Être vivant et le savoir

2019

Cannes 2019 Avec : Alain Cavalier, Emmanuèle Bernheim. 1h22.

Alain Cavalier prend le train pour la Suisse. Il s'offusque du prix du billet, 200 euros aller-retour. Il part rejoindre une amie d'enfance, atteinte d’une maladie incurable, qui va bientôt prendre une boisson létale sous contrôle médicale et judiciaire. C'est dans sa chambre d'hôtel qui va attendre sa mort. A 12h30, il allume une bougie, comme elle le lui avait demandé, pour accompagner sa mort. Il nous montre une photo de son amie de jeunesse alors qu'ils étaient jeunes adultes et dit être revenu ensuite s'allonger près d'elle, encore sur son lit de mort pour lui dire un dernier adieu.

Alain Cavalier est chez son amie l'écrivaine Emmanuèle Bernheim. Avec elle, il a le projet de faire l'adaptation du livre, Tout s'est très bien passé, où elle raconte la mort de son père, parti en Suisse mettre fin à ses jours. Elle doit jouer son propre rôle et Cavalier celui du père. Cavalier filme sa chambre. Dehors des moineaux s'ébattent. Sur les murs, à la tête du lit, figurent de multiples représentations de revolvers, des lithographies de Warhol aussi bien que de petits objets sans valeurs. C'est ensuite Emmanuèle Bernheim qui prend sa caméra et filme ses objets familiers. Elle lui prépare une soupe à base de fenouil. Il la filme ensuite en pied. Ils font un essaie aussi en extérieur.

Un matin d’hiver, Emmanuèle téléphone à Alain ; il faudra retarder le tournage jusqu’au printemps, elle est opérée d’urgence d'un cancer. Alain Cavalier la rassure, il attendra qu'elle se rétablisse et ils filmeront leur projet d'origine, juste un peu différent puisque du temps aura passé. En attendant, Cavalier filme la sculpture d'un ami de quarante ans qui l'appelle chaque fois qu'il termine une ouvre. Cette fois, c'est un piédestal sur lequel trône un tableau ancien d'une jeune mort qui n'a pu eu le temps de déguster son plat favori : deux œufs aux plats qui sont figurés sur un autre piédestal moins haut. Cavalier lui-même prend souvent deux œufs au plat le matin.

Le cancer d'Emmanuèle nécessite une chimiothérapie dont elle revient en forme; il la filme souriante mangeant une glace à la menthe. Mais une seconde tumeur s'est révélée tout près du cœur, qui va nécessiter un long traitement  car une opération pourrait s'avérer mortelle. Cavalier part à Aix en Provence dans sa maison d'enfance, habitée par sa cousine. Il joue la mort du père d'Emmanuelle comme il pourrait le faire dans son film. Comment jouer les derniers instants d'un hémiplégique ? Ce jeu n'est-il pas une façon d'apprivoiser sa propre mort ? Une sorte de répétition pour voir. Il demande à garçon de transformer une courge en petit personnage et à un un adolescent de réciter la passion du Christ à la première personne.

Au téléphone, Alain Cavalier est tenu au courant de la situation critique d'Emmanuèle. Un pigeon blessé s'est invité chez lui qu'il filme perché sur l'écran d'ordinateur ou piétinant son bureau....

Dans Le Paradis (2014), Alain Cavalier utilisait déjà un petit théâtre de figurines de plastiques, de clous, une pierre, des morceaux de bois pour évoquer La Bible et L'Odyssée. Ici ce sont un pigeon blessé, une courge desséchée, une petite figurine noire, un petit Christ de bois sans bras et un grand Christ sans pied recouvert de petites perles blanches qui constituent les éléments privilégiés du petit théâtre d'Alain Cavalier. Ils sont complétés de quelques morceaux de bois, de feuilles colorées, de fleurs de jasmin, de quelques moineaux et d'un couple de pigeons se bécotant. C'est dans ce petit théâtre blasphématoire, réconfortant et plein d'humour que Cavalier adoucit et rend pour lui plus intime et pour nous plus proches les émotions terribles qui le submergent face à l'approche de la mort; celle de Anne, son amie d'enfance, celle de son amie de trente ans, Emmanuèle, et la sienne à venir.

Jean-Luc Lacuve, le 10 juin 2019