Dans Le cinéma français, de la Nouvelle vague à nos jours, Jean-Michel Frodon pointe les changements radicaux intervenus dans la production cinématographique, consécutifs à l’apparition du numérique et d’Internet, et à une série d’événements qui ont modifié le paysage du cinéma français.
Une politique culturelle à l'abandon
Libéralisme économique, désengagement de la puissance publique, mondialisation, essor des techniques numériques sont les maîtres mots de l'époque. Au CNC, après le départ du libéral Marc Tessier, ni Jean-Pierre Hoss, David Kessler, Catherine Colonna ou Véronique Cayla ne parviennent à dessiner une perspective d'ensemble où primeraient les intérêts collectif et artistique. Des moyens sont pourtant trouvés avec la taxation des fournisseurs d'accès à Internet et la création du crédit d'impôt... mais celui-ci renforce les productions lourdes.
Jack Lang, brièvement revenu au gouvernement comme ministre de l'éducation, lance le dispositif "Les arts à l'école", qui cherche à insuffler l'art dans tous les dispositifs éducatifs. Pour le cinéma, c'est Alain Bergala qui est chargé de l'organisation. Celle-ci s'appuie sur le volontarisme des enseignants les plus motivés, comporte notamment la présence dans les classes de nombreux professionnels (réalisateurs, techniciens, comédiens) accompagnants les approches théoriques ou historiques d'expériences pratiques. Il est complété par la collection de DVD, Eden cinéma, offrant l'acquisition d'une culture cinéphile avec des bonus pédagogiques de grande qualité. La défaite de Jospin en 2002 puis le départ en retraite, non remplacée de Christine Juppé-Leblond, très active responsable de l'enseignement du cinéma au sein de l'éducation nationale, laisseront le dispositif et les volontaires sans soutien.
En 2004, la remise en cause du statut des intermittents du spectacle fait tomber Jean-Jacques Aillagon et est négocié par Renaud Donnedieu de Vabres.
Avec la nomination de Christine Albanel, on assiste à la ghettoïsation de la culture en Actions culturelles, aux moyens de plus en plus rognés. La nomination de Frédéric Mitterrand en 2009 n'y change rien. La fête du cinéma, inventée dans l'esprit de la fête de la musique il y a vingt-cinq ans, devient une simple semaine commerciale. Chez les producteurs, Martin Karmitz passe la main à son fils Nathanaël, Claude Berri et Alexandre Arcady aux leurs, Thomas Langmann et Alexandre Aja, Daniel Goldman à Alain Goldman.
Des auteurs anciens et nouveaux
Dans cette histoire à rebondissements, Jean-Michel Frodon met en évidence les lignes de force qui déterminent le cinéma d'aujourd'hui, interrogeant les notions d’oeuvres et d’auteurs, modifiant et menaçant souvent la création la plus ambitieuse, et permettant pourtant l’éclosion de créations protéiformes, où convergent l’héritage et l’innovation. Il dessine les grandes tendances de ce nouveau cinéma en train de se construire : la porosité croissante entre le monde du cinéma et celui des arts plastiques, l’explosion du documentaire, les usages innovants des petites caméras DV, les multiples descendances du « big bang » de la Nouvelle Vague, l’importance décisive pour le cinéma français des réalisateurs issus de l’immigration, la richesse et la singularité d’une nouvelle génération de femmes réalisatrices et d’acteurs, et surtout d’actrices (Vincent Cassel, Louis Garrel, Chiara Mastroianni, Romane Bohringer, Charlotte Gainsbourg, Mathieu Demy, Laura Smet...).
Le cinéma ne s'est pas dissout dans la télévision ou les jeux vidéos. Les techniques numériques ou internet le transforment sous l'impulsion de l'école d'art du Fresnoy dirigée dans le Nord par Alain Fleischer, de la fondation Cartier ou du Centre Pompidou. Chris Marker après Zapping zone au Centre Pompidou en 1990 réalise le CD-Rom Immemory (1998), Hollow men, Chats perchés (2003) et laisse le chat Guillaume en Egypte vivre sa vie sur Second life. Agnès Varda, Chantal Akerman favorisent aussi le métissage avec les arts plastiques. Il en est de même avec le Collectif Pointligneplan, Vincent Dieutre, Jean-Claude Rousseau.
Le documentaire sort de l'ombre avec Etre et avoir (Nicolas Philibert, 2002), Le cauchemar de Darwin (Sauper, 2005), Le peuple migrateur (Perrin, 2001), La marche de l'empereur (Jacquet, 2005), Océans (Perrin, 2010), Secteur 545 (Pierre Creton, 2006), Mariana Otero (Histoire d'un secret, 2003), Denis Gheerbrant, Jean-Michel Carré, Alain Cavalier et sa petite caméra. le cinéma social donne Entre les murs (Laurent Cantet, 2008) ou Entre nos mains (Mariana Otero, 2010).
Parmi les anciens, Jean-Michel Frodon distingue ceux qui restent imperturbablement fidèles à leur cinéma (Rivette, Straub, Garrel, Chabrol, Doillon, Ruiz, Stévenin) et ceux qui enregistrent le changement d'époque (Desplechin, Godard, Resnais, Rohmer, Téchiné, Jacquot, Assayas, Claire Denis, Bruno Dumont)
La nouvelle génération de réalisateurs est principalement formée de Bertrand Bonello (Tiresia, 2003), Emmanuelle Bercot (Backstage), Marina de Van (Dans ma peau, 2002), François Ozon (Huit femmes, 2002), Christophe Honoré (Dix-sept fois Cécile Cassard, 2002) Serge Bozon (La France), Thierry Jousse (Les invisibles, 2004) Jean-Paul Civeyrac (A travers la forêt, 2005), Emmanuel Mouret, Alain Guiraudie (Ce vieux rêve qui bouge), Jean-Marie et Arnaud Larrieu (La brèche de Roland, 2000), Philippe Ramos (L'arche de Noé, 2000), Thomas Vincent (Karnaval, 1999), Gilles Porte (Quand la mer monte, 2004), Mathieu Amalric (Le stade de Wimbledon, 2002), Valeria Bruni-Tedeschi (Il est plus facile pour un chameau, 2003), Xavier Giannoli (Les corps impatients, 2003) Anthony Cordier (Douches froides, 2005), Céline Sciamma (Naissance des pieuvres, 2007), Nicolas Saada (Espions, 2009) Laurent Cantet (Ressources humaines, 1999), Isild le Besco, Mia Hansen-Love, Abdellatif Kechiche (La faute à Voltaire, 2001), Rabah Ameur-Zaïmeche (Wesh Wesh, qu'est-ce qui se passe ?, 2002), Alain Gomis (L'Afrance, 2002).
On reprendra aussi la thèse de David Vasse exprimée dans Le nouvel âge du cinéma d'auteur français (Klincksieck, 2008), qui discerne dans le cinéma des années 90 et 2000 l'omniprésence du thème de la reconstruction centré autour de groupes, de générations avec ses règlements de comptes et l'importance accordée au réalisme des corps et le genre documentaire.
Ce thème de la reconstruction, après la chute du mur de Berlin et, partant, des idéologies s'oppose au cinéma des années quatre-vingt, marqué par le néo, le look, le clip et la publicité et incarné avec plus ou moins de bonheur par le trio Besson, Beineix, Carax. A cette idéologie du visuel répond un souci de filmer sa génération, d'interroger un autre qui appartient à la même communauté et donc avec qui l'échange soit possible pour interroger la perception du réel, sa remise en cause et dégager un avenir.
Bibliographie :
Le cinéma français, de la Nouvelle vague à nos jours de Jean-Michel Frodon. Editeur : Cahiers du cinéma. 1190 pages au format 12,4cm x 19cm. 30 €. Novembre 2010. |
Principaux films français de 2002 à
2010 :
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Mystères de Lisbonne | Raoul Ruiz | 2010 | |
Liberté | Tony Gatliff | 2010 | |
Vénus noire | Abdellatif Kechiche | 2010 | |
Des filles en noir | Jean-Paul Civeyrac | 2010 | |
Des hommes et des dieux | Xavier Beauvois | 2010 | |
Maniquerville | Pierre Creton | 2010 | |
La quadrature du cercle | Philippe Worms | 2010 | |
Je suis un non man's land | Thierry Jousse | 2010 | |
Entre nos mains | Mariana Otero | 2010 | |
Les herbes folles | Alain Resnais | 2009 | |
Bellamy | Claude Chabrol | 2009 | |
35 rhums | Claire Denis | 2009 | |
Espion(s) | Nicolas Saada | 2009 | |
A l'aventure | Jean-Claude Brisseau | 2009 | |
Non ma fille tu n'iras pas danser | Christophe Honoré | 2009 | |
La fille du RER | André Téchiné | 2009 | |
L'idiot | Pierre Léon | 2009 | |
Irène | Alain Cavalier | 2009 | |
Le père de mes enfants | Mia Hansen-Love | 2009 | |
La vie au ranch | Sophie Letourneur | 2009 | |
Hadewijch | Bruno Dumont | 2009 | |
Un conte de Noël | Arnaud Desplechin | 2008 | |
La frontière de l'aube | Philippe Garrel | 2008 | |
Le premier venu | Jacques Doillon | 2008 | |
La belle personne | Christophe Honoré | 2008 | |
Dernier maquis | Rabah Ameur-Zaïmeche | 2008 | |
Entre les murs | Laurent Cantet | 2008 | |
La graine et le mulet | Abdellatif Kechiche | 2007 | |
Les chansons d'amour | Christophe Honoré | 2007 | |
Les amours d'Astrée et Céladon | Eric Rohmer | 2007 | |
Retour en Normandie | Nicolas Philibert | 2007 | |
Une vieille maitresse | Catherine Breillat | 2007 | |
Le fille coupée en deux | Claude Chabrol | 2007 | |
Les témoins | André Téchiné | 2007 | |
Ne touchez pas la hache | Jacques Rivette | 2007 | |
La France | Serge Bozon | 2007 | |
Coeurs | Alain Resnais | 2006 | |
Flandres | Bruno Dumont | 2006 | |
L'ivresse du pouvoir | Claude Chabrol | 2006 | |
Les anges exterminateurs | Jean-Claude Brisseau | 2006 | |
Klimt | Raoul Ruiz | 2006 | |
L'intouchable | Benoît Jacquot | 2006 | |
A travers la forêt | Jean-Paul Civeyrac | 2005 | |
Les invisibles | Thierry Jousse | 2004 | |
Rois et Reine | Arnaud Desplechin | 2004 | |
Adieu | Arnaud des Pallières | 2004 | |
Ordo | Laurence Ferreira Barbosa | 2004 | |
Notre musique | Jean-Luc Godard | 2003 | |
Tiresia | Bertrand Bonnello | 2003 | |
Ce jour là | Raoul Ruiz | 2002 | |
Etre et avoir | Nicolas Philibert | 2002 | |
Petites coupures | Pascal Bonitzer | 2002 | |
Choses secrètes | Jean-Claude Brisseau | 2002 | |
Dix-sept fois Cécile Cassard | Christophe Honoré | 2002 | |