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L'Allemagne en automne

1978

Thème : Autobiographie

Episode du film collectif L'Allemagne en automne de Alexander Kluge, Volker Schlöndorff, Rainer Werner Fassbinder, Alf Brustellin, Bernhard Sinkel, Katja Rupe, Hans Peter Cloos, Edgar Reitz, Maximiliane Mainka, Peter Schubert. 26 mn sur 2h04.

dvd chez Carlotta Films

En 1977, l'Allemagne brûle : le patron des patrons, Hans Martin Schleyer, est kidnappé. Des membres de la Fraction armée rouge prennent en otage un avion afin de réclamer la libération de la bande à Baader, alors emprisonnée. Cela se soldera par la mort des terroristes dans l'avion, ainsi que par les suicides simultanés et très invraisemblables des trois prisonniers : Baader, Raspe et Ensslin.

A la suite de ces événements qui ont fait trembler tout le pays, plusieurs réalisateurs se voient proposer la réalisation d'un court métrage, inséré dans un long : L'Allemagne en Automne. Fassbinder fait bien sûr parti de ceux-là, et sa participation à cet effort de réflexion est sans doute la plus personnelle de toutes.

Fassbinder se filme chez lui, en compagnie de son compagnon, alors qu'ils se disputent sur l'attitude à adopter dans ces circonstances. Il se filme lui-même paniqué, violent, profondément perturbé et malade. Et il filme aussi une conversation fascinante avec sa mère, femme démocrate qui a vécu sous le IIIe Reich. Celle-ci, totalement outrée par la prise d'otage, préconise l'assassinat des terroristes. Fassbinder, choqué par cette opinion paradoxale et gouvernée par la haine et la peur, demande à sa mère ce qu'il faudrait pour l'Allemagne. La réponse fait toute la valeur du film à elle seule. Telle une petite fille naïve, cette femme pourtant intelligente exprime à cet instant tout l'inconscient d'un pays : "ce qui serait le mieux, en ce moment, ce serait un maître autoritaire qui serait très bon, gentil et juste".

Pour Emanuel Burdeau (Séminaire cinéma de Caen), l'attitude de Fassbinder témoigne avec sincérité de son impuissance. Il se met en crise mais, en même temps, il se sent requis pour répondre. Ne pas savoir que répondre c'est le début de la politique. Si on travaille, comme artiste ou politicien, c'est pour être à l'écoute. Il ne s'agit pas d'une modestie de l'impuissance mais, pour Fassbinder, d'une chance de remettre les choses à plat et de répondre.

Il exagère cette reconnaissance d'une crise par la martyrologie qui consiste à se représenter comme un tyran domestique. Il exagère son personnage. Cette petite tyrannie est comme un reflet des deux discussions avec sa mère et son amant : œil pour œil dent pour dent. Son amant et sa mère tiennent un discours de déraison qui se fonde sur la déraison de l'ennemi.

Ce qui vient d'abord c'est la réponse alors que cette crise devrait conduire à interroger les démocrates sur ce qu'ils sont.

Il y a bien double scandale : le terrorisme est un scandale mais l'habituelle réponse n'est pas moins scandaleuse. La première attitude de Fassbinder est, selon le mot de Kafka, de "faire un bond hors du rang des assassins".

Poser le scandale de la réponse donnée ici par les démocrates est la première réponse politique. Il y a aussi et surtout geste de cinéma.

Le film est construit selon des séries de montages parallèles entre le dîner avec son amant et la discussion avec sa mère. Le montage parallèle semble dire : " tout est égal à tout ". Il répondrait alors à la même logique que celle de "œil pour œil dent, pour dent " ...ou du vin mélangé au coca comme on voit faire son amant. Les articulations du montage ou plutôt ses raccourcis sont comme les raccourcis du discours de l'opinion. Face à la racaille réponse de type racaille.

En se plaçant au centre de son dispositif, Fassbinder affirme toutefois que ces équivalences ne tiennent pas, que les choses ne se valent pas. Il casse la logique de l'équivalence, remplace les équations mathématiques, les équivalences logique et les égalités. La question du terrorisme m'est posée à moi. Je ne suis pas peu de chose, je suis institué dans son identité avec cette question là.

Dès le début, dès le coup de téléphone, Fassbinder affirme son existence "C'est moi Fassbinder". Pourquoi le film commence donc par ce flash-back d'un remords d'une interview que l'on voit juste après ? Il ne pourrait s'agir que d'un repentir, suite à l'actualité pressente, à l'égard de son entretien qui ne concerne que le domaine privé du mariage. Fassbinder y délivre en effet un message assez conventionnel qu'il a du déjà débiter des centaines de fois (tellement il y apparaît las) comme quoi il ne s'agit pas tant, dans ses films, d'être pour ou contre le mariage mais de permettre au spectateur de faire un état des lieux de sa propre relation de couple quitte à la rompre.

Le repentir serait alors didactique, dicté par une volonté de sérieux de ne parler que du grand sujet actuel sans le polluer par de petits problèmes. On peut y voir aussi une anticipation sur sa propre vie de couple, de sa vulnérabilité à l'extérieur.

Mais on peut y voir plus sûrement la volonté de Fassbinder de vouloir se réassurer comme maître de son dispositif de mise en scène.

Son analyse du terrorisme est qu'il produit un espace de panique (plus que de paranoïa), que l'on est terrorisé comme par les terroristes. Si Fassbinder se sent enjoint de répondre, c'est pour montrer qu'il convient de prendre le temps de réfléchir et de travailler à produire une réponse : c'est bien le sens de son travail de montage parallèle, de sa façon de se montrer au travail avec le magnétophone, ou de la citation de Freud escamotée sur le rapport du travail avec la santé.

 

Test du DVD

Editeur : Carlotta-Films, avril 2005. Coffret n°2. 5DVD. 80 €

Les 5 films : Le droit du plus fort, Les Larmes amères de Petra von Kant, La 3ème génération, Tous les autres s'appellent Ali, Maman Küsters s'en va au ciel.

Suppléments : Le bouc (1969), Voyage à Niklashausen (1970), Le segment d'Allemagne en Automne, court-métrage : Le petit chaos.

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