les maisons louées à Argenteuil et Vétheuil dans les années 1870. Mais quand il déménage à Giverny, il a plus de latitude pour s'adonner à sa passion pour les plantes. Il devient un jardinier passionné avec une connaissance approfondie de la botanique et demande l'avis des principaux horticulteurs.

En Avril-juillet : sept de ses tableaux sont présentés dans le cadre d’une exposition impressionniste à la galerie Dowdeswell à Londres, organisée par Durand-Ruel. Le marchand consacre à Monet, artiste qu’il défend depuis plus de dix ans, l’une des premières expositions monographiques dont la galerie allait faire sa spécialité. Préparée en étroite collaboration avec le peintre, l’exposition présente une rétrospective de son parcours, juxtaposant des œuvres très récentes avec d’autres plus anciennes.

En 1884, commence sa longue amitié avec l'écrivain Octave Mirbeau, qui est désormais son chantre attitré et contribua à sa reconnaissance.

Fin mai 1887, Monet se rend à Londres pour la première fois depuis 1871, où il passe du temps avec Whistler; se dit « émerveillé » par Londres et par Whistler. Mai-juin : expose avec Whistler et d’autres à l’Exposition internationale de la galerie Georges Petit à Paris. Début de l’automne : écrit à Whistler qu’il accepte de participer à l’exposition de la Royal Society of British Artists de Londres, où il sera représenté par quatre de ses tableaux. Exprime dans une lettre à Duret son intention de peindre des effets de brouillard sur la Tamise. Début janvier 1888, Monet présente Whistler à Stéphane Mallarmé. En avril 1889, exposition individuelle à Londres, à la Goupil Gallery

De juin à septembre 1889, Auguste Rodin et Claude Monet exposent conjointement « Rien que vous et moi » dans la galerie parisienne Georges Petit. Cette exposition consacre les deux artistes. Trois œuvres de Monet figurent à l’exposition centennale de l’art français, ouverte en mai à l’occasion de l’Exposition universelle, ainsi que L'Olympia de Manet. Monet ouvre une souscription pour offrir cette œuvre au musée du Louvre et, après une campagne acharnée, il parvient à faire accepter en 1890 la toile par l’État pour le musée du Luxembourg.

En 1890, la situation financière de Monet s'est grandement améliorée. Lorsque la propriété de Giverny est mise en vente, il l'achète au prix demandé, «certain de ne jamais trouver une meilleure situation ou une plus belle campagne», écrit-il à Durand-Ruel. Son "Clos Normand" est toujours densément planté et rempli de fleurs au fil des saisons. En 1890 et 1891, Monet peint une série de meules de foin dans les champs près de sa maison. Elles sont prétextes à explorer l'interaction de la lumière, de la couleur et de la forme au cours de la journée et dans différentes conditions météorologiques. Monet était également intéressé par la signification des meules de céréales, symboles traditionnels de la fertilité des terres, de la richesse matérielle des agriculteurs locaux et de la prospérité de la région.

Les séries des meules et des peupliers

1891 : 19 mars : mort d’Ernest Hoschedé. En Mai, Monet présente pour la première fois une série, celle de 15 Meules à la galerie Durand-Ruel à Paris. On connaît environ 35 versions des meules, à toutes les heures et à des saisons différentes. Monet exploite toute la gamme du prisme dans une variété de nuances infinies.

Durand-Ruel expose une quinzaine de toiles des Peupliers du 29 février au 10 mars 1892.

Le 16 juillet 1892, Monet épouse Alice Hoschedé qui était sa maîtresse sans doute depuis 1875, et avec qui il vivait depuis l'été 1878. Ce n'est qu'après le décès d'Ernest Hoschedé que Monet peut enfin épouser Alice. Elle a eu six enfants nés de son mariage avec Ernest : cinq filles et un garçon. Monet a eu deux garçons Jean (1867-1914) et Michel (1878-1966) de sa première union avec Camille, l'un et l'autre décèdent sans laisser de descendance, de sorte que Monet n'a eu aucune postérité directe. En Septembre 1892, Monet fait part à Theodore Robinson de son admiration pour les aquarelles de Turner et pour son tableau Pluie, vapeur et vitesse.


La série des Cathédrale de Rouen

Monet a peint deux tableaux de la cour d'Albane puis vingt-huit vues de la façade ouest de la cathédrale de Rouen. Lors d'un premier séjour, de février à mi avril 1892, il en peint 24 puis les six dernières du 15 février au 14 avril 1893. Passant d'une toile à l'autre au fil des jours, il peint la façade avec des coups de pinceau très texturés qui donnent l'aspect de la pierre sculptée et rendent l'atmosphère et la lumière palpables. Monet termine ensuite les œuvres dans son atelier de Giverny, ajustant soigneusement les images, parfois indépendamment et parfois les unes par rapport aux autres. Par conséquent, certaines sont signées et datées de 1894. Il est ainsi très difficile de déterminer la date exacte d'achèvement de chaque toile.

Daniel Wildenstein a classé les cathédrales à partir des différents points de vue d'où les tableaux furent peints, dans son catalogue raisonné de l'œuvre de Monet, chacune est mentionnée par l'initiale W suivi d'un nombre; des deux tableaux de la cour d'Albane aux vingt-huit vues de la façade ouest, à partir de quatre emplacements distincts.

1 La cour d'Albane 1892 Northampton
2 La cour d'Albane, temps gris 1892 Collection privée
3 Le portail vu de face, harmonie brune 1892 Paris, Musée d'Orsay
4 Etude, le portail vu de face 1892 Collection privée
6 Le portail, temps gris 1892 Paris, Musée d'Orsay
6 Le portail, Soleil 1892 Collection privée
7 Symphonie en gris et noir 1892 Cardiff, Musée national
8 Façade ouest, au soleil 1894 Washington, National Gallery
9 Le portail au soleil 1894 New-York, Metropolitan
10 Le portail à midi 1892 Moscou, Musée Pouchkine
11 Effet de soleil 1892 Paris, Musée Marmottan
12 Façade 1892 Hakone, Pola Museum of Art
13 La Cathédrale de Rouen 1892 Belgrade, Musée National
14 Façade ouest 1894 Washington, National Gallery
15 Brouillard matinal 1894 Essen, Musée Folkwang
16 Le Portail, effet de matin 1894 Athènes, Musée d'art contemporain
17 Le Portail, effet du matin 1894 Los Angeles, Getty Center
18 Le portail, soleil matinal ; harmonie bleue 1894 Paris, Musée d'Orsay
19 Façade 1894 Boston, Musée des b.-arts
20 Le portail 1893 Weimar, Staatliche Kunstsammlungen
21 La façade de la cathédrale de Rouen au soleil 1894 Williamstown, Clark Art Institute
22 Le Portail 1893 Collection privée
23 Portail et tour St-Romain, midi,hamonie bleue et or 1893 Paris, Musée d'Orsay
24 La cathédrale de Rouen 1893 Collection privée
25 Le Portail et la tour d’Albane. Temps gris 1894 Rouen, Musée des Beaux-arts
26 Le portail et tour St-Romain, matin 1893 Paris, Musée d'Orsay
27 Le portail, effet du matin 1894 Fondation Beyeler, Bâle
28 Cathédrale de Rouen, façade et tour d'Albane 1894 Boston, Musée des b.-arts
29 La Cathédrale de Rouen dans le brouillard 1894 Collection privée
30 Cathédrale de Rouen au soleil couchant 1894 Moscou, Musée Pouchkine

Avant le 12 février 1892, Monet peint en plein air, au niveau du sol, deux toiles de la cour d'Albane (1 et 2), en regardant vers l'ouest et donc sans la fameuse façade ouest de l'église. Ces tableaux montrent une partie de la tour Saint-Romain, ainsi que les maisons qui y sont adossées (disparues en 1944) et qui se trouvent à l'entrée la cour d'Albane, au nord-ouest de la cathédrale.

La période hivernale étant peu propice à ces travaux d'extérieur, Monet cherche un appartement pour continuer son travail. Depuis un appartement vide, situé au 31 de la place de la Cathédrale d'un immeuble dont le propriétaire est M. Jean Louvet, il peint deux vues du portail de face (3 et 4).

Après son retour de Giverny, le 25 février 1892, Monet se remet au travail. Il est contraint de changer d'appartement, pour cause de travaux, et choisit un autre point de vue de la place de la Cathédrale dans un autre immeuble appartenant à M. Louvet. De là, il fait les neuf tableaux qui montrent la façade en perspective, et non plus de face (5 à 13). Monet déménage à nouveau et s'installe dans une « Boutique de Lingeries et Modes » appartenant à M. Fernand Lévy, actuel office de tourisme. Il y réalise onze autres peintures (14 à 24). La lettre qu’il adresse à Alice le 18 mars 1892 témoigne de l’ampleur de la tâche : « Je travaille comme un nègre, aujourd’hui 9 toiles : vous pensez si je suis fatigué, mais je suis émerveillé de Rouen » (in Wildenstein, 1979b, no 1140).

La dernière série de six toiles (25 à 30) est peinte d'un autre commerce, disparu pendant la Seconde Guerre Monet s'y installe du 15 février au 14 avril 1893. Il y fait aménager une sorte d'atelier qui lui permet d’avoir plusieurs toiles des cathédrales autour de lui et il travaille celle qui correspond le mieux à la lumière et au climat de l'instant présent. Cette série est, selon sa correspondance, la plus épuisante. La tour Saint-Romain y est parfois surnommée de manière erronée « tour d'Albane » par confusion avec la cour d'Albane jouxtant la tour Saint-Romain.

La cour d'Albane et le portail vu de face
La cour d'Albane
1892 (W1317 - n°1)
Northampton
La cour d'Albane, temps gris
1892 (W1318 -n°2)
privée
Le portail vu de face
1892 (W1319 - n°3)
Musée d'Orsay
Étude pour le portail vu de face.
1892 ( W1320- n°4)
privé
Le portail vu en perspective
Le portail , temps gris
1892 (W1321 - n°5)
Orsay
Le portail , soleil
1892 ( W1322 - n°6)
privée
Symphonie en gris et noir
1892 (W1323 - n°7)
Cardiff
Façade ouest au soleil
1892 ( W1324 - n°8)
Wasgington, N. G.
Le portail au soleil
1892 (W1325 - n°9)
New York, Met
Le portail à midi
1892 (W1326 -n°10)
Moscou, Musée Pouchkine
Le portail , soleil
1892 (W1327- n°11)
Paris, Musée Marmottan
Le portail façade
1892 (W1328 -n°12)
Hakatone, Pola Museum
Le portail , soleil
1892 (W1329- n°13)
Belgrade
Façade ouest
1894 (W1351- n°14)
Washington, Nat. Gal.
Brouillard matinal
1892 (W1352 -n°15)
Essen
Effet de matin
1892 (W1353- n°16)
Athènes
Effet du matin
1894 (W1354- n°17)
Los Angeles
soleil matinal Harmonie bleue
1893 ( W1355- n°18)
Paris, Musée d'Orsay
façade, effet de soleil
1894 (W1356 - n°19)
Boston, Musée des B.A.
Le portail
1893 (W1357- n°20)
Weimar
La façade au soleil
1894 ( W1358- n°21)
Williamstown
Le Portail
1893 (W1359 - n°22)
Collection privée
Plein soleil ; harmonie bleue et or
1893 (W1360 - n°23)
Paris, Musée d'Orsay
Cathédrale de Rouen
1893 (W1361 - n°24)
Privée
Le portail et la tour saint Romain en perspective
Temps gris
1893 (W1346 - n°25)
Rouen, Musée des B. A.
Effet du matin
1893 (W1346 - n°26)
Paris, Musée d'Orsay
Effet du matin
1893 (W1346 - n°27)
Bâle
Façade et tour d'Albane (effet du matin)
1894 (W1348) - n°28
Boston, Musée des B.A.
Dans le brouillard
1893 (W1349 - n°29)
Collection privée
Soleil couchant
1894 (W1350) - n°30
Moscou, Pouchkine

Au début de l'année 1895, Monet se rend en Norvège, à Christiania. Il pose son chevalet notamment au lac Daeli, au mont Kolsaas, à Kirkerud ou encore à Sandviken. Il rapporte au total vingt-huit toiles qu'il ne retravaille quasiment pas, une fois revenu en France

Vingt vues de la cathédrale sont exposées à la galerie de Durand-Ruel  du 10 au 31 mai 1895 et s'intitule Œuvres récentes. Les séries précédentes comme Les Peupliers ou les Meules de foin portaient sur des éléments de décor naturel. Avec les cathédrales, Monet effectue un retour sur le motif humanisé comme il l'avait déjà fait dans la série des gares Saint-Lazare, la toute première connue, peinte alors qu'il n'habitait pas encore Giverny. Cette nouvelle série ne manque pas d’attirer les amateurs et de faire parler les critiques qui célèbrent l’expérimentation et la volonté de l’artiste de repousser les limites de la peinture par des recherches inédites. L'exposition obtient un grand succès et la série des Cathédrales de Rouen devient la série la plus célèbre à travers le monde.

Les années 1896 et 1897 sont beaucoup plus calmes pour Monet. En effet, il se consacre davantage à ses jardins de Giverny : d'une part en poursuivant leur aménagement et d'autre part, en commençant à les utiliser comme motif de ses toiles, ce qui dura jusqu'à la fin de sa vie. Par ailleurs, il ne voyage guère, excepté pour se rendre sur la côte normande, notamment à Pourville et Varengeville où il peint La Maison du pêcheur ou La Falaise à Varengeville. A son retour, il se lance durant deux étés dans une nouvelle série, Les Matinées, réalisée tout près de chez lui, sur la Seine. La surface de l'eau du fleuve semble l'inspirer et lui offrir de nouvelles perspectives.

Bras de Seine près de Giverny
1897, Musée d'Orsay
Bras de Seine près de Giverny
1897, Boston

En 1897, Monet et sa femme voient Jean, le fils du premier, épouser Blanche, la fille de la seconde. Dans l'affaire Dreyfus, Monet se range résolument du côté de Zola dès 1897 et lui exprime toute son admiration pour le J'accuse. Il signe notamment la pétition dite « manifeste des intellectuels » qui paraît dans le journal l’Aurore, mais refuse de s'engager dans un groupe de soutien. En 1898, il apprend la mort de son ami d'adolescence, Eugène Boudin. Le début de l'année 1899 est marqué par la mort de Suzanne à trente et un ans. Très affectée par cette disparition, Alice éprouve un chagrin dont elle ne se remettra jamais complètement. D'ailleurs, à partir de ce moment, Monet, dans ses correspondances, apparaît plus soucieux de sa femme et de l'état de santé de celle-ci. Cette inquiétude le conduit à associer davantage Alice à ses voyages et à ses activités. À la même période, il commence à peindre le pont japonais du bassin, prélude aux nymphéas. Il érige également un second atelier à côté de sa demeure.

 

Le jardin d'eau et son étang aux nymphéas

En 1893, soit dix ans après son emménagement dans la maison, Monet crée le jardin d'eau avec son étang aux nymphéas. Il lui inspirera quelques-unes de ses toiles les plus connues, dont les toutes dernières. Pour Monet, les jardins offraient un refuge contre le monde urbain et industriel moderne, bien que lui et ses amis passionnés de jardin aient bénéficié des progrès modernes de la science botanique qui créaient de nouvelles fleurs hybrides dans un large choix de formes et de couleurs qui pouvaient être produites sur une échelle presque industrielle. Alors que la carrière de Monet s'épanouit, sa richesse croissante lui permet d'acheter un terrain adjacent à côté de la rivière Epte au-delà de la voie ferrée au bord de sa propriété et de financer ce qui devint une grande entreprise horticole : dans les années 1890, le jardin d'eau emploie jusqu'à huit jardiniers.

Le terrain avait un petit étang avec des nénuphars sauvages que Monet voulait transformer en jardin d'eau avec un plus grand étang de nénuphars "à la fois pour le plaisir des yeux et dans le but d'avoir des sujets à peindre" écrit-il dans sa lettre adressée aux autorités. L'idée lui est peut-être venue après avoir vu le jardin d'eau à l'Exposition Universelle de Paris de 1899 créée par le cultivateur Joseph Bory Latour-Marliac, qui a fait croitre les premiers nénuphars rustiques colorés. Monet commence par demander au préfet de l'Eure l'autorisation de creuser des canaux d'irrigation du Ru - une branche de l'Epte - pour alimenter son étang, mais les villageois de Giverny s'y opposent, craignant que cela contamine l'eau et que les plantes étrangères empoisonnent leurs bétails. Monet est furieux, mais trois mois plus tard, il reçoit l'autorisation et commence à agrandir l'étang existant, en remplaçant les nénuphars sauvages par des hybrides Latour-Marliac disponibles en jaunes, roses, blancs et violettes. Monet érige un pont japonais au-dessus de l'extrémité ouest de l'étang qui s'inspire des ponts en estampes japonaises ukiyo-e. Collectionneur passionné de ces gravures, il possédait une copie de la glycine d'Hiroshige au Sanctuaire Kameido Tenjin (1856), l'une des nombreuses gravures comportant un pont incurvé. Plus généralement, le jardin d'eau reflète l'admiration de Monet pour la façon japonaise d'aimer la nature.

En juin 1898, exposition individuelle à la galerie Georges Petit, à Paris, où est présentée sa « série » des Matinées sur la Seine.

Sanctuaire Kameido Tenjin
1856, Utagawa Hiroshige
Le bassin aux nymphéas
1899, National Gallery
Le bassin aux nymphéas
1899, Musée Pouchkine


Septembre-octobre 1899 : Monet s’installe au Savoy Hotel de Londres. De ses fenêtres, il peint la Tamise, le pont de Charing Cross, le Parlement et le pont de Waterloo.

1900 : Février-avril : à Londres, Monet peint depuis sa chambre du Savoy Hotel; il peint également le Parlement vu de l’hôpital Saint-Thomas. De Janvier à avril 1901 il exécute également des esquisses nocturnes de Leicester Square.

En mai-juin 1904, exposition des séries londoniennes à la galerie Durand-Ruel à Paris. En décembre, il effectue de nouveau un bref séjour à Londres où il projette une exposition de ces mêmes séries londoniennes, qui n’aura pas lieu. Ce sera son dernier séjour dans la capitale anglaise. L’hiver, il travaille encore à ses séries londoniennes dans son atelier de Giverny.

En janvier-février 1905, grande rétrospective impressionniste, organisée par Durand-Ruel à Londres, qui inclut 55 tableaux de Monet.

Nymphéas 1

L'étang est agrandi en 1901 et 1904, triplant la taille du jardin d'eau. Avec le jardin fleuri de l’autre côté de la voie ferrée, il est devenu la principale préoccupation des 26 dernières années de la vie de Monet. Alors que le jardin du Clos Normand était aménagé selon des lignes assez traditionnelles, rappelant les jardins à la française formels de l'Europe du XVIIe siècle, avec une ruelle centrale et des lits géométriques, le jardin d'eau est d'inspiration plus orientale. Son design moins régimenté, plus naturel et ses couleurs plus sourdes créent une atmosphère méditative plus silencieuse.

L'artiste n'a pas immédiatement commencé à travailler sur sa série Nymphéas. «Il m'a fallu un certain temps pour comprendre mes nénuphars», se souvient-il. «Un paysage prend plus d'une journée à se mettre sous la peau. Et puis tout à coup, j'ai eu la révélation - à quel point mon étang était merveilleux - et j'ai pris ma palette. Je n'ai pratiquement plus eu d'autre sujet depuis ce moment »

Entre 1904 et 1909, Monet travaille avec une intensité presque ininterrompue, produisant plus de soixante tableaux du jardin d'eau. Évitant la perspective traditionnelle, il a baissé son regard vers la surface de l'étang, produisant une vision éblouissante et radicalement déstabilisée de formes changeantes et désintégrées; le monde au-delà du plan de l'eau n'existe que comme les reflets les plus éphémères. "Les fleurs d'eau elles-mêmes sont loin d'être toute la scène", a expliqué Monet. «Vraiment, ce ne sont que l'accompagnement. L'essence du motif est le miroir d'eau, dont l'apparence change à chaque instant. Tant de facteurs, indétectables à l'œil non initié, transforment la coloration et déforment les plans »


En octobre-décembre 1908, il peint à Venise. En Mai-juin 1912 exposition à la galerie Bernheim-Jeune, à Paris, de ces toiles vénitienne, qu’il a considérablement retravaillées à Giverny.

Un ensemble de quarante-huit tableaux intitulés « Les Nymphéas, séries de paysages d'eau », est exposé à la galerie Durand-Ruel à Paris en mai 1909. Les critiques sont émerveillés par leur nouveauté presque abstraite, même en comparaison avec les dernières expériences cubistes de Picasso et Braque. «Sa vision se simplifie de plus en plus, se limitant au minimum de réalités tangibles afin d'amplifier, de magnifier l'impression d'impondérable», exulte ainsi le critique Jean Morgan.


Pourtant, après la clôture de l'exposition, il s'ensuit une période de près de cinq ans au cours de laquelle l'artiste, épuisé par le travail intense qu'il a mené puis souffrant d'une séquence de tragédies personnelles ne touche pratiquement plus ses pinceaux. Sa femme Alice et son fils aîné Jean sont tous deux tombés malades et sont morts, l'une en mai 1911, l'autre en février 1914. Pendant cette période Monet apprend qu'il a une cataracte dans un œil qui menace sa vision. Moins grave mais toujours pénible, les inondations de la Seine et de l'Epte causent d'importants dégâts à ses précieux jardins. «Je vais emballer mes couleurs pour de bon», déplore-t-il auprès de sa belle-fille Blanche en 1911.

Nymphéas 2

Ce n'est qu'au printemps 1914 que Monet sort enfin de son désespoir. «Je me suis remis au travail», écrivait-il à Durand-Ruel en juin, "et quand je le fais, je le fais sérieusement, à tel point que je me lève à quatre heures du matin et que je m'efforce toute la journée". Dix-sept ans plus tôt, il avait décrit à un journaliste sa vision d'un espace clos bordé de peintures murales de l'étang aux nénuphars qui transporterait le spectateur dans des royaumes de rêverie esthétique. Maintenant, enfin, il s'est mis à faire de cet ensemble englobant - les Grandes décorations - une réalité. Début juillet, alors que l'Europe vacille au bord de la Première Guerre mondiale, il invite Gustave Geffroy à venir à Giverny pour voir les résultats de ses récents travaux, qu'il décrit comme «les débuts d'un grand travail»

Monet a alors 73 ans, bien au-delà de l'espérance de vie des hommes de sa génération. Plutôt que de simplement rééditer ses succès précédents, il se lance un tout nouveau défi. Monet sent le poids du moment et y répond de la meilleure façon possible - en peignant. Alors que les forces allemandes franchissaient la frontière française début septembre et que les habitants de Giverny commencent à fuir, Monet refuse de les rejoindre. "Quant à moi, je resterai ici malgré tout, et si ces barbares veulent me tuer, je mourrai devant mes toiles, devant l'œuvre de ma vie"

La beauté du paradis aquatique de Monet sert à l’artiste de baume pendant les périodes traumatisantes. "Je mélange et j'utilise beaucoup de couleur" déclare-t-il à l'un des frères Bernheim-Jeune. «Cela m'occupe suffisamment pour ne pas trop penser à cette terrible et hideuse guerre» . Le peintre souhaite alors que le visiteur puisse s’immerger totalement dans la peinture et oublier le monde extérieur. En janvier 1915, il se sent suffisamment confiant en ses travaux pour inviter Raymond Koechlin, ancien patron de la Société des Amis du Louvre et figure redoutable des milieux artistiques parisiens, à les voir à Giverny. A l'été, il commence la construction d'un immense studio spécialement conçu pour accueillir les décorations des Grandes décorations. Il occupe le bâtiment à la fin octobre et commence vraiment à travailler sur les peintures murales à ce moment-là. Il poursuit son travail en alternance avec le plein air, quand la saison s’y prête. Dans le grand atelier, dans le haut de son jardin, il bénéficie d’une lumière zénithale et de proportions assez vastes pour permettre le développement des grands panneaux exposés, de façon à suivre constamment l'évolution du travail dans son ensemble.

De deux mètres de haut les châssis les plus grands ont six mètres de long, les moyens quatre mètres et les plus cours destinés à s'intercaler, deux mètres. Monté sur des patins munis de roulettes, il est facile de les déplacer et de les glisser les uns derrières les autres tant pour y travailler que pour passer d'une série à l'autre, comme pour des changements de décors d'un théâtre. Travaillant sur le motif dans des formats plus restreints carrés ou rectangulaires, variant entre un et deux mètres de coté, il exécute des études très poussées directement sur nature. Il reconstitue ensuite les ensembles en recopiant les études fragmentaires, ne voulant rien faire de simple souvenir ni donner un coup de brosse gratuit.

La soixantaine de Nymphéas que Monet peint entre 1914 et 1917, sont très différents de ses premières peintures de l'étang aux nénuphars. D'abord et avant tout, la taille des nouvelles compositions - deux à quatre fois plus grandes que celles qu'il avait exposées à Durand-Ruel en 1909. Ce sont les plus grandes peintures que Monet ait produites en près de quarante ans, depuis le cycle de quatre peintures murales décoratives qu'il a peintes pour le domaine de Hoschedé à Montgeron en 1876. Des photographies indiquent que l'artiste peignait ses toiles au bord de l'étang aux nénuphars, à l'ombre de son parasol blanc, en utilisant de nouveaux pinceaux et une palette surdimensionnée qu'il avait achetés spécifiquement pour ce projet.

Un changement radical de la manière de peindre accompagne en effet ce changement d'échelle. Contrairement aux traits de pinceaux relativement sobres des nymphéas antérieurs, Monet peint les nouvelles toiles avec des touches de pigment lâches et expressives, sacrifiant intentionnellement la finition conventionnelle pour créer une impression de vigueur et d'urgence. Les compositions en temps de guerre ont également tendance à être beaucoup plus audacieuses dans leurs combinaisons de couleurs.

En novembre 1917, il considère les panneaux suffisamment avancés pour permettre à Durand-Ruel de venir à Giverny et de les photographier.

Le bassin aux nymphéas
1919, Metropolitan
Le bassin aux nymphéas
1919, vente Christies 2008
Le bassin aux nymphéas
1919, Musée d'Honolulu
Le bassin aux nymphéas
1919, vente Sosthebys 2010

Les grandes décorations, chapelle Sixtine de l'impressionnisme

Le 12 novembre 1918, au lendemain de l’armistice, Monet écrit à Georges Clemenceau : "Je suis à la veille de terminer deux panneaux décoratifs, que je veux signer du jour de la Victoire, et viens vous demander de les offrir à l’Etat, par votre intermédiaire." L’intention du peintre est donc d’offrir d’offrir de la beauté aux âmes meurtries et à la Nation un véritable monument à la paix.

À cette date, alors que la destination de l’ensemble décoratif restait encore indéfinie, il semble que Clemenceau arrive à persuader Monet d’étendre ce don de deux panneaux à la totalité de l’ensemble décoratif. C’est en 1920 que la donation prend une forme officielle et aboutit en septembre à un accord entre Monet et Paul Léon, le directeur des Beaux-Arts pour le don à l’État de douze panneaux décoratifs, à charge pour celui-ci de les installer selon les directives du peintre dans un édifice spécifique. Rien n’a été laissé au hasard par l’artiste . Il prévoit les formes, les volumes, la disposition, les scansions et les espaces entre les différents panneaux, le parcours libre du visiteur par le biais de plusieurs ouvertures entre les salles, la lumière zénithale du jour qui inonde l’espace par beau temps ou au contraire se fait plus discrète lorsqu’elle est voilée par les nuages faisant ainsi vibrer la peinture au gré du temps… Cependant, Monet, en proie au doute, retravaille sans cesse ses panneaux et en détruit même certains. L’acte de donation intervient le 12 avril 1922 pour 19 panneaux, mais Monet, insatisfait, souhaite toujours plus de temps pour parfaire son œuvre. Monet les conservera finalement jusqu’à sa mort en 1926.

Les Nymphéas sont installés selon les plans de Monet au musée de l'Orangerie en 1927, quelques mois après sa mort. Les huit compositions possèdent toutes une hauteur égale (1,97 m) mais sont de différentes largeurs afin d’être réparties sur les parois courbes de deux salles ovales qui se suivent. La première salle rassemble quatre compositions montrant les reflets du ciel et de la végétation dans l’eau, du matin au soir, tandis que la seconde salle regroupe des peintures à l’effet contrasté par les branches des saules bordant l’eau. Ces salles bénéficient d’une lumière naturelle depuis le toit vitré et sont disposées d’ouest en est, selon la course du soleil et un des axes de circulation de Paris, le long de la Seine donnant "l’illusion d'un tout sans fin, d'une onde sans horizon et sans rivage" selon les termes mêmes de Monet. Les deux ovales évoquent le signe de l’infini tandis que les peintures déroulent le cycle de la lumière d’une journée.

Cependant, dans les années 30, l’ensemble ne rencontre pas l’enthousiasme du public. En effet, l’impressionnisme semble alors discrédité par le renouveau de l’art prôné par les avant-gardes qui jalonnent ce début de XXe siècle : le fauvisme, le cubisme, le futurisme, dada, le surréalisme... Pendant plusieurs décennies le public va bouder les salles des Nymphéas. Le musée lui-même construira parfois des cimaises cachant l’œuvre de Monet pour réaliser des expositions temporaires. Le toit de la seconde salle est touché lors des bombardements de 1944 ainsi que l’une des compositions, tandis que les autres panneaux restent miraculeusement intacts. Des travaux réalisés dans les années 1960 obstruent la lumière naturelle voulue par Monet.

Après la seconde guerre mondiale et notamment avec l’apparition d’un nouveau foyer de l’art moderne à New York, un regard neuf est posé sur l’œuvre du dernier Monet. Dans les années 1950, les signes d’un regain d’intérêt se multiplient, André Masson publie un article en 1952 comparant les salles de l’Orangerie à "la Sixtine de l’Impressionnisme", les collectionneurs privés commencent à acheter des toiles du cycle des Nymphéas restés dans l’atelier du peintre et surtout le MOMA de New York achète et expose également l’une de ces grandes toiles en 1955. De nombreuses similitudes formelles sont dès lors mises au jour entre l’art abstrait de l’École de New York qui caractérise la production artistique depuis la fin des années 1940 aux Etats-Unis (Pollock, Rohtko, Newman, Still...), ainsi qu’avec l’abstraction lyrique en Europe et les réalisations du vieux maître. En effet les Nymphéas de Monet apparaissent comme l’acte de naissance en occident d’une peinture décentrée, ou aucune partie du tableau n’exerce de primauté sur l’autre, créant une peinture All Over. Le critique d’art américain Clément Greenberg relève cette filiation faisant de l’œuvre testament de Monet le ferment d’une peinture nouvelle.

La rénovation réalisée en 2006 permet de restituer l’état d’origine des salles des Nymphéas La fascination exercée par les Nymphéas sur le public et sur les artistes ne s’est pas démentie avec les générations suivantes. On peut citer entre autres Joan Mitchell, Riopelle, Sam Francis... De nombreuses réalisations d’artistes créant un espace dédié à la contemplation de l’art peuvent également apparaître en filiation avec les Nymphéas de l’Orangerie. On pense notamment à la chapelle Rothko à Houston, aux Stations de la Croix de Barnett Newman à la National Gallery de Washington ou encore à La Bataille de Lépante de Twombly au musée Brandhorst de Munich...

Les dernières oeuvres

Comme Michel Ange dans la chapelle Sixtine traçait la voie du manièrisme, les "grandes décorations" de Monet semblent annoncer l'abstraction lyrique américaine des années 50.

Mais l'artiste lui-même a cherché à oublier ce qui correspondait exactement à ce qu'il voyait. Ainsi a-t-il dit à la femme peinte Lilia Cabot Perry, venue lui rendre visite, qu'il ne s'installait pas pour peindre un motif sans souhaiter être aussi naïf que s'il ne l'avait jamais vu, comme s'il était né aveugle et que ses yeux se fussent ouverts pour la première fois. Il disait encore :

"Quand vous sortez pour peindre, essayer d'oublier quels objets vous avez devant vous, un arbre, une maison, un champ ou quoi que ce soit. Pensez seulement ceci : voici un petit carré de bleu, de rose, un ovale vert, une raie jaune, et peignez exactement comme ils vous apparaissent, couleurs et formes exactes, jusqu'à ce qu'ils vous donnent votre impression naïve de la scène qui se trouve devant vous."

Même s'il a été mis sur cette voie par la prise de position préalable d'Edouard Manet, c'est bien lui, Claude Monet, l'inventeur et le formulateur de ce réalisme visuel qui constitue le fondement même de l'impressionnisme, auquel il restera toujours fidele et qui le conduira à ses conséquences extrêmes dans certaines œuvres finales que l'on tend maintenant à regarder comme des œuvres abstraites parce qu'elles sont difficilement déchiffrables.

Il n'y avait pas pour Monet un problème, une alternative à poser entre figuration ou abstraction. Les seules œuvres dans lesquelles il serait, si l'on n'en connaissait pas la cause, légitimement permis de voir des œuvres visionnaires sont celles qu'il a exécuté lors de ses troubles visuels provoqués par les progrès de la cataracte en 1922 . Sur les conseils de son ami Georges Clemenceau qui a son doctorat en médecine, Monet est opéré de l'œil droit dans les difficiles conditions de l'époque. Affecté par les modifications de ses perceptions visuelles consécutives à l'opération, il renonça à toute intervention sur son œil gauche. En 1925, il retrouve une vue normale grâce à des verres correcteurs parfaitement adaptés à son cas particulier.

L'altération des couleurs due à la xanthopsie et l'imprécision des formes dû au défaut de mise au point normal par le cristallin, ou artificiel par les verres, sont à l'origine d'une série d'Allées aux arceaux fleuris, de saules pleureurs, de maisons de Giverny dans les roses et de petits Ponts japonais et qui sont à peut près indéchiffrables pour qui ne connait pas directement ou par l'intermédiaire d'autres tableaux, leur motif d'inspiration.

Loin d'être des œuvres visionnaires dues à l'imagination, ces tableaux sont, au contraire, le résultat de la fidélité de Monet à ce qu'il perçoit par sa sensibilité visuelle, même lorsqu'elle est déficiente. Leur volonté de départ est opposée à celle de l'école abstraite lyrique fondée, elle, sur des créations plastiques inventées car ayant transité par l'intellect de l'artiste après, ou non, une émotion visuelle ou émises spontanément par des puissances incontrôlées. Dans l'œuvre de Monet tout est authentiquement éprouvé et perçu, rien n'est le résultat du hasard ou de l'improvisation, de l'imagination.

Monet n'est pas un peintre abstrait malgré une affinité certaine mais plus apparente que profonde avec l'école lyrique américaine car l'antinomie fondamentale des sources de création domine. La production d'une imagination visionnaire ou d'une pulsion spontanée et incontrôlée ne peut être confondue avec celle née d'une sensation visuelle réellement éprouvée. Toutefois ces considérations ne signifient pas, loin de là que Monet soit un peintre figuratif dans le sens restrictif du mot. C'est sans doute le premier peintre tachiste. Son tachisme visuel exprime tout autre chose que celui conçu par l'imagination pure. Directement perçu, physiquement et intensément éprouvé, il est l'expression authentique de l'émotion ressentie par l'artiste devant le spectacle vivant et lumineux qui l'accroche et dont il ne veut retenir que la modulation colorée.

Claude Monet décède le 5 décembre 1926 et est enterré dans le cimetière de l'église de Giverny. Accouru trop tard au chevet du peintre, Clemenceau aurait insisté pour qu'on ne recouvre pas le corps d'un linceul noir, en expliquant que cela n'était pas convenable : "Pas de noir pour Monet ! Le noir n'est pas une couleur !". Il aurait alors arraché les rideaux aux motifs colorés de la fenêtre pour en recouvrir la dépouille du peintre.

Monet sera reconnu comme un précurseur par Seurat, Kandinsky et Fautrier qui lui rendront hommage. De même que Cézanne qui dit de lui : "Monet n'est qu'un œil, mais quel œil !"

4 - Claude Monet et le cinéma

Probablement parce que la figure humaine tient moins de place chez Monet que chez Renoir, Matisse ou Picasso, le cinéma ne fait que très peu de références aux tableaux de Claude Monet.

Vanilla sky ( Russel Crowe, 2001)
 
Titanic ( James Cameron, 1997)
 
Thomas Crown ( James McTiernan, 1999)
 
Dilili à Paris ( Michel Ocelot, 2018)

 

 

5 - Bibliographie
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