Février 2007. Joseph se fait expliquer le fonctionnement de sa caméra intégrée au téléphone portable qu'on vient de lui prêter. Se filmant dans la glace, Joseph déclare qu'il va bientôt devenir plus vieux que lorsque son père est mort, lui donnant l'impression curieuse d'être le père de son père. Joseph reçoit son ami cinéaste Alain Cavalier et s'émerveille des brusques changements de lumière induits par un geste ou un mouvement d'Alain Cavalier.
Joseph essaie sa caméra sur le Pont neuf et fait la rencontre d'un beau jeune homme blond qui se laisse filmer de bonne grâce, lui-même ayant un petit appareil photos. Emu, Joseph ne sait comment prolonger cette séquence filmée.
Bouleversé par cette rencontre, Joseph se rend au Moulin D'Andé pour préparer l'écriture d'un film sous la tutelle protectrice des artistes qui occupèrent la même chambre que lui : Georges Perec, Chris Marker ou François Truffaut. Alors qu'il hésite à téléphoner à Sacha, il reçoit de lui une photo qu'il prit sur le Pont neuf.
De retour à Paris, Joseph filme les premières affiches de la campagne électorale pour la présidence de la république qui s'annonce. Il se rend à Londres et alors qu'il s'apprête à prendre rendez-vous avec Sacha constate qu'il a perdu le carnet qui contenait le numéro de téléphone. Effondré par cette perte irrémédiable, il retrouve espoir en découvrant qu'il avait oublié son carnet à Paris.
Sacha vient à un premier rendez-vous qu'il a fixé dans un café. Joseph filme cette rencontre en se demandant s'il n'aurait pas mieux fait pour une fois de ne pas filmer.
C'est bientôt les résultats du premier tour de la présidentielle qui voit s'affronter Ségolène Royal et Nicolas Sarkozy que hait Joseph.
Joseph se rend dans l'appartement qu'il habita dans sa jeunesse et qu'il va maintenant vendre. Il a encore prêté son appartement pour un film qui se tourne avec une grosse caméra 35 millimètres. C'est le printemps et sur la jardinière de son appartement, Joseph film les fleurs aux couleurs éclatantes comme en Technicolor.
Françoise, son amie, vient lui rendre visite. Il décide qu'il ne filmera pas Sacha lors de leur prochaine rencontre. C'est le deuxième tour des élections présidentielles avec leur désastreux résultat.
Joseph attend Sacha. Sacha est venu, ils ont dormi ensemble. Sacha a abandonné un livre sur Ava Gardner écrit en espagnol.
C'est à la demande du Festival Pocket Films que Joseph Morder a entrepris tournage d'un film avec téléphone portable caméra. Le prêt de cette petite caméra en février allait de paire avec la remise d'un film pour une projection en mai 2007.
Ce nouveau format a permis à Joseph Morder, féru de journal filmé, de retrouver "l'adolescence d'un art" qu'il trouva naguère en filmant en super8. La fragilité de l'image, ses distorsions, ses surprises d'éclairage, ses flous momentanés sont autant de surprises dont Joseph Morder s'émerveille comme autant d'instants miraculeux qu'a pu saisir en une occasion unique sa petite caméra.
L'émotion du film tient à cette impression que quelque chose d'unique a surgit là au sein d'un film fait pour répondre à une commande et bâti selon une structure qui ne doit rien au hasard.
Cette fragilité de la prise de vue, les émerveillements devant un contre-jour puis une image aux couleurs restituées au plein de leur puissance sont redoublés par le sujet du film, cette rencontre amoureuse impromptue et improbable sur le Pont neuf.
Le défi de tourner avec une petite caméra en quatre mois semble suffisant pour accepter que ce que va nous raconter Joseph soit la vérité vraie. Ne sachant pas trop quoi filmer, Joseph ramasserait ainsi ce qui se présente : un anniversaire, la vente d'un appartement, la campagne électorale et puis cette rencontre miraculeuse avec Sacha.
La retraite au Moulin d'Andé placée sous la tutelle de ses glorieux aînés, Perec, Marker et Truffaut qui y tourna Jules et Jim montre pourtant bien vite que cette impression de fragilité, d'improvisation et de sincérité immédiate est travaillée pour construire un mélodrame comme ceux de Max Ophuls ou Douglas Sirk, deux autres noms évoqués par Joseph Morder.
L'attente avant de passer le coup de téléphone pour un rendez-vous, la réception de la photo de Sacha puis, plus tard, l'attente au café sont des moments qui évoquent toutefois davantage la forme plus fragile et autobiographique des Fragments du discours amoureux de Roland Barthes.
Moment intense que celui où Joseph filme des passants sur un pont au-dessus de la Tamise. Il se rend soudain compte qu'il a perdu son carnet, son seul lien avec Sacha, tout en étant sensible à ce qui est en train de se passer avec la caméra, les formes se brouillant dans un effet qui serait esthétisant s'il n'exprimait pas justement le trouble qui le saisit alors.
"J'aime la vie alors je la filme avec ma caméra", ce slogan décrié qui marqua dans les années 60 l'aliénation à l'objet, cette façon de consommer en oubliant de vivre, Joseph Morder en montre pourtant la vérité possible. L'artiste sait que le moment n'est jamais plus intense que lorsqu'on a l'impression qu'il est miraculeux, qu'il ne se reproduira plus et que pourtant il vient d'être saisi. C'est le moment où l'intensément vécu rejoint l'intensément saisi.
Faire rejoindre ces deux moments dans une innocence retrouvée, c'est cette adolescence d'un art que la caméra-stylo de Joseph Morder rend possible en filmant un Joseph dont la vie devient un roman.
Jean-Luc Lacuve le 15/06/2008
Avec : Joseph Morder, Stanislav Dorochenkov (Sacha), Françoise Michaud, Alain Cavalier. 1h25.