La voix off de Daniela et ses dessins, à l'aquarelle et au café, racontent qu'en 1997, alors qu'elle avait dix-neuf ans, son frère, Mimmo, était venu la chercher en Belgique où elle terminait des études. Il la ramenait chez eux, dans le nord de l'Italie. Il lui avait dit que leur père ne passerait pas juillet avec eux. Le père de Daniela avait accueilli sa fille avec affection puis s'était allongé sur le lit qu'il n'allait ensuite plus quitter jusqu'à sa mort. Celle-ci était intervenue un soir alors que Daniela, son frère et sa mère riaient à table. Le père avait appelé, souffrant terriblement. Cette souffrance insupportable, l'un d'eux y avait mis fin.
2007. Paola, la mère de Daniela a fait venir une femme d'une agence immobilière pour vendre la maison. Même s'il faudra longtemps pour déménager, il faut faire les paquets dans ce qui n'est plus aujourd'hui qu'une maison secondaire puisque Paola vit en France. Cette maison garde les souvenirs les plus heureux de la famille. Pour Rosario, le père napolitain, en être propriétaire c'était l'aboutissement de son rêve d'intégration réussie dans le nord de l'Italie. Paola, plus intellectuelle certainement, avait accompagné le rêve social de son mari. Aujourd'hui où il faut vendre, elle est malheureuse de quitter tous ces souvenirs qui s'effaçant déjà risquent de s'effacer bien plus encore. Elle se souvient ainsi de son ami l'invitant à regarder son potager ou de Mimmo à douze ans demandant à aller voir les têtards.
Les dessins et Daniela off racontent l'enfance heureuse. Lorsqu'il avait fallu inviter une vieille tante sénile, elle avait partagé le canapé avec son frère. Ensemble, ils avaient vu L'exorciste, cachés sous les draps. Ensemble, ils rêvaient de voyages en dévorant des gâteaux secs.
Aujourd'hui, Mimmo est devant la caméra de Daniela qui lui demande de montrer ses muscles. Mimmo y consent de bonne grâce. Il se souvient comme il aimait son père, sa force, sa capacité à le tenir à bouts de bras. Il espère un jour avoir des enfants pour les rassurer par sa force. Cette quiétude, ce bonheur, ils les devaient à leurs parents. D'un "je t'aime" Daniela lui fait part de son affection fraternelle, ne sachant trop s'il pleurera devant la caméra qui filme son émotion. Mimmo lui renvoie ces mêmes mots d'affection.
Paola montre ses boites de coquillages, d'hippocampes et de têtes de lapins. Elle qui fit une thèse sur l'araignée et compte bien instruire ses petits enfants. Mais autre chose la tracasse : qui donc coupa l'arrivée d'oxygène pour permettre au père de mourir ? Elle avait toujours cru que c'était elle. Mais Mimmo lui affirmé récemment que c'était lui.
Un des moments rituels de la famille, le dessin de la marmite le raconte, c'était la confection de la spécialité culinaire napolitaine au moment de Noël. Toute la famille s'y mettait pour l'offrir aux voisins. Ensuite, le soir, le père faisait des anguilles bouillies. Les anguilles avaient été nourries un mois durant dans la baignoire avant que le père ne leur tranche la tête. Ce qui faisait peur à Daniela.
Les souvenirs heureux manquent un peu au moment du déménagement. Ainsi de la déception sur la valeur des meubles hérités du grand-père. Heureusement le soir la mère et la fille se retrouvent autour des vieilles photos. Il y a même un moment d'archives vidéo.
Autre objet symbolique, la valise pleine de vêtements de la grand-mère. Rosario y avait enfermé à l'intérieur un mot disant vouloir ainsi toujours les conserver. Daniela n'a jamais voulu ouvrir cette valise, vérifier que le mot existait et qu'elle contenait bien les vêtements de la grand-mère tant, pour elle, cette passion morbide représentait pour son père la volonté d'échapper à la mort et comme une demande implicite, pour ses enfants, de garder aussi une trace de lui comme il gardait une trace de sa mère.
Paola décroche les belles poêles de cuivre du mur, qui, tels des tableaux laissent place derrière elles à des taches plus blanches et protégées du temps.
Daniela se rappelle des vacances à la montagne et surtout des sorties en bateaux où, tous les quatre, parents et enfants s'en allaient au large. Daniela plongeait, se retournait vers la coque du bateau, puis remontait en plein soleil.
Le titre promet une maison ; on n'en verra que l'intérieur. Il ne s'agit pas du portait d'une maison particulière mais bien plutôt du processus par laquelle chacun quitte la maison qui lui est chère. Tout ce qui y est attaché fait sens et émotion, la maison est intérieure, presque mentale et pourtant sensible. Le trajet par lequel on la quittera ira du plus douloureux au plus lumineux. Il s'agit ici d'un travail du deuil qui allège : il transforme les choses les plus lourdes, les souvenirs les plus encombrants en un regard lumineux sur les ombres du passé.
L'héritage de la collection
Le film est composé de différents éclats : dessins, dessins-animés, thaumatrope, objets emblématiques (grande marmite pour les gâteaux de noël, une valise sous l'escalier), photographies, bout de film familial ; moments composés (avec Mimmo, toujours patient et attentifs) ou plus tendus avec la mère (parfois exceptionnels : les photos comme si c'était la première et la dernière fois qu'on les voyait ensemble).
Ces éclats assemblés sont une dernière façon de congédier ce que pouvait avoir de trop lourd l'héritage familial de la collection. Ainsi, cette passion morbide du père de garder dans une valise les vêtements de sa mère et le mot qui parait-il disait qu'il voudrait toujours les conserver ainsi. Paola aussi collectionne, coquillages, papillons, insectes, hippocampes. Mais cette collection répond à une volonté pédagogique. Elle compte instruire ses petits-enfants avec ses boîtes de scarabées ou de coquillages rares.
Emporté dans un mouvement lumineux vers l'air libre
Le film se termine par le souvenir d'une plongée en eau profonde et sa remontée à l'air libre. Le film a suivi le même chemin : du plus terrible (la disparition du père qui n'est plus là pour protéger le frère et la sur de leurs peurs et dont il a fallu mettre fin aux souffrances inutiles) au plus léger : aujourd'hui où le film sort et que le travail du deuil s'est effectué par la grâce d'un regard.
Rarement documentaire autobiographique aura été aussi réfléchi (il a fallu cinq ans, de 2008 à 2012, pour réaliser le film) et sensible ; aussi empli d'objets pesants et pourtant emportés par le désir d'en garder une trace comme un mouvement qui plonge au plus profond pour remonter à l'air... libre.
Jean-Luc Lacuve le 02/06/2013.