Selon Jacques Lecarme (voir : sujet et corrigé E.N.S.), pour qu'il y ait autobiographie en littérature, il faut qu'il y ait identité de l'auteur, du narrateur et du personnage. Pour cet auteur, il ne peut y avoir d'autobiographie au cinéma car il doit ajouter une quatrième l'instance celle de l'acteur, la plus visible. Sans doute Jacques Lecarme a-t-il en tête des autobiographies de cinéastes qui s'étendent sur plusieurs années, tel Amarcord et qui ne peuvent pas être interprétées par l'auteur ou même par un acteur unique.
Les grands diaristes, Jonas Mekas, Alain Cavalier ou Joseph Morder ont pourtant réussi cette quadruple identification de même que Jonathan Caouette dans Tarnation ou Vincent Dieutre dans Bologna centrale et Philippe Kathrine dans Peau de cochon. Le réalisateur doit alors jouer son propre rôle et s'entourer de personnages qui jouent également leur propre role.
Ces documentaires interrogent la mémoire à partir du présent de leur auteur. Ils sont d'autant plus émouvants, qu'au delà de la plongée dans un passé heureux ou douloureux, l'auteur évolue aussi au présent de sa relation aux autres.
Le journal intime en littérature est un genre qui a produit des chefs-d'uvre mais qui reste assez confidentiel. Ainsi des journaux de Michel Leiris voir des Cahiers de Malte Laurids Brigge de Rilke. Assumant la recherche d'émotions intimes sans trame scénarisée, ces journaux sont avant tout destinés à leur auteur et pas toujours à la publication. Il en est ainsi de même des multiples films en super8 de Joseph Morder et des multiples bobines d'Alain Cavalier ou Jonas Mekas. Ces diaristes ressentent intensément cette nécessité de filmer au présent comme l'écrivain de prendre ses notes au présent. C'est même devenu pour eux une manière de vivre qui les transforme en filmeur selon le mot d'Alain Cavalier. Pour eux le moment de la souffrance vient au montage : "filmer c'est sélectionner" dit toujours Alain Cavalier qui doit se résoudre à choisir dans dix ans de vie et de bobines pour une heure quarante de film dans Le filmeur.
Les caractéristiques formelles de ces films les distinguent facilement du tout venant de la production ; outre la quadruple identification dont parle Jacques Lecarme, ils sont caractérisés par un filmage au présent et donc, le plus souvent, en super8 ou en vidéo et par le recourt à la voix off.
En 2004, Jonathan Caouette récupère les bandes super8 de son enfance où il interprète des clips ou filme sa mère pour Tarnation, un vibrant hommage à celle-ci.
On notera la très forte charge affective, la puissance documentaire de ce filmage au présent. Les passages d'un film en super8 (au sein de Paris Texas ou du Lieu du crime par exemple) sont souvent des moments de forte émotion, témoignage d'une époque enfuie. On aura ainsi bien du mal à classer le Persepolis de Marjane Satrapi dans le documentaire autobiographique. Non pas tant qu'il soit un dessin-animé mais plutôt qu'il semble constamment donner des leçons sur ce que pourrait être une initiation adolescence et fait ainsi preuve d'une lourdeur bien pensante étrangère à la fragilité du genre.
Dans Retour en Normandie (Nicolas Philibert, 2007), l'aspect autobiographie est très affirmé (le retour sur une expérience de jeunesse, l'implication dans le documentaire qui se crée aujourd'hui en lui permettant de retrouver des personnages aussi formidablement droits qu'hier, l'image finale du père). Le film étreint pourtant avec brio tellement de sujets (l'humanité rude et généreuse de la paysannerie d'hier et d'aujourd'hui, la peur de la folie à travers les âges, les difficultés de la création) qu'il pourrait aussi être un documentaire "sur" chacun de ces sujets. Si finalement on retient ce chef-d'œuvre dans le genre de l'autobiographie c'est parce que tous ces thèmes sont tenus par Philibert lui-même faisant de chacun des instants de son film l'éloge de la beauté surgissant au travers des difficultés. Dans Une famille (Christine Angot, 2023) fait du cinéma un puissant outil de surgissement de la vérité. Aidée par deux camérawomen, elle enregistre ce qui doit être dit en dépit des réticences que sa belle-mère, sa mère ou son ex-mari qui avaient enfoui jusque là la nécessité de dire ce qui leur était arrivé à eux aussi croyant se protéger ainsi des conséquences de l'inceste subi par Christine Angot. La réalisatrice, dans un film remarquablement construit, porte ainsi à la lumière pour tous (proches de la victime mais aussi des spectateurs) la nécessité de parler pour vivre mieux au présent.
Avec Les années super 8 (2022), Annie Ernaux transpose au cinéma le terme qu'elle a forgé pour ses livres : l'autosociobiographie. Elle déploie autour des ses propres souvenirs et expériences, les aspects culturels, sociaux et la situation politique. A cet effet, elle recourt à une écriture (diction) factuelle. L'œuvre reflète en permanence la mémoire, les sentiments et la mentalité collective qui ont régné dans la société française.
Si l'autobiographie au sens propre est obligatoirement un documentaire et donc un genre, il reste une dimension importante du cinéma qui relève du thème de l'autobiographie, de la façon pour le cinéaste de parler de lui, de partir de lui, au cinéma. Ce peut être de l'autofiction mais, le plus souvent, l'autobiographique se dissout dans la fiction, se drapant dans les oripeaux d'une comédie ou d'un drame.
Les principaux documentaires autobiographiques :
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Une famille | Christine Angot | France | 2023 |
Les années Super 8 | Annie Ernaux, David Ernaux-Briot | France | 2022 |
Être vivant et le savoir | Alain Cavalier | France | 2019 |
Football infini | Corneliu Porumboiu | Roumanie | 2018 |
Carré 35 | Eric Caravaca | France | 2017 |
Visages villages | Agnès Varda | France | 2017 |
La visite ou mémoires et confessions | Manoel de Oliveira | France | 2015 |
Match retour | Corneliu Porumboiu | Roumanie | 2014 |
Casa | Daniela de Felice | France | 2013 |
Un voyageur | Marcel Ophuls | France | 2013 |
Walk away Renée | Jonathan Caouette | U.S.A. | 2011 |
Irène | Alain Cavalier | France | 2009 |
Les plages d'Agnès | Agnès Varda | France | 2008 |
J'aimerais partager le printemps... | Joseph Morder | France | 2007 |
Rue Santa Fe | Carmen Castillo | France | 2007 |
L'aimée | Arnaud Desplechin | France | 2007 |
Retour en Normandie | Nicolas Philibert | France | 2007 |
Le filmeur | Alain Cavalier | France | 2004 |
Tarnation | Jonathan Caouette | U. S. A. | 2004 |
Peau de cochon | Philippe Katerine | France | 2004 |
Bologna centrale | Vincent Dieutre | France | 2004 |
Histoire d'un secret | Mariana Otero | France | 2003 |
La rencontre | Alain Cavalier | France | 1996 |
Cher journal | Nanni Moretti | Italie | 1993 |
Romamor | Joseph Morder | France | 1992 |
Mémoires d'un juif tropical | Joseph Morder | France | 1988 |
Lettres d'amour en Somalie | Frédéric Mitterrand | France | 1982 |
Nick's movie | Wim Wenders | Allemagne | 1980 |
In girum imus nocte et consum.. | Guy Debord | France | 1978 |
L'Allemagne en automne | Rainer W. Fassbinder | Allemagne | 1978 |
Lost, Lost, Lost | Jonas Mekas | U.S.A. | 1976 |
Je tu il elle | Chantal Akerman | France | 1974 |
Reminiscences of a journey... | Jonas Mekas | U.S.A. | 1972 |
Walden | Jonas Mekas | U.S.A. | 1969 |