Armand de Montriveau, général français, débarque dans une île espagnole lors de l'expédition française pour rétablir l'autorité de Ferdinand VII. C'est dans le monastère qu'abrite cette île qu'il découvre que soeur Thérèse est la femme qu'il recherche depuis cinq ans. Il obtient l'autorisation de la voir en présence de la mère supérieure.
Cinq ans plus tôt sous la Restauration. Dès leur première rencontre, le général Armand de Montriveau tombe follement amoureux de Antoinette de Navarreins, coquette parisienne et épouse du duc de Langeais. Cette dernière s'amuse à le séduire mais se refuse à lui.
Comprenant que la duchesse manoeuvre et ne cèdera jamais, Montriveau décide d'ignorer son aimée et d'organiser sa vengeance...
Jacques Rivette domine, et de loin, tous les autres metteurs en scène pour l'adaptation d'Honoré de Balzac au cinéma. L'atmosphère de fantastique social, les puissances secrètes et les pouvoirs occultes le rapprochent de l'auteur de L'histoire des treize et du Chef-d'uvre inconnu, deux romans dont il s'inspira précédemment pour Out one (1971) et La belle noiseuse (1991).
Ne touchez pas la hache est le premier titre de Ferragus chef des dévorants, le premier opus de L'histoire des treize dont La duchesse de Langeais et La fille aux yeux d'or constituent une sorte de suite. C'est donc bien le fantastique qui imprègne la trilogie que Rivette souhaite réintroduire dans l'opus central, peut-être le plus mondain et le moins criminel des trois.
La première partie sur l'île espagnole mêle les thèmes de la forteresse (le monastère haut perché), de l'interdiction (les grilles et le rideau rouge qui interdisent l'entrée dans le chur de la chapelle) et du déchiffrement (le dessin en mosaïque sur le sol). On ignore d'abord comment Montriveau reconnaît Antoinette de Langeais. Ce n'est que bien plus tard, lorsque l'on comprendra qu'il a été bouleversé par un morceau joué par Antoinette, que l'on saura que, d'entendre seulement chanter celle qu'il aime, a suffit pour la reconnaître.
L'entrevue en présence de la mère supérieure se clôt théâtralement et dramatiquement par ces mots hautement prononcés "J'ai menti ma mère, cet homme est mon amant". Le rideau brutalement refermé nous renvoie au passé.
Les phrases de Balzac apparaissant à l'écran ponctuent l'avancée de l'intrigue qui s'organise comme une tragédie. Acte 1 : Antoinette se fait peur et s'amuse de son général. Acte 2 : Montriveau se venge. Acte 3 : Antoinette tente une dernière démarche avec l'envoi de la lettre par Vidame de Pamiers et la pendule arrêtée empêche Montriveau de la rejoindre.
L'acte 1 vaut par la légèreté d'Antoinette, sa façon de mettre en scène ses fleurs ou la lumière, d'inventer une pose pour s'opposer au désir du général au nom de sa santé, des convenances ou de la religion.
L'acte 2 revient au général : ses menaces lorsque Antoinette le provoque sur la banalité de ce mot "Ne touchez pas la hache" et où bascule alors la décision de se venger dans la soirée (acier contre acier). L'introduction dans cette partie de personnages plus actifs qui gravitent dans l'entourage d'Antoinette renforce la position inflexible de Montriveau.
La dimension fantastique culmine dans la troisième partie avec l'ivresse de De Trailles et de De Marsay ressassant les occasions d'employer "Etourdissante" ou "il y a du drame", les torches dans la nuit et les larmes d'Antoinette.
Rivette emporte définitivement l'adhésion par le retour dans l'île espagnole et l'atmosphère sauvage, au-dessus des lois, qu'imposent les Treize qui n'emporteront qu'un cadavre : Antoinette croyait qu'elle n'avait d'autre choix que de mourir de consomption.
La violence des propos des Treize, le cimetière par où l'abordage a lieu, le voilier seul sur la mer plate, l'atmosphère crépusculaire du cloître, l'appel à se souvenir d'Antoinette comme d'un poème de jeunesse, tout ici renvoi à un fantastique immémorial, aux noces de l'amour et de la mort dans l'éternité du mythe du hollandais volant.
L'édition DVD permet aussi de vérifier que lorsque Montriveau reconduit la duchesse après l'avoir menacée de la marquer au fer, au pied de l'escalier de son hôtel, on entend le cri des mouettes. Ce cri des mouettes s'intensifie dans le couloir qui les conduit dans la salle du bal.
Rien d'autre ne vient justifier ces cris que le pressentiment du drame qui se nouera dans la citadelle et que préfigure le discours halluciné d'Antoinette : "Mon ami je vous aime comme aiment vos bourgeoises. Ce monde horrible ; il ne m'a pas corrompue. Je suis jeune et viens de me rajeunir encore. Je suis une enfant, ton enfant tu viens de me créer. Ne me bannit pas de ton eden". Ce à quoi, Montriveau, buté, ne répond que par un "Avancez !" qui nouera le drame final.
Jean-Luc Lacuve le 30/03/2007 puis le 16/10/2007 (édition DVD).