Abel, lors d'un des anniversaires de la mort de son fils, Joseph, dit ne pas souffrir de cette mort. Son fils s'est détaché de lui comme une feuille de son arbre. C'est dorénavant lui le fils de Joseph.
Grâce à un petit théâtre d'ombres, on apprend que dans la famille d'Abel et de Junon, le premier né fut Joseph. A six ans, il fut atteint d'un cancer rare d'origine génétique qui nécessitait un donneur de moelle osseuse compatible. Ni ses parents, ni sa jeune sur Elisabeth n'étaient compatibles. Ses parents conçurent alors un troisième enfant dans l'espoir de sauver Joseph. Mais Henri qui allait bientôt naître, lui non plus, ne pouvait rien pour son frère - et Joseph mourut à l'âge de sept ans. Plus tard naquit un petit dernier, Ivan.
Junon chez elle prépare le thé. Soudain, elle s'écroule.
L'aînée. Elizabeth est l'aînée. Chez le psychiatre, qu'elle consulte une fois par semaine, elle se dit stérile, malheureuse et en colère de la tristesse et la haine qui l'habitent comme si elle n'arrivait pas à faire son deuil d'un mort qu'elle ignorerait. Ce n'est pas Joseph dont tout le monde parle. Ce n'est pas son fils Paul qui la fait pourtant souffrir. Ce n'est pas Henri non plus car elle l'a banni. Rien ne me manque dit-elle. Cinq ans plus tôt au tribunal de commerce, elle a racheté les dettes qu'Henri avait contractées dans un théâtre et que leur père allait payer au prix de sa faillite contre la promesse qu'il ne se représenterait plus jamais devant elle.
Au même moment à Roubaix. Junon apprend à Abel qu'elle est atteinte d'un cancer dégénératif qui va la conduire à la mort sauf don de moelle osseuse.
Paul Dedalus. Paris 1 heure du matin. Un psychiatre chez Paul. Puis Claude au chevet de son fils qui lui raconte l'intervention de l'ami psychiatre qui l'empêcha de se jeter du haut de l'escalier.
Le cadet. Henri traîne dans les rues, ivre et drogué, et se fracasse le nez contre la route.
Au même moment à l'hôpital de Roubaix, on confirme à Junon que son cas est désespéré avec 10 % de chance de survie au bout de cinq ans. Aucune chimiothérapie ne pourrait la guérir. Il lui faut trouver un donneur de moelle osseuse. Junon insiste et le médecin admet que l'un de ses enfants peut lui donner la vie. Prélèvement puis vision du microscope.
Le benjamin. Ivan vient à l'hôpital essayer de réconforter son neveu Paul. Henri rend visite à Simon dans son atelier. Ils discutent des fesses et tétons chers à Auguste Renoir et des enfants d'Ivan et Sylvia dont Simon vient de recevoir des photos. A Roubaix, Abel explique que Junon n'ayant plus de frère, chaque enfant à une chance sur seize d'être compatible. A Paris, Elisabeth annonce à Ivan que Paul est compatible mais qu'il ne le sait pas encore.
Basile et Baptiste sont à Roubaix. Junon explique face caméra que son mari tient cette maison d'un héritage reçu le jour de leur mariage. Elle est contente que tous ses enfants soient réunis autour d'elle pour ce Noël dont elle et sa maladie sont le centre. Paul, avec un couteau, fracture le coffre de ses parents et apprend qu'il est compatible. Junon dit à Abel sa méfiance vis à vis de Sylvia.
Henri est chez Christie's. Il reçoit la visite de Paul qui lui demande de venir le jour de Noël pour la réunion de famille à Roubaix auprès de Junon.
Vendredi 22 décembre. La lettre. Henri écrit une lettre à sa sur Elisabeth, lui indiquant qu'il n'attend pas de réponse ni de possibilité de sa part de s'excuser. Elle est comme une petite fille qui a cassé un vase. C'est un jeu qui a mal tourné et ni elle ni le vase n'en sont responsables. Elisabeth lit cette lettre dans l'ambulance qui conduit son fils dans une maison de repos.
Dans le train entre Paris et Roubaix, Simon et Sylvia attendent l'arrivée de Ivan. Dans la gare de Lillie, celui-ci dit sa joie de pouvoir aider son neveu
En regardant Songe d'une nuit d'été à la télévision, Paul a une hallucination avec un chien.
A Roubaix, les enfants sont contents de retrouver leur mère et s'amusent avec Simon. Ivan a emmené des pétards et une tenue de père Noël. Simon montre à Paul que ses comprimés sont peu de choses. Ivan et Sylvia vont réveiller Elisabeth.
Le soir, arrivent Henri et sa nouvelle conquête, Faunia. Ils font connaissance avec les enfants. Elisabeth se lève. Henri lui dit bonjour. Elle ne répond pas. Simon accueille Faunia d'un "Bienvenue en Arcadie". Ivan remarque qu'elle a le "pétard d'Angéla Basset".
Faunia regarde les photos et voit Madeleine, la première femme d'Henri, morte au bout d'un mois. Elle était jolie. "Elle conduisait mal", répond Henri.
Au repas, Henri annonce qu'il est compatible. Dans le jardin, la mère et le fils disent se détester. En revenant, Junon applle son fils son "petit juif". Faunia reprend l'expression alors qu'elle regarde Drôle de frimousse à la télévision.
En allant se coucher, Sylvia croise Simon dans la salle de bain et déclare, elle aussi, que Faunia a le cul d'Angéla Basset s'étonnant que le peintre ne l'ai pas remarqué.
Au téléphone, Elisabeth, en pleures, appelle son mari. Le soir au lit, Henri est couvert de bleus. Faunia lui dit de ne pas recommencer sans quoi elle le quitte. Au lit, Junon s'interroge sur la greffe. Elle ne veut pas finir brûlée vive.
Le matin, Spatafora offre un parfum à Junon et un cur en pendentif à Elisabeth. Alors que le pendentif apparaît en gros plan, arrivée en transparence sur celui-ci de Claude, le mari d'Elisabeth.
Samedi 23 décembre. Réunis. Claude n'a cessé de faire des calculs sur la maladie de Junon. A 9h30, il accompagne avec Elisabeth leur fils à la commission qui valide la possibilité pour paul de donner s amoelle à sa grand-mère. Dans la cave, où ils sont allés chercher du bois, Paul remercie Henri de faire la greffe. Celui-ci lui dit que c'est normal. Dans le bureau d'Abel où trône un tableau couvert de calculs, Claude fait le point sur les chances de survie de Junon. Il faut passer du discret au continu. On ne joue pas une probabilité de vie ou de mort mais l'évènement d'un coup. Malade ou pas en se soignant Junon gagnera deux ans et demi de vie.
Au déjeuner, Elisabeth offre à Junon l'acceptation de la commission pour Paul. Junon s'enfuit en apprenant qu'elle peut être guérie. Henri se fait tabasser par Claude qui s'en va. Cela fait rire Faunia. Elisabeth soigne son frère. Elizabeth va voir son père dans le jardin.
Les garçons vont se faire couper les cheveux. La greffe peut évoluer telle une chimère. Henri va à l'hôpital faire des examens et se fait rabrouer par l'infirmière qui trouve qu'il fume et boit trop. Henri signe à nouveau une autorisation de prélèvement
Faunia retrouve Junon au musée. Elles vont faire des courses à Lille. Faunia rentre toute seule.
Elizabeth se réveille. Henri c'est la maladie. Il représente le mal. Elle l'a banni pour se protéger et être seule
Junon rentre en ayant pris la décision de se faire opérer le 1er janvier. Ce sera Henri le donneur. Elisabeth essaie sans succès de persuader Junon de prendre la moelle de Paul.
Rose-Aimée, l'amie d'Andrée la grand-mère, vient offrir une lampe de poche à Paul. Feu d'artifice. Sylvia sait qu'elle a été donnée à Ivan par Simon qui l'aimait. Ils vont dans la salle des fêtes où Ivan fait le disc jockey.
Le soir, Sylviae consulte des potos et rappelle au public sa vie d'adolescente terne et l'amour des trois garçons. Elle descend dans la cuisine y retrouve Simon plongé dans un livre sur la Grèce éternelle qui lui avoue qu'elle l'aime. Elle lui dit qu'il a triché.
Le 24 décembre : le revenant. Discussion entre Abel et Ivan au café. Faunia regarde une photo de Joseph avec Junon. Scène du cimetière. Faunia s'en va. Elle ne veut pas passer Noël avec les Chrétiens. Elle dessine un cur sur la main de Paul. Plus tard, Simon se plaint d'avoir été spolié. Simon lui conseille de se calmer. Discussion entre Abel et Elizabeth sur La généalogie de la morale sur les chercheurs de connaissance et la connaissance de soi.
Claude revient pour le réveillon. Baptiste et Basil présentent leur Conte de Zorro. Lors de la remise des cadeaux, Elisabth retourne sa lettre à Henri. Lors du repas, Henri porte un toast vengeur envers Elisabeth et Junon. Il s'écroule. Il se réveille, découvre la famille regardant Les dix commandements à la télévision et s'en va avec Junon et Paul à la messe de minuit.
Au retour, Simon à disparu. La famille se met à sa recherche. C'est Sylvia qui le retrouve dans un café. Ils continuent de discuter dans la voiture. Sylvia devient enfin la maitresse de Simon.
Le 25 décembre : Allégresse. Il tombe de la neige. Les enfants découvrent leur père, seul, puis leur mère au lit avec Simon. Sur le parvis de la salle des fêtes où est affiché Le Nouveau Monde Sylvia redit son amour à Ivan. Paul et Henri courent sous la neige. Ils sont presque frères et Paul est sans doute guéri de la névrose qu'il tient de sa mère.
Elisabeth interroge son père sur le pourquoi de sa tristesse. Abel reprend sa traduction de la généalogie de la morale de Nietzsche : Chercheuse de connaissance, elle ne se connaît pas elle-même.
Les adieux. Le soir du 25 Claude, Elisabeth, Yvan et Sylvia et leurs enfants s'en vont. Restent à Roubaix : Paul, Henri et Simon. Le 1er janvier, Junon se prépare à partir à l'hôpital. Henri boit devant l'hôpital. On l'opère. Junon reçoit la moelle. Henri se réveille, vient voir sa mère et joue à pile ou face le résultat de la greffe. A Paris, Elisabeth sort sur la terrasse de son appartement et pense que la greffe sera une réussite..
Un conte de Noël superpose trois niveaux de lecture ou trois niveaux du conte. C'est d'abord une histoire de famille terrible où d'Henri, conçu pour servir de remède, n'a pas été accueilli dans la famille pour lui-même. Devenu remède inutile, il finit par incarner le Mal aux yeux d'Elisabeth sa sur qui le bannit de la famille. Son statut de donneur compatible pour sa mère contribue néanmoins à sa réintégration. A ce premier niveau du conte se superpose un récit qui pourrait être celui écrit par Elizabeth, écrivain de théâtre, et qu'encadre le petit théâtre de Thésée dans lequel se joue le prologue et qui se termine par les dernières paroles d'Elisabeth. Ce deuxième niveau du conte est placé sous le signe du Songe d'une nuit d'été. Le troisième niveau du conte est pris en charge par Despechin lui-même qui fait jouer tous les artifices du cinéma pour mieux promouvoir sa morale humaniste paradoxale proposant un nouveau monde où les parents ne cherchent plus à contrôler leurs enfants mais acceptent de devenir les enfants de leur enfant.
Une famille tragique
Dans le prologue, Elisabeth présente son jeune frère Henri comme un "enfant-médicament". Le projet d'Abel et de Junon consistait à guérir un enfant en en créant un autre : le placenta d'Henri étant attendu comme un remède au lymphome de Burkitt de l'aîné, Joseph. Ainsi, Henri n'est pas accueilli dans la famille pour lui-même, mais comme un objet conçu pour réparer le mal. Conçu comme un remède mais se révélant inefficace, il devient un poison familial et finit par incarner le Mal aux yeux d'Elisabeth qui le bannit de la cité Vuillard : "Je connais peu de gens qui furent autant haïs que moi ; et à chaque fois je m'en étonne" écrit-il à sa sur. Son statut de donneur compatible pour Junon contribue néanmoins à sa réintégration.
La pièce de théâtre imaginée par les enfants rejoue de façon cocasse l'épisode du bannissement d'Henri : Le prince Zorro est chassé du château par sa sur à cause de ses actions infamantes. Sous la torture, il avoue avoir "couché avec une bique". Sa réintégration dans le royaume lui coutera un bras ("On coupa le bras du prince et il devint très gentil"). De même la réintégration d'Henri dans le clan familial est rendue possible en échange de sa moelle osseuse. Dans la pièce des enfants, la crise trouve sa résolution dans un acte de démembrement puisque pour réparer le mal, le prince Zorro donne un morceau de sa personne : sur scène Basil scie le bras de son frère avec une épée en plastique et finit par arracher un bras de poupée qu'il brandit en signe de triomphe. Basile soustrait le mal du prince en le dépeçant. La victime est démembrée vivante devant une assistance complice. Ce geste est supposé apporter le salut à la communauté, en lavant les péchés du petit prince zoophile.
Abel, pétri de philosophie nietzschéenne comme on l'apprendra plus tard, accepte sans haine et ressentiment la mort de son fils. Comme la feuille se détache de l'arbre sans le faire souffrir, son fils est mort sans qu'il en ressente aujourd'hui la souffrance. Il a été façonné par le temps passé avec son fils ce qui fait de lui, aujourd'hui, le fils de son fils.
En contrepoint de cette mis en jeu de la vie intervient aussi une mise en jeu de l'amour. L'histoire de Simon et Sylvia montre à quel point il ne faut pas tricher en amour. Plus discrètement aussi, Desplechin suggère l'amour entre Spatafora et Elizabeth que celle-ci a refusé au profit d'un mari plus prestigieux, protecteur mais absent. Heureusement, là aussi, tout reste possible : "J'ai inventé Ivan en vivant avec Ivan. Je t'ai inventé en ne vivant pas avec toi" dit Sylvia à Simon en guise de promesse.
Henri, est l'incontestable personnage principal de ce premier niveau de récit. Le conte de Noël voit, après un affrontement sévère, réunir le fils et sa mère, le premier sauvant celle qui ne l'a jamais aimé grâce au don de sa moelle osseuse. Henri aura aussi enfanté sa mère en lui donnant sa moelle. L'opération a lieu le 1er janvier. En revenant de la messe de Noël, Henri avait expliqué à Junon que, selon la tradition juive, Jésus est circoncis à 8 jours (Genèse 17, 4, 14). Ce n'est pas la présentation au Temple, comme le croit Junon, mais la saint Prépuce qui est fêté le premier janvier, fête qui efface le péché originel.
Songe d'une nuit d'été
L'autre personnage de dimension tragique du film est Elizabeth qui a banni son frère car il incarne pour elle le mal, sans qu'elle sache elle-même sur quoi repose cette croyance. Un tel personnage, si totalement haineux, est encore plus improbable que l'histrion qu'est Henri. Elisabeth fait ainsi d'elle-même une version terrible dans le conte qu'elle nous propose peut-être. Cette hypothèse repose sur le fait qu'elle soit écrivain de théâtre et surtout que le petit théâtre de Thésée aperçu à la fin du film soit le même que celui qui sert au jeu d'ombres du prologue. Elisabeth est hantée par la crainte d'être stérile dit-elle à son psychanalyste et l'on doit certainement entendre cette stérilité par celle de la création plus que celle de la procréation puisqu'elle a déjà un fils. L'épilogue qui la voit heureuse sortant boire son thé sur sa terrasse parisienne peut difficilement s'expliquer par un changement de sa personnalité (elle a eu un dernier geste haineux envers son frère en lui remettant sa lettre comme cadeau de Noel) bien plus probable est que l'on a affaire, non plus au personnage du conte qu'elle a mis en scène mais à elle même, écrivain de théâtre, heureuse d'avoir terminé sa pièce. Elle reprend d'ailleurs la philosophie d'être l'enfant de son enfant, Paul, qu'elle a placé dans la bouche de son père lors du prologue. Elizabeth prononce enfin la dernière phrase du film qui résonne aussi avec la morale principale cette fois d'Henri énoncé dans sa lettre "n'agir que dans la mesure où on est capable de réparer". Or cette dernière phrase se trouve être une réplique de théâtre, la dernière de Puck dans Le songe d'une nuit d'été de Shakespeare : "Ombres que nous sommes, si nous avons déplu, pensez ceci : Que vous n'avez fait que dormir. Et tout sera réparé".
D'autres allusions au drame de Shakespeare sont explicites dans le film : la maquette du théâtre de Thésée, premier personnage de la pièce; l'apparition à la télévision d'une scène du Songe d'une nuit d'été (Dieterle, 1935) en parallèle avec l'inquiétante schizophrénie de Paul; la musique qui fait de nombreux emprunts au Songe d'une nuit d'été de Mendelssohn (opus 61, 1843) arrangée par Grégoire Hetzel : l'intermezzo, associé aux séquences du feu d'artifice qui apparaissent également comme une trêve dans la guerre familiale qui se joue ; l'ouverture, lors du départ de la famille à la recherche de Simon, où les violons énonçant un thème rapide et rebondissant soulignent la précipitation ambiante ; l'ouverture qui vient également illustrer le début du générique de fin.
Cette dimension féérique et souvent inquiétante des transformations du Songe d'une nuit d'été permet non seulement la création du personnage étrange d'Elisabeth mais aussi l'intrigue sous-jacente de l'amour interdit entre Simon et Sylvia (dont l'étymologie du prénom n'est pas anodine dans ce contexte). Dans Le songe, Hermia s'enfuit dans la forêt avec Lysandre afin d'échapper au mariage avec Démétrius arrangé par son père (ici par le groupe des trois garçons). L'hallucination de Paul voyant un loup, être de la forêt mystérieuse, au beau milieu du salon n'est pas sans rapport non plus avec la pièce même s'il se justifie par la légende familiale du loup Anatole enfermé dans la cave et l'autosuggestion dans la folie dans lequel s'enferme le jeune homme en croyant se doubler dans les miroirs.
Toute une dimension étrange et vampirique semble par ailleurs entourer les personnages de Joseph, Paul, Junon et Henri dont le sang est si particulier. Joseph a vampirisé les années où son père a du s'occuper de lui ; Paul se voit en être démoniaque; Junon a besoin de sang et Henri semble bénéficier du pouvoir des vampires de glisser sur les murs comme l'atteste sa féérique descente sous la neige la nuit du 24 décembre.
Un conte de cinéma
Au Songe d'une nuit d'été se superpose le conte de noël pris en charge par Desplechin lui-même qui fait jouer tous les artifices du cinéma pour mieux promouvoir sa morale humaniste paradoxale. En contrepoint de la référence au Songe d'une nuit d'été vont en effet se multiplier les références cinématographiques. Pareillement aux effets de déclaration face caméra ou face public que proposent cinéma et théâtre, Desplechin va multiplier les afféteries purement cinématographiques : plongée, split-screen, fermeture à l'iris, adresse caméra et citations. Mais c'est probablement dans sa manipulation du temps cinématographique que le film se montre le plus retors.
En contrepoint de la référence au Songe d'une nuit d'été (Dieterle, 1935) se multiplient les références cinématographiques. L'extrait de Drôle de frimousse (Donen, 1955) est plus humoristique. Faunia s'ennuie comme Audrey Hepburn dans sa librairie et attend que son prince charmant l'emmène loin d'ici là où elle trouvera l'excitation intellectuelle et éventuellement vestimentaire. L'extrait des Dix commandements (De Mille, 1956) fait d'Henri un nouveau Moïse. Celui-ci ouvre la mer rouge d'un geste du bras emphatique comme Henri accompagne la neige qui tombe pour la toute première fois lorsqu'il descend de sa chambre par la gouttière.
La référence à Vertigo (Hitchcock, 1958) est également utilisée pour le thème de l'omniprésence de la mort. Elle remplace la référence hitchcockienne à Marnie dans Rois et reine. On se souvient que dans Vertigo, Scottie entamait sa filature de madeleine par un arrêt dans le musée où il regardait Madeleine, abîmée dans la contemplation du portrait de Carlotta Valdes au bijou. C'est ce bijou qui allait la trahir une fois transformée en Judy. Desplechin nomme Madeleine la première femme d'Henri qui est morte... en conduisant mal. Il installe ensuite Junon dans une position semblable à celle de Madeleine devant le tableau, assise sur un banc. L'insert sur le bijou en forme de croix juive que porte Faunia avant le plan sur le tableau signe la citation.
Desplechin convoque enfin ses propres films. Paul Dedalus, le neveu d'Henri, est non seulement proche de lui parce qu'il porte le même gène rare qu'ils ont en commun avec Junon mais aussi parce qu'il porte le même nom que le personnage principal de Comment je me suis disputé interprété par Amalric. L'acteur fétiche de Desplechin reprend lui son rôle de fils Vuillard avec pour père le même Abel déjà interprété par Jean-Paul Roussillon dans Rois et reine. La lettre d'Henri à Elisabeth est lue, regard caméra, sur le même fond bleu-gris que celle du père à sa fille dans ce film.
Plus visibles sont les réductions du champ par la fermeture partielle de l'iris qui borde ainsi de noir les extrémités latérales du cadre pour concentrer le regard sur une zone centrale sphérique réduite. Très visible aussi, l'écran partagé en deux (split screen) à l'hôpital pour saisir l'infirmière et Henri. Tout aussi étonnant que le flash forward, l'adresse caméra de Junon puis de Sylvia, d'Elisabeth et de Claude.
Mais c'est probablement dans sa manipulation du temps cinématographique que le film se montre le plus retors. En scandant son récit par de stiters accomapgés de la date, Desplechin semble guider le specteur adsn son récit mais c'est pour mieux le perdre. La figure classique du flash-back est utilisée vaec parcimonie. Desplechin l'utilise sous la forme de flash mental lorsque Paul raconte sa tentative de suicide à son père puis lorsque Sylvia et Simon se séparent et que resurgit brièvement un flash de leur nuit d'amour. Le flash forward est utilsé ausis deux fois de manière plsu retors.
Lors de la scène initiale du cimetière, Desplechin prend bien soin de ne pas montrer l'assemblée réunie autour d'Abel en multipliant les axes de prises de vues dans les nombreux plans qui rythment le discours d'Abel. L'assemblée réunie autour de lui n'est pas identifiable. La journée du 24 décembre s'intitule "Un revenant" faisant enfin place à Joseph après ceux intitulés L'aînée, le cadet, le benjamin. Et cette journée commence par de brèves scènes qui évoquent Joseph. C'est d'abord une scène au café entre Ivan et son père qui s'interroge sur la possibilité théorique qu'aurait pu avoir le benjamin de sauver son frère s'il était né avant la mort de Joseph. C'est ensuite un dialogue entre Junon et Faunia au sujet de la photo de Joseph dans laquelle elle distingue Abel à l'arrière-plan. Puis la scène où Ivan, Abel et le prêtre sont au cimetière devant la tombe de Joseph. Le prêtre s'étonne que Abel ait choisi cette date pour être là alors que ce n'est pas la date anniversaire de la mort de Joseph, décédé en février... Abel réplique, qu'ainsi, il a le cimetière pour lui tout seul.
Après ces trois courtes scènes, on passe directement au départ de Faunia et à la soirée de réveillon avec ses multiples rebondissements. Les trois courtes scènes ne suffisent évidement pas à remplir la journée passée. La séquence du cimetière pourrait donc trouver sa place lors de l'après-midi du 24 décembre et justifier ainsi pleinement le titre de cette journée. En la plaçant au début, Desplechin souligne le fait qu'elle constitue pour lui le noyau créateur du film autour duquel il s'enroule à savoir l'histoire d'une filiation, d'une généalogie où ce sont les enfants qui enfantent leurs parents.
Deuxième moment énigmatique. La séquence du 22 décembre au soir lorsque Henri découvre sous sa chemise un corps couvert d'ecchymoses. Certes, on a déjà vu Henri tomber sur le nez alors qu'il était fin saoul. Mais de là à penser qu'il est masochiste, il y a un pas que nous ne franchirons pas. Si la scène surprend, on l'oublie bien vite et, une fois le film fini, on la replace lors de la soirée du 23 alors qu'il a été tabassé par Claude. Et effectivement celui-ci, après lui avoir décoché plusieurs coup de poing, le frappe à coups de pied dans le haut du dos. Il s'agit donc bien d'un second flash forward.
Desplechin condense en trois séquences nocturnes les angoisses violentes des trois personnages les plus symboliques du film. Henri se trouvera exposé aux coups générés par les deux femmes qui le haïssent : Elisabeth qui vient, glaciale, dans la séquence précédente d'appeler son mari au secours alors que dans la séquence suivante, brûlante, Junon va momentanément refuser l'opération de peur de finir brûlée vive.
Les chercheurs de connaissance et l'éternel retour
Perçus plus ou moins consciemment ces correspondances entre trame narrative au présent et histoire du cinéma surgissent comme autant de signes générateurs d'émotion. Elles font partie de l'engagement personnel de Desplechin dans son film. Il n'est pas question pour lui de rester en retrait dans le conte familial qu'il a mis en place. Si les photographie des personnages jeunes sont celles de prises dans la vie privée des acteurs qui les interprètent, il est fort probable que la photo de Joseph soit celle de Desplechin lui-même.
Elizabeth, auteure de théâtre, est une chercheuse de connaissance tricotant sa vie comme une tragédie. Mais, ce faisant, elle n'a pas cherché à se connaître et a fini malheureuse, écartée du monde, comme le suggèrent les images d'un Roubaix déserté qui accompagne la lecture d'Abel du passage de La généalogie de la morale. Car telle est bien la morale du jeu chez Nietzsche. L'important est de rendre possible l'éternel retour. Il faut que les dés reviennent. L'important est de pouvoir jouer à nouveau, le résultat important peu. Eternel retour des morts, des revenants dans notre souvenir, éternel retour des figures du cinéma, éternel retour de la prise de risque. Claude l'avait affirmé à Junon "Je sais que vous ne voulez pas jouer mais la seule liberté qui vous reste, c'est la mise". Et c'est cette folle espérance de vie qui saisit Henri lorsque, devant sa mère, il lance la pièce. L'important est d'avoir essayé de sauver sa mère, de l'enfanter et qu'importe la face sur laquelle tombera la pièce.
Avec cette filiation des enfants par les parents qui ouvrait le film, c'est rien moins qu'un nouveau monde que nous propose Desplechin. L'affiche du film de Terence Malick apparaît trois fois. Dans les toilettes de l'aéroport où Claude se rase en arrivant à Roubaix, dans la gare de Roubaix d'où Faunia s'en va pour Paris puis devant la salle des fêtes qui célèbre les retrouvailles d'Ivan et de Sylvia après sa nuit avec Simon.Ce sont décidément les enfants, avec leurs contes souvent cruels mais réconciliateurs, qui nous enfantent et Desplechin, déguisé en Joseph, est probablement le plus créateur de tous.
Jean-Luc Lacuve le 12 juin 2008 (après le débat du 5 juin au Café des images).
Bibliographie :