Selon Jacques Lecarme (voir : sujet et corrigé E.N.S.), pour qu'il y ait autobiographie en littérature, il faut qu'il y ait identité de l'auteur, du narrateur et du personnage. Pour cet auteur, il ne peut y avoir d'autobiographie au cinéma car il doit ajouter une quatrième l'instance celle de l'acteur, la plus visible. Sans doute Jacques Lecarme a-t-il en tête des autobiographies de cinéastes qui s'étendent sur plusieurs années, tel Amarcord et qui ne peuvent pas être interprétées par l'auteur ou même par un acteur unique.
1- Le documentaire autobiographique (signalé "DA" sur la liste plus bas).
Les grands diaristes, Jonas Mekas, Alain Cavalier ou Joseph Morder ont pourtant réussi cette quadruple identification de même que Jonathan Caouette dans Tarnation ou Vincent Dieutre dans Bologna centrale et Philippe Kathrine dans Peau de cochon. Le réalisateur doit alors jouer son propre rôle et s'entourer de personnages qui jouent également leur propre rôle. L'autobiographie est une forme particulière de documentaire, c'est un genre du cinéma : le documentaire autobiographique
Si l'autobiographie au sens propre est obligatoirement un documentaire et donc un genre, il reste une dimension importante du cinéma qui relève du thème de l'autobiographie, de la façon pour le cinéaste de parler de lui, de partir de lui, au cinéma. Ce peut être de l'autofiction mais, le plus souvent, l'autobiographique se dissout dans la fiction, se drapant dans les oripeaux d'une comédie ou d'un drame.
2- Récit autobiographique avec éléments fictionnels : l'autofiction. (signalée "AU" sur la liste plus bas).
Au sein de ces diaristes, deux n'ont eu aucun problème pour étoffer leur geste autobiographique en faisant appel à un comédien pour incarner leur personnage. C'est ainsi Philippe Fano qui joue le rôle de Joseph Morder dans L'arbre mort et Louis Rego dans El cantor. C'est ainsi Andrzej Burzynski qui joue le rôle de Vincent Dieutre dans La leçon des ténèbres et Itvan Kebadian dans Mon voyage d'hiver. Pour ces deux cinéastes, c'est bien la volonté de ne pas être catalogué dans un genre mineur du cinéma, celle de l'autobiographie en super8 ou en vidéo qui les a conduit à l'emploi d'un acteur professionnel. Joseph Morder qui se met en scène comme acteur au travers de ses plans filmés dans les miroirs ou de sa voix off ou bien encore des photos de lui données par les autres n'hésite pourtant pas à fictionner, à faire interpréter son rôle par un acteur ou à modifier légèrement ce qui lui est arrivé réellement dans la vie. L'identification avec l'acteur est pourtant suffisamment forte pour que l'affirmation du geste autobiographique demeure sous le jeu avec le réel dont s'enorgueillit justement le cinéaste.
Le cinéaste honore l'authenticité de son travail en recourant à des subterfuges avoués ou fantastique pour mettre en scène son imaginaire. Combiner ainsi un récit autobiographique avec des éléments fictionnels génère ce que l'on peut peut-être appeler une autofiction. Cette notion forgée en 1977 par Serge Doubrovsky dans le domaine de la critique littéraire pour désigner une autobiographie qui ne veut pas s'avouer comme telle, un roman à clé (de Femmes de Sollers aux romans de Christine Angot) peut sans doute être transposé au cinéma pour désigner au contraire une pratique autobiographique qui accepte une part de fiction.
La dimension autobiographique est évidente lorsqu'un cinéaste aborde le thème de la création et du cinéma. Ainsi Fellini dans Huit et demi où Mastroianni joue son rôle ; Joaquim Lafosse dans Ça rend heureux où Fabrizio Rongione joue son rôle ; Orson Welles dans De l'autre côté du vent où John Huston joue son rôle; de Pedro Almodovar dans Douleur et gloire où Antonio Banderas joue son rôle.
La dimension autobiographique n'est en rien accentuée lorsque c'est le réalisateur qui joue son propre rôle : Takeshi Kitano dans Takeshi's, Guillaume Gallienne dans Les garçons et Guillaume, à table ! ou Nanni Moreti dans Cher journal. Le film reste en effet une autofiction où s'entremêlent le vrai et le faux. Pour preuve, lorsque François Truffaut joue le rôle d'un cinéaste dans La nuit américaine, il ne lui donne presque aucune de ses attitudes personnelles. Ce qui entraînera d'ailleurs la brouille avec Jean-Luc Godard. Ce dernier mettant en doute la sincérité des prises de position du cinéaste Truffaut-Ferrand sous prétexte que le personnage de Ferrand ne draguait pas, comme Truffaut, toutes les jolies femmes de ses plateaux.
A l'inverse, il est rare que les cinéastes-acteurs se mettent en scène dans un but autobiographique. Ce n'est ainsi pas le cas de Welles ou Eastwood qui imposent certes des personnages "bigger than life" mais qui ne sont pas des créateurs et donc pas des cinéastes. Et dans les comiques, seul Woody Allen joue un rôle proche de celui de son personnage public. Ni Chaplin ni Buster Keaton n'étaient de gentils naïfs prenant leur destin en main sous les seuls coups du sort.
C'est dans la dédicace finale de Voyages en Italie, "Au père de mon fils" que Sophie Latourneur révèleque le film est une autofiction. Le dossier de presse signale qu'au commencement, il y a eu un vrai voyage en 2016 aux mêmes endroits que dans le film et surtout avec les mêmes enjeux de sauver leur couple de la routine Sophie Letourneur a voulu ainsi faire le récit, une comédie burlesque, inspirée par son couple. En vivant ce voyage, certaines scènes ou certaines phrases retenaient son attention qu'elle notait sur des pages volantes arrachées à la fin du Guide du routard (... ) Une fois de retour à la maison, elle demande à son compagnon d’enregistrer avec elle au dictaphone un récit du voyage où ils se remémorent ce qu'ils ont vécu dans les moindres détails. Le film est partie de cette matière : notes et enregistrement. Mais Sophie Leourneur ne s'arrête pas là. Elle déclare "quand on arrive au tournage, cinq ans après les « faits », cette matière a beaucoup mûri pour trouver sa forme et son universalité. Ça ne m’intéresserait pas du tout de simplement recréer des choses que j’ai vécues pour les mettre dans un film. Il y a une étape importante où je réalise une sorte de maquette du film : séquence après séquence, on jouait les scènes avec mes collaborateurs Laetitia Goffi et François Labarthe, que je vais par exemple mettre ensemble au lit pour faire du playback sur la bande-son déjà montée des dialogues des deux personnages, pendant que je cherche à la caméra des plans qui me plaisent (...) Puis, toujours avec Laetitia et François, on part en Sicile et on « tourne » entre nous en doublure toutes les scènes du film, avec les dialogues au cordeau issus du travail d’écriture à partir des improvisations. Au retour, une fois qu’on a filmé toutes les scènes, on monte une maquette du film, qui produit un objet d’étude et me permet de couper, d’affiner le scénario. Elle devient non seulement la bande son qu’on aura dans les oreillettes mais la base du travail avec Philippe Katerine et le chef opérateur Jonathan Ricquebourg". Une autofiction soigneusement mise en scène donc.
3- L'autobiographie dissoue dans le film de genre. (signalée "FG" sur la liste plus bas).
Le recours à un acteur alter-égo est souvent un moyen pratique de signaler la dimension autobiographique d'un film ainsi de Jean-Pierre Léaud pour Truffaut ou de Marcello Mastroianni pour Fellini. Mais, dans la plupart des cas, cette dimension autobiographique ne concerne que certains éléments du film. C'est, selon le mot de Truffaut, transformer un règlement de compte en uvre d'art. Ainsi, le plus souvent, l'autobiographique se dissout dans la fiction, se drapant dans les oripeaux d'une comédie ou d'un drame.
Dans Au revoir les enfants, Louis Malle ne signale qu'à la toute fin du film qu'il est Julien Quentin. Il faut enfin des déclarations externes aux films de Pialat pour savoir que Jean Yanne dans Nous ne vieillirons pas ensemble et Gérard Depardieu dans Le garçu sont des incarnations très proches de lui. Dans Amarcord Fellini, ne signale jamais qu'il s'agit de ses souvenirs personnels pas plus que dans la fameuse tétralogie de Hou Hsiao-hsien : Les garçons de Fengkuei (1983), Un été chez grand-père (1984), Un temps pour vivre, un temps pour mourir (1986), Poussières dans le vent (1986). L'enchâssement de l'histoire d'Oedipe dans un prologue et un épilogue autobiographiques dit à quel point Pasolini se sent concerné par la tragédie d'un homme qui cherche.
Jean-Luc Lacuve le 03/07/2008, puis le 20/08/2016 avec les modifications apportées par les remarques de Michel Serceau dans son livre Y a t-il un cinéma d'auteur ? et, plus précisement, la partie qui me concerne (paragraphes 53 à 64).
Bibliographie :
Documentaires autobiographiques (DA), Autofictions (AU) et Autobiographies dissoues dans le film de genre (FG)
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Une famille | Christine Angot | France | 2023 |
DA |
L'île rouge | Robin Campillo | France | 2023 |
AU |
Voyages en Italie | Sophie Letourneur | France | 2022 |
AU |
Les années Super 8 | Annie Ernaux, David Ernaux-Briot | France | 2022 |
DA |
Être vivant et le savoir | Alain Cavalier | France | 2019 |
DA |
Un amour impossible | Catherine Corsini | France | 2018 |
AU |
Douleur et gloire | Pedro Almodovar | Espagne | 2019 |
AU |
De l'autre côté du vent | Orson Welles | U.S.A. | 2018 |
AU |
L'amour flou | R. Bohringer et P. Rebbo | France | 2018 |
AU |
Football infini | Corneliu Porumboiu | Roumanie | 2018 |
DA |
Carré 35 | Eric Caravaca | France | 2017 |
DA |
Visages villages | Agnès Varda | France | 2017 |
DA |
La visite ou mémoires et confessions | Manoel de Oliveira | France | 2015 |
DA |
Match retour | Corneliu Porumboiu | Roumanie | 2014 |
DA |
Casa | Daniela de Felice | France | 2013 |
DA |
Les garçons et Guillaume, à table ! | Guillaume Gallienne | France | 2013 |
AU |
Un voyageur | Marcel Ophuls | France | 2013 |
DA |
Walk away Renée | Jonathan Caouette | U.S.A. | 2011 |
DA |
Irène | Alain Cavalier | France | 2009 |
DA |
A serious man | Joël Coen | U. S. A. | 2009 |
FG |
Les plages d'Agnès | Agnès Varda | France | 2008 |
DA |
J'aimerais partager le printemps... | Joseph Morder | France | 2007 |
DA |
Rue Santa Fe | Carmen Castillo | France | 2007 |
DA |
L'aimée | Arnaud Desplechin | France | 2007 |
DA |
Retour en Normandie | Nicolas Philibert | France | 2007 |
DA |
Ça rend heureux | Joaquim Lafosse | Belgique | 2007 |
AU |
Persepolis | Marjane Satrapi | France | 2007 |
AU |
Takeshi's | Takeshi Kitano | Japon | 2005 |
AU |
Le filmeur | Alain Cavalier | France | 2004 |
DA |
Tarnation | Jonathan Caouette | U. S. A. | 2004 |
DA |
Peau de cochon | Philippe Katerine | France | 2004 |
DA |
Bologna centrale | Vincent Dieutre | France | 2004 |
DA |
Histoire d'un secret | Mariana Otero | France | 2003 |
DA |
Sex is comedy | Catherine Breillat | France | 2002 |
FG |
La rencontre | Alain Cavalier | France | 1996 |
DA |
Sauvage innocence | Philippe Garrel | France | 2001 |
AU |
Le garçu | Maurice Pialat | France | 1995 |
AU |
Cher journal | Nanni Moretti | Italie | 1994 |
AU |
Au travers des oliviers | Abbas Kiarostami | Iran | 1994 |
AU |
Cher journal | Nanni Moretti | Italie | 1993 |
DA |
Romamor | Joseph Morder | France | 1992 |
DA |
Mémoires d'un juif tropical | Joseph Morder | France | 1988 |
DA |
Au revoir les enfants | Louis Malle | France | 1987 |
FG |
Poussières dans le vent | Hou Hsiao-hsien | Taïwan | 1986 |
FG |
Un temps pour vivre, un temps pour mourir | Hou Hsiao-hsien | Taïwan | 1986 |
FG |
Lettres d'amour en Somalie | Frédéric Mitterrand | France | 1982 |
DA |
In girum imus nocte et consum.. | Guy Debord | France | 1978 |
DA |
L'Allemagne en automne | Rainer W. Fassbinder | Allemagne | 1978 |
DA |
Lost, Lost, Lost | Jonas Mekas | U.S.A. | 1976 |
DA |
Je tu il elle | Chantal Akerman | France | 1974 |
DA |
Reminiscences of a journey... | Jonas Mekas | U.S.A. | 1972 |
DA |
Walden | Jonas Mekas | U.S.A. | 1969 |
DA |
Un été chez grand-père | Hou Hsiao-hsien | Taïwan | 1984 |
FG |
Les garcons de Fengkuei | Hou Hsiao-hsien | Taïwan | 1983 |
FG |
Amarcord | Federico Fellini | Italie | 1973 |
AU |
La nuit américaine | François Truffaut | France | 1973 |
AU |
Nous ne vieillirons pas ensemble | Maurice Pialat | France | 1972 |
FG |
Oedipe roi | Pier Paolo Pasolini | Italie | 1967 |
FG |
Huit et demi | Federico Fellini | Italie | 1963 |
AU |
Les 400 coups | François Truffaut | France | 1959 |
FG |