Padoue, 1549 sous le règne d'Angelo Malipieri, installé comme podestat par la république de Venise voisine. Celui-ci vit dans la peur permanente du conseil des dix qui lui a donné tout pouvoir pour punir mais aucun pour pardonner. Il est jaloux de sa femme mais aime aussi la comédienne Tisbé qui passe pour sa toute puissante maîtresse mais qui ne lui a jamais appartenu.
Il accepte d'être rejeté d'elle mais se montre extrêmement jaloux des amants qu'elle pourrait avoir. Il veut bien croire que Rodolfo est le frère de Tisbé. Mais il est jaloux d'Omodei joueur de guitare qui a apporté de la part du révérant de Venise deux flacons, l'un, le blanc contient un narcotique très puissant qui endort pendant douze heures, l'autre, le noir, contient un poison mortel. Il est jaloux de Virgilio Tasca, son propre lieutenant, auquel Tisbé a parlé.
Tisbé lui explique que, dans chaque ville, elle s'adresse au chef de la police pour retrouver une mystérieuse jeune femme. Sa mère, condamnée à la potence par un sénateur vénitien pour avoir chanté sans la comprendre une chanson contenant quelques moquerie sur Venise. Une jeune fille avec le sénateur le pria d'épargner sa mère. En remerciement, celle-ci lui remit son crucifix en cuivre poli sur lequel était gravé le nom de Tisbé avec la pointe d'un couteau. Tisbé veut revoir celle qui a sauvé sa mère alors qu'elle avait seize ans et qui est devenue femme aujourd'hui. Elle offre pour cela dix mille sequins d'or.
Angelo parti, Tisbé reçoit Rodolfo qui n'est pas son frère mais son amant dont elle est affreusement jalouse depuis six mois qu'elle le connaît. Celui-ci semble pourtant indiffèrent et comme absent. Il la prévient aussi : une fatalité pèse sur les hommes de sa famille qui les conduit à tuer ceux qui les aiment.
Un homme mystérieux vient trouver Rodolfo. Il sait tout de lui. Il n'est pas Rodolfo mais Edzerino da Romana, héritier d'une ancienne famille qui a régné à Padoue et qui en est bannie depuis deux cent ans. Il y a sept ans à Venise, il avait 20 ans, il vit dans l'église saint Georges le grand une jeune fille très belle. Il écrivit à celle-ci qui lui répondit. Elle s'appelait Catarina. Elle resta pure. Elle était noble et ne pouvait épouser qu'un noble vénitien ou un fils de roi. Il essaya de l'oublier mais l'ancien amour est toujours réapparu sous les nouveaux.
Il y a trois mois le 16 février, une femme voilée a passé le pont Molineau et l'a conduit rue san Piero au palais Magarouffi. Trois fois par semaine, ils ont pu revivre leurs platoniques amours. Rodolfo n'a pas revu Catarina depuis cinq semaines et l'homme mystérieux lui propose de la retrouver ce soir à minuit.
L'homme mystérieux prévient ensuite Tisbé qu'il lui prouvera que Rodolfo aime une autre femme. Pour cela, elle doit réclamer comme un bijou, la clé que le podestat porte au cou. Ce qu'elle fait.
Acte II. L'homme mystérieux surprend, dans la chambre de Catarina, Daphné, la servante de celle-ci. Il est un espion du conseil des Dix comme le prouve une marque au creux du poignet. Si Daphné le révèle, elle sera tuée.
L'espion révèle à Rodolfo que la femme qu'il aime, Catarina, est Catarina Braghadini, la femme du podestat. et qu'ils se trouvent dans sa chambre, près de celle d'Angelo et de l'Oratoire et que d'être surpris là est puni de mort. Rodolfo accepte d'attendre Catarina dans ce piège. Elle survient bientôt avec Daphné pour déclarer son amour éperdu pour Rodolfo. Celui-ci sort de sa cachette et les amants expriment leur amour partagé.
Catarina découvre bientôt la lettre laissée par l'espion et qui déclare :"Un sbire qui aime est bien petit. Un sbire qui se venge est bien grand". Elle explique alors à Rodolfo que le sbire, Omodei et l'espion du conseil des dix ne font qu'un. Leur rencontre est un piège et elle cache Rodolfo dans l'oratoire attenant juste avant que des pas ne se fassent entendre.
C'est Tisbé qui entre dans la chambre, bien décidée à se venger de la noble Catarina qui lui a volé son amant. Elle alerte Angelo mais acte in extremis de prier avec Catarina découvrant alors le crucifix donné par sa mère.
Ainsi, lorsque Angelo survient, au lieu de dénoncer Catarina, elle explique être venue pour le protéger d'un complot. Catarina fait ainsi évader Rodolfo.
Acte III. Chez Orfeo et Gaboardo au-dessus de la Brenta qui arrose Venise et Padoue. L'espion est désemparé d'habitude les femmes jalouses se vengent explique-t-il à Daphné. Il ne comprend pas Tisbé. Ce qu'il éprouve envers Catarina qui le chassa de chez elle lorsqu'il lui déclara son amour, l'humiliant en le traitant fort justement d'espion, ce n'est pas de l'amour, ce n'est pas de la haine, c'est un amour qui hait. Il exige de Daphné la lettre écrite par Rodolfo destinée à sa maîtresse. Il est déçu de n'y point trouver de signature mais l'estime néanmoins assez compromettante. Rodolfo, survenant par là, apprend de Daphné que la lettre lui a été subtilisée par l'espion, qu'il croise alors... et qu'il tue d'un coup de poignard. Celui-ci, agonisant a néanmoins le temps de prévenir Orfeo et Gaboardo qu'ils seront récompensés s'ils portent la lettre subtilisée au podestat.
Orfeo et Gaboardo portent la lettre au podestat, qui en déduit l'infidélité de sa femme, mais se montrent incapables de se souvenir du nom de l'auteur de la lettre.
Angelo décide de se venger de celle qu'il tient sous sa coupe et ordonne l'exécution de Catarina. Tisbé feint de le soutenir mais lui conseille une mort plus secrète et raffinée par le poison. Comme Angelo n'en a pas sous la main, elle lui propose le sien, reçu de Venise, qu'elle s'en va chercher.
Acte IV. Angelo annonce à Catarina la sentence de mort qu'il a décidé pour elle. Elle s'y refuse et demande qu'on lui laisse la vie sauve dans un couvent. Angelo accepte si elle dénonce son amant et lui laisse une heure pour réfléchir.
Rodolfo survient alors et Catarina réussit à le convaincre que tout va bien.
Angelo et Tisbé reviennent avec le poison. Catarina refuse toujours de mourir et Angelo se décide à l'exécuter d'une arme. Tisbé a juste le temps de chuchoter à l'oreille de Catarina que le poison n'est en fait qu'un narcotique. Catarina boit le contenu du flacon tendu par Angelo. Celui-ci charge Tisbé de veiller à faire disparaître le corps de sa femme.
Acte V. Tisbé aidée d'Orfeo et Gaboardo a emporté le corps de Catarina sur une place où attend une voiture qui la conduira loin de l'état de Padoue avec Rodolfo. Tisbé ne rêve plus que de mourir dans les bras de Rodolfo. Justement celui-ci survient, fou de colère et de rage ayant par Daphné appris que c'est Tisbé qui a fourni le poison pour l'exécution de Catarina qu'il croit morte. Il ne cesse de proclamer son amour pour Catarina. Tisbé, désespérée, se laisse poignarder.
Catarina se réveille alors et reçoit les derniers mots de Tisbé qui lui demande de parler d'elle en bien à Rodolfo.
Sur un écran géant, au-dessus du corps de Tisbé. On voit Catarina rejoindre Rodolfo dans un café de la place denfert-rocherot. Tous deux semblent hantés par la mort de Tisbé.
Christophe Honoré exacerbe dans sa mise en scène le romantisme du drame de Victor Hugo. L'enjeu de la pièce est la tyrannie que les hommes font peser sur les femmes du fait de leur pouvoir de donner la mort. Angelo et Rodolfo, l'un haï des deux femmes et l'autre aimé par elles deux, sont réunis dans leur même rapidité aveugle à donner la mort à tort. Ils ne valent finalement pas mieux qu'Omodéi, l'espion, le troisième homme à aimer Catarina.
La fable racontée par Hugo garde son pouvoir contemporain, par cette dénonciation de la brutalité des hommes et l'exaltation de l'amour dépouillé de tout autre enjeu qui anime les femmes. Le pur amour de Catarina se traduit notamment dans les habits blancs qu'elle porte alors que la passion quasi christique de Tisbé est renforcée par ses habits noirs et la luminosité rouge qui baigne le dernier acte.
Plus que le pur amour de Rodolfo et Catarina, Honoré travaille les rapports entre absolutisme et érotisme affirmés dès la première scène. Le texte de Hugo se prête aux sous-entendus sexuels. Tisbé, originaire de Brescia, dit que celle-ci ne se serait pas laisser traiter par Venise comme Padoue. "Brescia se défendrait. Quand le bras de Venise frappe, Brescia mord. Padoue lèche c'est une honte". Honoré joue de cette violence érotique, Angelo pressant Tisbé, lui déchirant un bas et mimant une étreinte fictive alors que celle-ci se défend.
L'espace scénique renforce encore la transposition de la pièce à l'époque actuelle. La musique est celle d'une fête contemporaine, on y prend des photos avec des téléphones portables mais c'est surtout par la coprésence des deux constructions rectangulaires qui occupent la scène durant le premier acte qu'Honoré affirme sa volonté de moderniser le goût baroque du romantisme hugolien. Ces deux constructions rectangulaires sont d'une par la "boite" qui contient le decors de la fête du premier acte et d'autre part la "boite" contenant le decors de la chambre de Catarina qui sera celui du deuxième acte. Durant tout le premier acte, Emmanuelle Devos, qui interprète Catarina, soit sommeille dans le lit soit se lève pour éteindre une petit lampe et se recoucher. A la fin du premier acte, la "boite" du décor de la fête est poussée hors champ et c'est la "boite" de la chambre qui vient, en entier, occuper l'espace scénique.
Si l'on veut bien admettre que le baroque est caractérisé par un monde qui a perdu son centre, menacé sans cesse par les surprises de la périphérie, on reteindra aussi dans cette esthétique les propositions d'Honoré consistant à jouer des cintres du théâtre disposé au-dessus des boites lors des deux premiers actes et d'y faire jouer tout le troisième acte dans cet espace dépouillé de tout autre decors qu'un assemblage d'escaliers et de poutrelles où se croisent et se tuent les protagonistes.
Tout aussi baroque, l'intervention d'un micro, toujours introduit par le personnage d'Omodei, pour exalter le romantisme de certains passages du texte hugolien. Ainsi de la tirade de Tisbé racontant la condamnation à mort de sa mère dit avec émotion par Clotilde Hesme après qu'elle se soit montrée si forte avec Angelo, ainsi de la narration par Omodei du pur amour de Rodolfo et de Catarina, ainsi de la chanson "Comme la pluie nous manque parfois" extraite de La belle personne chantée entre l'acte II et III quand tous ont été trompés dans leurs attentes amoureuses.
L'introduction de références cinématographiques vient en effet aussi participer de tous ces éléments périphériques qui servent de chambre d'échos au message romantique de Hugo. On notera ainsi outre la référence à son propre film celle de la tête de cheval, référence au Parrain lorsque Catarina n'a plus qu'une heure pour elle avant d'être exécutée et l'exil parisien malheureux des amants situé place Denfert-Rochereau qui évoque Le pont du Nord de Rivette.
La menace de mort permanente qui pèse sur tous les personnages concerne d'abord paradoxalement Angelo. Sa connaissance de la fragilité de sa position lui confère d'abord une certaine grandeur lorsque Marcial di Fonzo Bo explique :
"L'inquisition d'état, le conseil des dix : des hommes que pas un de nous ne connaît et qui nous connaissent tous, des hommes qui ne sont présents dans aucune cérémonie et qui sont visibles dans tous les échafauds (...) Je suis sur Padoue mais ceci est sur moi (...) J'ai mission de dompter Padoue, il m'est ordonné d'être terrible. Je ne suis despote qu'à condition d'être tyran. Ne me demande jamais la grâce de qui que ce soit à moi qui ne sais rien te refuser... Tu me perdrais. Tout m'est permis pour punir, rien pour pardonner ; c'est ainsi : tyran de Padoue, esclave de Venise. Oui Tisbé, je suis l'outil avec lequel un peuple torture un autre peuple ; ces outils là s'usent vite et se cassent souvent.
Cette menace que fait peser la puissante Venise autorise les éclairages les plus baroques et même les contre-plongées de Dominique Thiel dont la captation de la pièce est tout à la fois sobre et intelligente.
La fidélité à l'esprit de Hugo n'empêche pas Honoré de traiter avec légèreté et humour quelques passages du texte. Hugo semble bien conscient de la fragilité du rôle de l'artiste lorsqu'il fait dire à Tisbé : "Je ne suis rien, une fille du peuple, une comédienne, quelque chose que vous caressez aujourd'hui et que vous briserez demain".
L'humour intervient d'abord à la fin de l'acte II lorsque Angelo, réveillé par Tisbé, apparaît en bonnet de nuit, complètement dépassé par les événements que contrôle alors sa maîtresse. Mais ce sont surtout les personnages de Orfeo et Gaboardo qui sont traités à la manière des bouffons shakespeariens. Manifestement non originaire de Venise, Honoré les fait parler un anglais globish tout à fait hilarant où les deux nigauds ne se souviennent pas du nom de Rodolfo et en viennent à découvrir leur homosexualité en mimant la sensualité de Catarina.
Jean-Luc Lacuve le 14/08/2009