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Une famille

2024

Avec : Christine Angot, Elizabeth Weber, Rachel Schwartz, Leonore Chastagner, Claude Chastagner, Charly Clovis. 1h22.

Mai 1995 : sur un extrait de K7 vidéo, Léonore, la fille de Christine Angot et Claude Chastagner, est filmée par ceux-ci alors qu'elle revient de la boulangerie, un pain à la main.

Juin 2021. Christine Angot montre son bureau où elle vient de terminer son roman. Elle est appelée par son éditrice pour faire la promotion de son livre dans différentes manifestions littéraires à Nancy et Strasbourg. Elle arrive à la gare de Nancy et, lors de la séance de dédicaces, une lectrice lui dit avoir vu son père autrefois, les enfants et la femme de celui-ci, régulièrement, car c'est une amie. Elle lui fait part du scandale de ce qu'elle a vécu. Catherine Angot lui dit qu'elle a été blessée de la réaction de son demi-frère qui lui a dit ne pas être certain qu'elle ne fabulait pas.

Extraits vidéos de août 1993. Claude Chastagner joue au ballon avec sa fille sur la pelouse. Christine Angot, sa femme, donne à manger à Léonore. Off, Christine Angot reprend le premier paragraphe du Voyage dans l'Est. "J’ai rencontré mon père dans un hôtel de Strasbourg...On est arrivés à Strasbourg un jour de semaine"

12 Septembre 2021. Christine Angot se rend dans un hôtel de Strasbourg proche de la maison où son père a vécu jusqu’à sa mort en 1999. C’est la ville où elle l’a rencontré pour la première fois à treize ans, et où il a commencé à la violer. Sa femme y vit toujours. Angot matérialise sur Google map le trajet qu'elle redoute entre l'hôtel et cette maison. Elle téléphone à Mme Weber pour qu'elles puissent se parler avant qu'elles ne disparaissant toutes les deux. Le matin, face à la fenêtre, elle peine à contenir ses larmes.

Après le voyage en taxi, elle peine à sonner ne reconnait pas bien les lieux, a confirmation avec le nom inscrit sur la sonette du petit immeuble de trois étages. Mme Weber refuse puis accepte le dialogue dans l'antichambre se disant être resté toujours de son côté. Elle aimerait un dialogue seule à seule. Christine Angot sent ses jambes flageoler et demande à s'assoir, elle a besoin d'avoir des amies avec leurs caméras qui la soutiennent et leur demande d'entrer avec elle dans le salon.

Extraits vidéo de 1993 où Claude filme sa femme qui a décidé de filmer beaucoup avec sa caméra. Elle n'y voit pas une perte de temps à s'enfermer dans le passé mais avoir la satisfaction d'un double regard, le sien et celui de la caméra.

Dans le salon, Mme Weber réitère le fait d'avoir de la peine pour elle. Christine Angot refuse cette peine qui ne lui est d'aucun secours. Mme Weber dit qu'elle a poussé son mari à la reconnaitre en dépit des conseils que lui prodiguait son notaire. Mais Christine Angot lui reproche d'avoir refusé de voir la vérité quand Claude, son mari lui a appris l'inceste en 1996. Elizabeth se protège: elle n'a pu interroger son mari atteint d'Alzheimer ; elle n'a pu imaginer qu'il ferait cela; Elle n'est pas sure de sa version telle quelle apparait dans ses romans soit la vérité. Pire, Elizabeth transforme Christine en rivale, outrée qu'elle soit venue chez elle sachant « la relation » qu’elle avait avec son père. Néanmoins, en sortant, les deux femmes conviennnent que c'est bien que cette conversation ait eu lieu même si pour Christine, elle arrive bien tard.

En sortant Christine Angot se souvient que c'était bien là dans cet appartement sous les toits qu'eurent lieu les viols. Extrait vidéo et photographie du mariage en 1982 qu'elle décrit en reprenant les mots du Voyage dans l'Est."Je portais une robe blanche, en soie, à bretelles avec des motifs irréguliers... J'ai commencé à aller mal peu de temps après. Je faisais des insomnies..."

Christine Angot filme sa mère à Montpellier. Elle dit souffrir de la cassure qu'elle a éprouvée. Christine Angot se révolte contre cette petite douleur à laquelle elle s'accroche pour ne pas regarder sa grande souffrance à elle. Christine Angot montre les photos de ses 13 ans malheureux puis quelques unes à seize où cela allait mieux quand les viols avaient cessé; vidéo aussi de sa mère en1995 quand elle lui rend visite.

Christine Angot est retourné la voir après l'échec de leur précédente rencontre. Cette fois Rachel lit les notes qu'elle a prises sur un carnet après la publication du Voyage dans l'Est. Elle y exprime sa douleur de n'avoir pas pu protéger sa fille alors que c'est elle qui le fait. Le filmage alterne deux lieux et deux moments pour cette lecture : dans un jardin, où Rachel est en larme et la cuisine où elle maitrise mieux son émotion.

Dans un trajet en voiture, Christine Angot dit que les viols ont repris quand elle avait 28 ans à Strasbourg puis à Nice dans la maison qu'elle partageait avec Claude. Celui-ci n'a rien dit. Elle en trouve une partie de l’explication en montrant une photographie de Claude lors d'un voyage scolaire en Angleterre, violé à onze ans par un garçon de trois ans de plus que lui.

Christine Angot interroge son ex-mari Claude dont elle a divorcé en 2000, le père de Léonore, à Montpellier. Elle sait que s'il n'a rien fait cette nuit là, c'est probablement parce qu'il a été violé par un garçon plus âgé que lui. Il est allé dans la salle de bain et s'est regardé dans le miroir. Christine Angot lui fait remarquer que c'est aussi dans une salle de bain qu’il a été violé. Il dit s'être senti coupable de n'avoir pas réagi lors de son viol à onze ans. ; on ne réagit pas devant plus fort que soi lui dit Christine Angot. Claude lui répond que c'etait aussit une forme de respect pour la grande personne qu'elle était devenue, libre de ses choix. Christine Angot réfute cette explication ; ils ont été comme deux enfants impuissants alors qu’ils croyaient tous les deux que l'autre était plus fort que lui;ils se sont trompé sur ce qui unissait leur couple, c'est dommage. Mais avec le prix Médicis, Claude ému et admiratif dit qu'il ne s'était pas trompé sur la force de sa femme, son talent d'écrivaine.

Pourtant avant la reconnaissance actuelle avec la critique élogieuse des intervenants au Masque et la plume qu'elle écoute, la reconnaissance fut longue à venir. Christine Angot a subit le mépris de la critique et le cirque  terriblement vulgaire et machiste de a télévision. Les extraits de Tout le monde en parlent, animé par Thierry Ardisson et Laurent Baffie pour L'inceste en 1999 et Quitter la ville en 2020, la montre tentant vainement d'exprimer ce qu'elle ressent avec lucidité devant le perpétuel appel à la vulgarité la plus racoleuse

Christine est effondrée : Mme Weber porte plainte son avocat argue que l’on n'est plus dans l'intime mais dans le droit de savoir du public sur le déni des conséquences de l'inceste. Par ailleurs elle a après un moment d'hésitation, ouvert la porte et raccompagné satisfaite Christine Angot

Christine partage sa vie avec Charly Clovis. Il est un "schwartz", comme il le fait remarquer à la cadreuse, rapprochant ainsi la marginalité de la famille de sa compagne avec celle subie de part sa couleur de peau.

Christine Angot filme sa fille à Nice et lui dit être reconnaissance d'avoir dit "maman je suis désolé qu’il te soit arrivé cela". C’est cette parole qu’attendait Christine Angot. La reconnaissance d’un malheur qui va engager toute sa vie mais qui aurait du ne pas arriver.

Sur la chanson La mer, interprétée par Caetano Veloso, Chritine Angot et sa fille aujourdui à Nice puis les images vidéo de Léonore en 1993 jouant dans la Méditerranée avec son père.

Une famille enregistre un acte courageux : Catherine Angot s'expose à la douleur de se confronter à une femme qui dénie les conséquences de l'inceste qu'a commis son mari. Mais c'est aussi un film d'une portée universelle qui au-delà du drame intime permet d'exposer aux yeux de tous l'aveuglement dans lequel on s'enferme dans la vie réelle, comment on élude, pour ne pas regarder ce qui arrive à des millions d'êtres humains. Ainsi, après cette séquence proprement unique dans l'histoire du cinéma, Christine Angot va-t-elle extirper ce qui fait toujours mal chez sa mère et son ex-mari et dire ce qui fut pour que ces paroles permettent d'aimer mieux au présent. L'effet cathartique de la parole enregistrée pour tous en fait un puissant outil de surgissement de la vérité; remarquablement construit,c'est le plus puissant des documentaires autobiographiques.

Reconnaitre ce qui a eu lieu

La séquence enregistrée le 12 septembre 2021 consistant à interroger quelqu’un sur ce qu’il ne veut pas voir, l’inceste et ses conséquences, et se refugie derrière un paravent de louables convenances sociales est unique. Certes dans le déchirement du voile de l’aveuglement il y eut Festen (Thomas Vinterberg, 1998), filmé d’un seul mouvement mais avec un scénario extrêmement préparé à l'inverse de ce qui se fait ici. Il y a les psychodrames de la téléréalité, confrontant des personnes perdues de vue mais la production s'est assuré que tout devrait bien se passer. Peut-être le seul exemple équivalent est-il Shoah (1985) où Claude Lanzmann force la porte des habitants survivants et les interroge sur ce qu’ils ont vu quarante ans auparavant.

Elizabeth se protège: elle compatie à la douleur, elle n'a pas rien fait puisqu'elle a argumenté pour la reconnaissance de Christine par son père ; après l'appel de Claude en 1996 lui apprenant l’inceste, elle n'a pu interroger son mari atteint d'Alzheimer ; elle n'a pu imaginer qu'il ferait cela; elle s'est protégée de l'irreprésentable par la dénomination "roman" des récits de Christine Angot. Ces réponses socialement acceptables ne répondent pas au besoin de reconnaissance de ce qui eut lieu. Pire, Elizabeth transforme Christine en rivale, lui reprochant d’être venue chez elle sachant "la relation" qu’elle avait avec son père.

Le premier entretien avec la mère est difficile. On croyait avec Un amour impossible (2015) et son adaptation par Catherine Corsini (2018) que toute la vérité avait été dite. Mais dans ce récit tout entier tourné vers l'amour de la mère, c’est seulement Christine Angot qui rassemble mère et fille dans ce rôle de victimes d'une vengeance de classe ; violer la fille pour humilier la mère une fois de plus. Pour Rachel, toutes les rencontres avec sa fille sont difficiles mais elle ne se dérobe pas. Elle déclenche la colère de sa fille en se réfugiant derrière la douleur que ce fut pour elle de voir sa fille s'éloigner sans qu'elle en comprenne le pourquoi. Mais la lecture du carnet de notes suivant la publication du Voyage dans l’Est la force à parler de ce qu’à subi sa fille qu’elle n’a pas pu protéger.

La rencontre avec Claude est immédiatement plus complice. Seul le moment où celui-ci tente d’expliquer son immobilisme par le respect envers Christine suscite je rejet de celle-ci.

Documentaire autobiographique

Les questionnements de Christine Angot, auprès d’Elizabeth Weber, Rachel Schwartz, Claude Chastagner, Charly Clovis et pour finir sa fille Léonore Chastagner, alternent avec d’autres types d’événements autobiographiques intervenus au passé et qui ont pour support visuel des extrait vidéo de l'enfance de Léonore entre juillet 1993 et mai 1995 où sont lus, presque à chaque fois, des passage du Voyage dans l'Est. Ils rappellent ce que Christine Angot a vécu. S'ajoutent à cela des moments de contextualisation avec les commentaires des photographies .

Dans ces extraits vidéo, le moment le plus étonnant est sans doute celui coupant l'entrée de Christine Angot et des camarawomen chez Elizabeth, moment le plus fort du film. Christine Angot s'exprime sur son désir de filmer, en 1993, l'enfance de sa fille face à Claude qui filme et lui dit que c'est une perte de temps s'il faut en plus regarder ces vidéos. Mais Christine Angot déclare qu'elle aime ce double regard, le sien et celui de la caméra sur ce qui arrive. C’est comme si elle anticipait ce qu'elle dit en septembre 2021 en ayant besoin d’amis pour la soutenir et qu'elle ne peut parler seule, qu'il faut que l'événement soit enregistré.

Christine Angot cinéaste

La fabrication très élaborée du film, loin d'être un artifice, dit bien au contraire le souci d’écriture de Christine Angot cinéaste. Le tournage est pensé avec deux caméras pour filmer le champ contre champ des entretiens. Sont par ailleurs reconstruits le matin du 12 septembre où Christine Angot à la fenêtre peine à contenir sa douleur avant l'affrontement ou le refus du dialogue, ou le moment où elle apprend être accusée par sa belle-mère de violation de domicile. Ces moments sont manifestement filmés pour reproduire ce qu’ils furent car on imagine mal Caroline Champetier être présente tout le temps chez Christine Angot. Christine Angot ne peut se satisfaire non plus d'un entretien avec sa mère inabouti et, lors du second entretien, elle la filme à deux moments, dans le jardin et dans la cuisine, pour exprimer mais aussi contenir l'émotion avec cet accessoire qu’est le carnet de notes. Le film enfin s'ouvre et se ferme par Eléonore heureuse qui revient de la boulangerie et jouant avec son père au bord de la méditerranée sur la chanson La mer interprétée par Caetano Veloso.

Dans la seconde interrogation de Rachel, celle-ci se souvient de la remarque de Christine à treize ans lui disant qu’elles ne forment pas une famille. Il est probable que le titre donné à son film, qui se boucle ainsi sur le bonheur d’Eléonore passé et présent, vienne contredire cette affirmation. Une famille, c’est  celle de Christine Angot aujourd'hui.

Jean-Luc Lacuve, le 21 mars 2024

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