Rue Santa Fé
2007

C'est dans cette maison, rue Santa Fe, dans les faubourgs de Santiago du Chili, où elle revient en 2002, que Carmen Castillo vécut les moments les plus intenses de sa vie.

Durant dix mois, elle vécut rue Santa Fe dans la clandestinité, après le coup d'État militaire du 11 septembre 1973 qui a porté Pinochet au pouvoir. C'est là que son compagnon, Miguel Enriquez, leader très charismatique des MIR, le mouvement de la gauche révolutionnaire chilienne, a été tué par les militaires au service de la nouvelle dictature, le 5 octobre 1974. Quelques jours plus tard, blessée et enceinte, Carmen était expulsée en France.

Une voisine l'accueille et la prend dans ses bras. Mais c'est cette même voisine que l'on voit répondre sans émotion dans un extrait d'archives de télévision au journaliste du pouvoir disant tout ignorer de ses dangereux activistes de voisins. Le patio où s'est effondré Miguel n'a pas changé, tout juste le sol de boue s'est-il transformé en dalle de béton. Y habite maintenant celle qui n'était alors qu'une toute petite fille qui se souvient avoir joué avec sa la fille de Carmen. Une autre voisine, la buraliste, reconnaît Carmen Castillo, se souvient de Miguel Enriquez, mais son seul souvenir précis est la marque de cigarettes qu'ils achetaient en quantités.

Ce n'est pas le premier retour de Carmen. Elle revint une fois sous la dictature pour voir son père malade. Elle revint une autre fois après la fin de la dictature sans reconnaître ce pays transformée en démocratie vouée à l'économie libérale.

Comme elle n'a pas fait partie du "mouvement du retour", lors duquel de nombreux exilés sont rentrés clandestinement au pays à partir de 1978 pour reprendre le combat, elle n'est pas retourné non plus après la chute de Pinochet préférant vivre à Paris.

Il est loin le temps où comme le montre un extrait télévisée, elle parcourait le monde tentant de gérer l'héritage en " veuve du héros ".

Lors du retour de 2002, Elle parcourt les rues et les librairies à la recherche du passé presque disparus comme les vieux numéros de El Rebelde, le journal clandestin du MIR.

De retour devant la maison, elle apprend qu'un homme l'a sauvée de la police. Manuel un voisin, un ouvrier lui a sauvé la vie. Il dit simplement, " C'était normal " et raconte " J'ai vu Miguel aller jusqu'au coin de cette rue… puis revenir vers la maison. A ce moment-là du combat il pouvait s'enfuir, sauver sa vie, mais il est revenu sur ses pas… C'est la preuve qu'il ne vous a pas abandonnée."

Bouleversée par ce témoignage inattendu, elle rencontre entre scepticisme et espoir nouveau les anciens clandestins. Ils lui rappellent en riant leurs exploits passés : les cheveux teints virant au rouge, les barbes et moustaches coupées car trop connotées révolutionnaires …mais tout aussi dangereuses car ces parties du visage qui n'avaient pas vu le soleil depuis des années étaient d'un blanc suspect.

Le présent c'est aussi celui des nouvelles générations qui continuent de défiler dans la rue, et accommodent désormais façon rap les slogans du MIR. Mais c'est aussi le refus, amical mais bientôt un peu las, de faire une grande cause politique de la transformation de l'endroit où est mort Miguel Enriquez en " lieu de mémoire ", comme tente de le faire Carmen : pour les activistes d'aujourd'hui, les priorités politiques sont ailleurs.

C'est aussi le cas des enfants de militants, abandonnés par leurs parents qui leur ont préféré une lutte armée, à présent contestable.

Pourtant il y a ce couple bouleversant d'émotion contenue dont les trois fils sont morts dont deux le même jour et qui expliquent qu'ils ne regrettent rien : leurs fils ont agi comme ils le voulaient. Ils les ont éduqués moralement maintenant qu'ils ont survécu à la douleur qui a failli les emporter pour les avoir laissés brisés, tels des loques humaines, durant des années.

Pourtant il y a ces femmes torturée évoquant avec chaleur ces années difficiles qui ne les ont pas détournées de leurs idées révolutionnaires

Pourtant, il y a ces femmes des quartiers populaires toujours prête à reprendre le combat contre l'injustice.

Carmen a retrouvé le sens du combat. Entourée de ceux dont elle partage désormais les idées, elle peut se contenter de poser une pierre du souvenir devant la maison où tomba Miguel : la lutte qu'il mena est encore vivante aujourd'hui.

 

Rue Sante Fe est un Documentaire autobiographique révélant, comme les meilleurs films de ce genre, la sensibilité de celle qui parle aujourd'hui avant d'apporter des informations sur son passé.

La force de Rue Santa Fe est de mettre en scène l'interrogation de Carmen Castillo autour des nombreux voyages qu'elle effectua au Chili pour saisir à chaque fois une sensibilité différente.

Le voyage de 2002 qui ouvre le film marque le basculement entre le scepticisme d'avant et le sens de l'engagement qu'elle retrouve après. Ce n'est pourtant pas ce revirement qui est mis en avant. Plus simplement, Carmen Castillo se contente de justifier classiquement ce retour comme celui vers une maison qui marqua sa vie pour y avoir vécu les moments les plus intenses de joie comme de malheur.

Ce n'est qu'au mi-temps du film qu'apparaît la rencontre décisive avec Manuel qui, peut-être en racontant une légende autour du héros Miguel, lui fait comprendre qu'elle n'a pas peut-être pas bien saisi ce qu'est l'engagement au quotidien. Séquence filmée sans tapage et d'autant plus bouleversante qu'elle semble décider de la nouvelle vie de la réalisatrice entre 2002 et 2007.

C'est depuis ce point fragile du présent, inquiet sur son engagement, sur la valeur du passé, sur la nécessité de la mémoire que part Carmen Castillo. Son cheminement pour racheter de la maison de la rue santa Fe va parrallement aux retours dans la mémoire inquiets mais débarassés du septicisme amer du début.

 

Jean-Luc Lacuve le 25/01/2008

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(Calle Santa Fe). 2h40.

 
Carmen Castillo
Genre : Documentaire autobiographique
Thème : Autobiographie