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Un amour impossible

2018

Avec : Virginie Efira (Rachel), Niels Schneider (Philippe), Iliana Zabeth (Gaby), Coralie Russier (Nicole), Simon Bakhouche (Alain), Jehnny Beth (Chantal adulte), Estelle Lescure (Chantal adolescente), Ambre Hasaj (Chantal à 3-5 ans). 2h15.

À la fin des années 50 à Châteauroux, Rachel, modeste employée de bureau, rencontre Philippe, brillant jeune homme issu d'une famille bourgeoise. De cette liaison passionnelle mais brève naîtra une petite fille, Chantal. Philippe refuse de se marier en dehors de sa classe sociale. Rachel devra élever sa fille seule. Peu importe, pour elle Chantal est son grand bonheur, c'est pourquoi elle se bat pour qu'à défaut de l'élever, Philippe lui donne son nom. Une bataille de plus de dix ans qui finira par briser sa vie et celle de sa fille.

C'est principalement dans le roman L'inceste (1999) que Christine Angot décrit ce qu'elle a subi. Un amour impossible (2015), comme la voix off l'indique dans le film, est une longue lettre hommage à sa mère.

La thèse défendue est que l'inceste qu'a subi Chantal est un moyen d'humilier sa mère, une machination pour faire perdre une femme seule, pauvre, juive, belle et différente des autres. C'est une vaste entreprise de rejet, sociale, pensée, voulue, organisée, ourdie par un bourgeois qui a mal lu Nietzsche.

L'émancipation d'une femme grâce à un homme égoïste et original est le fil rouge qui traverse la première partie du film, chronique sociale de la vie en province à Châteauroux. Philippe y apparaît déjà détestable, laissant sans voix Rachel quand il lui avoue avoir fait de la prison pour avoir tué un homme sans en exprimer le moindre remord mais exaltant son père, le protégeant comme le bouclier du clan familial. Celui-ci s'effondrera avec le suicide de la mère de Philippe. La différence de classe sociale est sans cesse mise en scène par l'écart entre vacances en Savoie et vacances en Italie ou les hôtels bourgeois où s'installe Philippe alors que Rachel et sa fille habitent, heureuses, dans des HLM à Châteauroux ou Reims.

La fin explicite cette thèse quand Chantal, après s'être longtemps mise en colère puis s'être apaisée, revoit sa mère après cinq ans. Elle l'interroge dans un café :

- Pourquoi t'as rien vu ?
- Oui j'étais aveugle, crois bien que je le regrette, je le regrette tellement, tellement
- Rétrospectivement, tu as compris pourquoi?
- J'ai perdu confiance en moi
- C'est-à-dire
- Quand tu rentrais de chez ton père, quand tu revenais à la maison tu étais mal évidemment. Je pensais que c'est parce que tu me retrouvais; J'avais perdu confiance en notre affection et j'étais aveuglé par ça. Je pensais, c'est normal, elle en a marre de sa mère, je pensais que tu étais mal parce que tu n'avais pas envie de me voir, pas envie de me retrouver, que tu ne m'aimais plus.
- C'est vrai, tu pensais ça ?
- Oui
- Mais tu sais maman, je crois qu'il y a une logique dans tout cela, une logique de fer. Ce n'est pas une petite histoire personnelle, tu comprends. Ce n’est pas une histoire privée. Tu as raison de dire que tu as été rejetée. C'est une vaste entreprise de rejet, sociale, pensée, voulue, organisée y compris ce qu'il a fait avec moi.
- Je ne comprends pas bien ce que tu veux dire.
- Vous apparteniez à deux mondes, différents, étrangers l'un à l’autre. Tu étais seule, tu étais pauvre, tu étais juive, tu étais belle, différente des autres. Le but c'était de te faire perdre. C'est l'histoire du rejet social. Il fallait que vous restiez séparés socialement. Puis la chose s'est compliqué avec la mention du père inconnu ; ça, t'as pas pu le supporter.
- Je ne pouvais pas, je trouvais ça injuste.
- Mais si je portais son nom, il n'y avait plus de séparation entre vos deux milieux, entre vous. Et tu t'es entêtée pour que ce soit inscrit sur mon livret de famille qu'il était mon père.
- Mais puisque c'était la vérité.
-Bon, mon état civil changé, je suis reconnue comme sa fille.
- Mais tu es sa fille.
- Voilà, sauf que c'était contraire à la logique de leur camp. Donc qu'est-ce qu'il pouvait faire. Bah, il a trouvé. Il a ignoré l'interdit fondamental pour les parents d'avoir des relations sexuelles avec leur enfant. Ca ne le concernait pas; pas lui, comme s'il n'était pas mon père et que je n'étais pas son enfant, il était au-dessus de ça ; il était au-dessus de toi ; au-dessus de nous, des règles sociales
- Tu crois?
- Oui je crois, je crois que c'est ça. J’en suis sûre même.
- Oui peut-être. Mais enfin, il s'est quand même rendu coupable de quelque chose de très grave.
- Mais tu sais, ce qu’il m'a fait à moi, c'est quelque chose qu'il a fait à toi aussi, avant tout. Pour humilier quelqu'un, le mieux c'est de lui faire honte, et qu'est-ce qui pouvait te rendre plus honteuse que ça, que de devenir, alors même que tu pensais être sortie du tunnel, être la mère d'une fille à qui son père fait ça.

Jean-Luc Lacuve, le 28 septembre 2022.

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