Une truie accouche de porcelets. Expulsion d'un porcelet d'une poche de placenta. L'un des porcelets, blanchâtre et rachitique semble mort. Une main gantée le frappe, professionnelle, elle cherche à le ranimer. La main place précautionneusement de la paille sous le corps du porcelet inerte ; frappe encore. Finalement le jeune cochon respire. Off, une voix s'élève :
"À l'origine de ce film il y en a un autre. Celui que le cinéaste René Allio tourna en Normandie en 1975 d'après un fait-divers : Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sur et mon frère
J'avais 24 ans. René Allio m'avait offert le poste de premier assistant à la mise en scène. Tourné à quelques kilomètres de l'endroit où le triple meurtre avait eu lieu 140 ans plus tôt, ce film allait devoir une grande part de sa singularité au fait que la plupart des rôles avaient été confiés à des paysans de la région.
Aujourd'hui j'ai décidé de retourner en Normandie, à la rencontre des acteurs éphémères de ce film. Trente ans ont passé ."
Joseph Leportier, le père explique que Nicolas Philibert est venu lui proposer le rôle du père et qu'il a du convaincu son patron de le laisser faire l'acteur. Annick Bisson face à la caméra avec son mari Michel explique l'expérience inoubliable que fut pour elle ce film. Cette expérience qu'elle n'imagina jamais transformer en carrière de comédienne valait bien un redoublement en seconde. Les Borel sont réunis pour évoquer le rôle de l'amant joué par le père. Gilbert Peschet dans son tracteur, Norbert Delozier, président d'associations évoquent leur vie actuelle comme Charles et Annie Lihou dont la fille Corinne est schizophrène.
Extraits du film d'Allio. On abat les cochons, on sème comme il y a trente ans sans doute lorsque Allio eut tant de mal à faire son film.
Roger Peschet et Caroline Itasse se marient. Marche antinucléaire. Janine Callu, la boulangère d'extrême gauche, se relève avec courage d'un anévrisme.
Tous les acteurs se retrouvent pour accueillir Claude Hébert, devenu prêtre à Haïti, et venu leur rendre visite sur la demande de Nicolas Philibertet à l'occasion d'un voyage en Allemagne.
Nicolas Philibert consulte les carnets d'Allio à l'abbaye d'Ardenne. Malgré les difficultés, Allio s'il était découragé parfois ne montrait ni amertume ni rancur.
In fine, Philibert découvre une autre raison de son retour sur le film d'Allio ; retrouver une scène où son père jouait l'avocat chargé du recours en grâce de Pierre Rivière et qui fut coupée au montage. Dans une séquence muette celui revenu d'entre les morts s'adresse au roi, au spectateur de l'époque, à Nicolas Philibert, à nous.
Eloge de l'obstination pour faire exister la beauté et la violence du quotidien, Retour en Normandie marque le renouvellement d'un pacte spirituel tacite entre Philibert et ces hommes et ces femmes qu'il n'a pas revu depuis trente ans. Il capte tout à la fois leur gentillesse et leurs efforts pour rester droits et souriants malgré les difficultés de la vie quotidienne, les accidents et les drames qu'ils ont dû affronter. Il montre comment un film a pu changer la vie ou plutôt ne l'a pas changé mais a fortifié ces acteurs d'une saison dans leur sens des responsabilités pour un monde plus juste et plus lumineux
Le point de départ de Retour en Normandie est de faire redécouvrir le film de René Allio Moi, Pierre Rivière, ayant égorgé ma mère, ma sur et mon frère sur lequel Philibert fut assistant en revenant interroger les acteurs d'il y a trente ans. Mais, sur le fil conducteur du plaisir et des difficultés à faire ce premier film, s'élabore bientôt un sujet plus ample, celui de la flamme spirituelle que tous les personnages gardent face à l'adversité de la vie pour lui garder sa force et sa beauté.
L'engagement associatif, les travaux et les jours, les accidents de la vie rejoignent la vocation d'artiste de Philibert attaché à mettre en forme la beauté avec obstination et simplicité.
C'est ce que cherchait Allio dans Pierre Rivière et dans son uvre en général ce dont témoignent ses carnets. Philibert rappelle aussi qu'il eut d'abord une vocation peintre marqué par Cézanne (résumé en deux plans : celui, théorique, d'une fenêtre géométrisé par son cadre filmé dans une contreplongée en diagonale et celui, plus humoristique, de trois pommes superposées devant cette même fenêtre). Cette proximité avec un artiste maintenu en marge de la gloire le soutient et l'inspire. Les plans de nature sont ainsi filmés pour leur beauté (petite chèvre obstinée, nuages derrière les arbres, oiseaux traversant le soleil) mais aussi comme une figuration de l'espoir et de beauté que les paysans normands filmés par Philibert gardent dans les circonstances les plus anodines (plan d'équilibre en vélo) ou les plus difficiles (confrontation à la folie ou à la maladie).
Témoignage sur les multiples violences du monde (la prison de Caen enferme aujourd'hui encore ceux que l'on considère comme les pires criminels : les parricides ont été remplacés par les agresseurs d'enfants qui rejoignent dans l'opprobre les auteurs de crimes contre l'humanité) que l'on ne peut affronter qu'avec courage lorsqu'on en perçoit en même temps la flamme spirituelle, Retour en Normandie est un des films sans doute les plus subtilement mis en scène et l'un des plus bouleversants du cinéma.
Editeur : France Télévision, avril 2008. 20 euros. |
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Supplément : un entretien avec le réalisateur, Nicolas Philibert |