A la gare Montparnasse, tout va mal pour Léna. Sa fille Augustine sous le bras, elle recherche son fils aîné Anton, dix ans, qui a échappé à sa surveillance et qui risque de lui faire rater son train. Ses enfants l'obligent à prendre dans son sac un bébé pie qui agonise sur le quai. Arrivée en Bretagne, elle retrouve sa mère, Annie, son père Michel, et sa sur Frédérique, qui va prochainement accoucher de son deuxième enfant.
Léna enterre la pie qui n'a pas survécu au voyage et écoute sa mère raconter aux enfants l'histoire de la mère ayant vendu ses enfants au diable. Elle laisse ses enfants adopter un petit chat. Léna découvre bientôt que sa mère et sa sur complotent pour son bien et ont convoqué son ex-mari, Nigel.
Michel, son père, de plus en plus souvent victime de perte de conscience, se souvient, après un nouveau malaise, avoir, six mois plus tôt, déménagé sa fille en catimini du domicile conjugal. Elle avait alors emporté avec elle ses deux enfants plaquant, outre son mari et son appartement, son travail à l'hôpital.
Aujourd'hui sa sur et sa mère ont donc décidé de la faire renouer avec la vie de famille et la vie professionnelle. Mais Lena ne l'entend pas ainsi. Elle fuit vers la gare avec Thibault, le mari de sa soeur. Elle ne supporte pourtant pas ses plaintes envers l'attitude haineuse de Frédérique (Elle a traité Thibault de hyène qui se nourrie des animaux qu'elle n'a pas eut le courage de tuer) et décide de retourner déjeuner dans la maison familiale.
L'après-midi, la famille accompagne les parents prendre leur car pour une excursion vers Rome. Les tensions dans la famille montent encore lorsque Gulven annonce son intention d'épouser Elise, une jeune fille que Léna et Frédérique méprisent pour son apparente niaiserie.
Le soir, Frédérique, Thibaut et leur fils, Bastien, remontent sur Paris faisant promettre à Lena d'accepter pour le mardi suivant un rendez-vous pour obtenir auprès du libraire chez lequel travaille Frédérique le poste lui permettant de la remplacer pendant son congé de maternité. Lena reste ainsi avec Nigel qui fait écouter aux enfants une chanson mais finit par se disputer avec lui... et s'est lui qui s'en va.
A Rome, Annie et Michel fuient la guide et se disent des mots d'amour dans un parc. Michel est pris de paralysie faciale et craint pour sa vie. Annie dans une église se souvient des premières années de son couple et de la naissance des enfants. Elle leur téléphone. Lena a décidé de ne pas accepter la proposition de sa sur et est rester en Bretagne.
Léna est cependant furieuse contre son frère Gulven qui a invité pour la soirée, Simon, le frère d'Elise qui doit se rendre avec lui au concert des Vieilles charrues. Elle se dispute avec Gulven mais finit par laisser Simon lui prendre un baiser. Elle le congédie pourtant pour la soirée, lui demandant de la laisser seule avec ses enfants.
Le soir tard, elle demande à Anton de rentrer se coucher. Celui-ci lui raconte la légende de Katell. Le père de la jeune femme désire la marier car son envie de danser éprouve de plus en plus son autorité. Katell accepte à condition de pouvoir choisir pour fiancé celui qui pourra la faire danser toute une journée. Le jour du pardon, elle trouve un fiancé qui répond à son goût et l'entraîne dans une danse avant même qu'il ne se rende à l'église. Le jeune fiancé meure d'épuisement. Katell en choisit un autre, puis un autre encore qui meurent à leur tour. Tous quittent alors la fête, horrifiés par l'intransigeance de Katell. Surgit alors un homme de cape vêtu et qui entraîne Katell dans une danse sans fin. C'est le diable venu la chercher pour l'emmener aux enfers.
A Paris, Frédérique pleure sur son sort d'épouse enceinte qui ne rêve que de divorcer. Elle le dit à Lena avec qui elle déjeune. Lena a trouvé un travail de fleuriste. Pas plus qu'à l'hôpital, celui-ci ne lui permet de s'occuper comme elle le souhaite de ses enfants. Elle demande ainsi un soir à Nigel d'aller chercher les enfants à l'école lorsqu'elle doit faire une livraison. En rentrant, elle trouve Nigel qui a couché les enfants, nettoyé la maison et préparé le repas. Elle se dispute avec lui car il tente de faire valoir ses droits d'ancien époux alors qu'elle veut avoir brisé nette leur ancienne relation en ayant divorcé. Lena pousse Nigel dans l'escalier mais, en esquivant l'un de ses coups, celui-ci déséquilibre Lena qui tombe en bas de l'escalier. Elle se relève en refusant son aide.
Fortement contusionnée, Lena a appelé ses parents à la rescousse. Mais ils ne font que la critiquer. Anton s'en aperçoit et Lena va le retrouver à l'école lui promettant de revenir le chercher le soir. Elle oublie. Anton est fort déçu de ne pas trouver sa mère. Celle-ci a trouvé des jouets pour ses enfants et s'apprête à rentrer quand elle rencontre Simon au bar qui l'attendait. Elle l'invite à passer chez lui ce qui ne plaît pas à ses parents... ni à Anton qui semble attendre que sa mère s'explique sur son absence de l'école.
Lena s'en va dans une chambre d'hôtel avec Simon mais le laisse seul au lit pour aller pleurer devant l'interphone de Nigel qui refuse de la recevoir étant avec sa nouvelle compagne.
Lena rentre chez elle et pleure dans les bras de sa mère. Anton, qui écoutait, est découvert et il se précipite au travers d'une porte-fenêtre intérieure de l'appartement. Le SAMU prend en charge Anton, grièvement blessé. Nigel, appelé au secours, décide de reprendre les enfants avec lui. Ce à quoi a déjà consenti Lena en larmes.
Plus tard Lena, Frédérique et sa mère discutent. Gulven lui demande aussi de savoir vraiment ce dont elle a envie. Ce qu'elle veut c'est fuir, elle fait ses paquets et laisse ses enfants à la garde de leur père.
Par bien des côtés, le film ressemble au chef d'uvre de Desplechin Un conte de Noël ou au film d'Assayas L'heure d'été. Des failles familiales se révèlent sous l'épaisseur romanesque faisant intervenir plusieurs lieux (Paris, Rome, Bretagne) plusieurs génération (Parents, enfants, petits-enfants) et fratrie complexe (Léna, Frédérique et Gulven). On y retrouve aussi un personnage central qui refuse de s'en laisser conter et même une explication face camera (Michel racontant comment il a déménagé sa fille).
La psychologie de Léna...
La force du film d'Honoré est d'imposer un personnage dont la névrose n'est pas sympathique à la différence par exemple de la nostalgie du passé pour le personnage de Frédéric interprété par Charles Berling dans L'heure d'été et de mettre en scène la façon dont il se fait toujours prendre à revers par le réel.
Le romantisme du film provient ainsi d'un personnage qui ne demande que de l'amour et ne reçoit souvent que des reproches et des humiliations (tu ne vois rien, t'es chiante, échec de l'histoire du lapin avec les baguettes en guise d'oreilles où Léna se fait prendre à revers par tous et découvre le complot tramé contre elle) tout en restant parfaitement intransigeante sur la poursuite de son rêve d'amante et de mère. Léna refuse la réalité qui oblige à des compromis pour partir plus loin continuer de rêver à un monde idéal (voir les paroles de la chanson finale). Elle refuse la morale du renoncement, celle de ses parents, de Nigel et de sa sur mais aussi de Simon et renonce à renoncer.
C'est une éternelle adolescente (Elle ne se voit que cinq ans de plus que Simon, elle est prise pour la sur cadette de Frédérique par sa patronne) qui refuse une réalité qui ne se plie pas à son désir. Elle refuse de réparer comme le père ou de nettoyer comme la mère.
...élevée au rang du mythe
Toutes ces touches psychologiques qu'Honoré dispense patiemment rendent le personnage de Léna plus ou moins sympathique selon la sensibilité propre à chaque spectateur. Mais Honoré profite du basculement du film de la campagne à la ville, du conte breton de Katell pour en faire un personnage de légende. Ce conte, dont les trois derniers quarts sont totalement muet est non seulement une prouesse narrative mais aussi un moment d'intense émotion qui fait de Katell un condensé de Léna. Katell préfigure l'intransigeance, l'obstination et la beauté tragique du destin de Léna. Les trois plans sur la gargouille de l'église saint Michel évoquent clairement la possibilité pour elle de mourir emportée par le diable.
Cette dimension de la légende, Honoré la travaille par une structure narrative ramassée en deux blocs compacts de quelques jours à la campagne et quelques jours à la ville qui sont l'occasion de nombreux plans de coupe mais aussi avec une utilisation tout à fait étonnante des décors, la forêt et l'eau. Ce sont autant d'harmoniques qui font résonner l'infinie de la mort et de la nature.
Deux grands blocs narratifs
Le film s'articule en deux grands blocs. Le premier du vendredi au lundi près du bourg de Guerlédan, à la frontière entre le Morbihan et les Côtes d'Armor. Le second, une fois l'enfant de Frédérique né, démarre à Paris avec le déjeuner commun des deux surs, la livraison des fleurs, le service rendu par Nigel et l'accident de Léna, suivi, sans doute le jour d'après, de l'arrivée des parents pour l'aider. Anton part fâché le matin pour l'école et sera accidenté le soir. Le film se termine deux jours plus tard, Léna ayant décidé de déménager à nouveau.
Il ne s'agit donc pas d'installer une sorte de suspens sur ce que va faire ou non Léna mais de creuser le pourquoi des décisions qu'elle prend. Ce pourquoi résonne en autant de rimes dispensées par le metteur en scène.
La première rime insistante du film est l'importance des animaux. Pie de Anton et Augustine, chiens des parents, poules de Gulven et Elise, chats des enfants- celui des enfants de Léna et celui qu'elle eut plus jeune avec sa sur-, vaches omniprésentes autour de la maison. Ces animaux disent probablement l'indifférence de la nature aux malheurs humains. Comme le plan de la petite file jouant au ballon alors que Michel craint pour sa vie dans le jardin du Janicule à Rome dit cette capacité de la vie à se perpétuer au-delà des malheurs de chacun. Cette importance de la toute puissante nature s'incarne aussi dans le sort réservé à la forêt et à l'eau. A la ville cette omniprésence du spirituel et du signe chez Honoré se traduit par deux affiches cinéma, celle de L'échange de Clint Eastwood (aperçue brièvement derrière Frédérique et Léna marchant) et celle des Enchaînés devant un cinéma où se rend Frédérique.
Pour faire résoner la forêt et ses mystères...
La forêt est un lieu inquiétant où Léna et Frédérique enterrent la pie, où Annie raconte la terrible légende de la femme qui vendit son enfant au diable et qui donne lieu à l'étrange flash-back des enfants perdus dans la forêt de Huelgoat raconté par Annie en fin de film.
La comptine chantée par les enfants, leurs petits pas filmés à hauteur des jambes gainées de bas violets et leur abandon le soir autour d'un improbable livre illustré de La légende des siècles disent qu'il s'agit là d'une métaphore pour quelque chose qu'Annie n'avoue pas franchement.
Léna et Frédérique ne semblent pourtant pas dupes de cette histoire où Annie raconte un adultère avec un certain Wonbreski... pas très doué, détesté du mari et qui écrit de si jolies lettres. Ce qui est figuré là, c'est sans doute l'irrémédiable solidarité des générations, incapables de se comprendre l'une l'autre. Les adultes sont enfermés dans leur logique de mariage et d'adultère alors que les enfants s'épaulent l'une l'autre, perdues dans la forêt.
Si Léna gardera encore un contact avec les siens dans l'après du film, ce ne sera ni avec ses parents ni avec ses enfants mais avec Gulven et Frédérique son frère et sa sur, les deux images qu'elle voit en flash mental lorsqu'elle est sommée de choisir ce qu'elle veut vraiment.
...et la rivière qui s'écoule et le lac étale
Près de la maison des parents, le cours de la rivière est filmé plusieurs fois. Le premier thème musical commence par un plan de cette rivière avant que la caméra ne s'élève pour cadrer une roue de vélo qui tourne. C'est alors que Michel nous raconte les circonstances de la naissance de ses enfants et le déménagement de Léna. Plus tard, lorsque les parents partent à Rome, plusieurs plans de la maison vide se succèdent pour terminer par un pan de la rivière sur laquelle volent des insectes. C'est aussi près de la rivière que reviennent enfants avec mari, ex-mari et fiancée après le départ des parents. Honoré se permet même un plan de caméra en mouvement sur l'eau qui n'est aps identifié comme perçu du point de vue d'un personnage. Il individualise ainsi cette rivière qui, à l'image de sparents, symbolise cette acceptation d'une vie qui coule naturellement. Dans cette vie qui glisse mollement, Léna ne trouve pas sa place. Elle ne peut que naviguer maladroitement sur la rivière comme l'indique l'épisode de pêche en canoë avec ses enfants.
Plus que l'hédonisme de la rivière c'est du lac étale en bas du Mont Saint-Michel de Brasparts, lieu de la cérémonie pardon, que se sent proche Katell/Lena. Ce lac de Brennilis obstiné et sans vague s'oppose à un hédonisme qui consent au renoncement et à l'écoulement des choses.
Jean-Luc Lacuve le 10/09/2009