Junie, seize ans, change de lycée en cours d'année suite à la mort de sa mère. Elle intègre une nouvelle classe dont fait partie son cousin Mathias. Il devient son ambassadeur auprès de sa bande d'amis : Marie et son frère Henri qui a Catherine pour petite amie... qui couche aussi secrètement avec Mathias qui sort avec Esther. Junie est courtisée par deux garçons du groupe : Jacob le photographe et Otto qui se dit le plus calme d'entre-deux. Elle consent à devenir la fiancée de ce dernier.
Mais elle est bientôt confrontée au grand amour, celui de Nemours, son professeur d'italien. Celui-ci est l'amant de la jolie professeure d'histoire géographie, Florence Perin qui soutient que l'on doit toujours avoir au moins deux points de vu sur les choses mais se fait piéger par Henri sur l'intransigeance du sentiment amoureux. Nemours est aussi l'amant de Marie, l'une des élèves de la bande.
Le regard de Nemours sur elle et l'air de La Callas chantant Lucie de Lammermoor le grand opéra romantique de Gaetano Donizetti adapté de Walter Scott, bouleverse Junie qui s'enfuit de la classe. Elle laisse sur son bureau la photo d'elle prise par Jacob et sait que Nemours la lui a volée.
Au CDI, Otto lui raconte les amours secrètes de la documentaliste avec les professeurs de sport et de mathématiques Estouteville et Sancerre. Il conclut que l'on ne connaît jamais bien ceux que l'on aime.
Nemours avoue à Nicole, la patronne du café Sully, puis à Estouteville son amour pour Junie et rompt avec Marie et Florence.
Lors d'une sortie à la cinémathèque où l'on projette Yaaba de Idrissa Ouedraogo, une lettre s'égare sur un fauteuil et tous pensent qu'il s'agit d'une lettre d'amour de Nemours. Junie en est bouleversée. Il s'agit pourtant d'une lettre reçue par Mathias et écrite par Martin. Mathias demande à Nemours de reconnaître la lettre pour sienne car il craint que Henri, qui ne supporte pas de le savoir avec Martin, n'use de représailles et révèle de manière scabreuse à tous leur homosexualité en publiant une photo compromettante sur le site du lycée.
Nemours accepte de récupérer la lettre auprès de Junie et convainc celle-ci qu'il n'en est pas l'auteur. Avec elle et Mathias, ils rédigent une fausse lettre. Junie fuie le cours d'Italien et s'en va derrière les murs du Lycée avouer à Otto qu'elle va quitter le lycée car elle craint de succomber à un amour qui la détruira. Nemours surprend leur conversation.
Pendant ce temps dans sa classe Henri cogne Mathias et tente de le poignarder d'un coup de ciseau. Il est arrêté par la police. Catherine s'en vient prendre de ses nouvelles au commissariat. Henri est libérer puis vraisemblablement acquitté. Il ne reviendra pas au lycée. Jacob récupère sa photo et console Esther.
Junie apporte une bande dessinée pour enfants à Otto où un ours qui porte son nom est le héros. Sur le mur, elle se déshabille devant lui. Otto est inquiet et la fait surveiller par Henri qui lui rapporte qu'elle a embrassé Nemours. De désespoir Otto se suicide.
Junie se refuse à Nemours car l'amour ne dure qu'un temps et, un jour, il l'abandonnera. Refusant cette douleur future qu'elle ne peut supporter ni aujourd'hui ni le moment venu, elle préfère s'éloigner. Nemours refuse pourtant cette défense et dit qu'il la combattra. Junie lui donne rendez-vous à pour le surlendemain à 17 heures. Elle n'y est pas. Mathias explique à Nemours que Junie est partie très loin et qu'elle ne veut plus jamais le revoir.
Sur le pont d'un ferry, Junie voit s'éloigner la côte.
C'est seulement lors du générique de fin qu'est signalé que La belle personne est une "libre adaptation de La princesse de Clèves de Madame de LaFayette". Il n'y a donc pas ici l'habituel marqueur de l'adaptation littéraire lors du générique initial : le livre qui s'ouvre où la référence dans celui-ci au roman comme chez Delannoy, Zulawski ou De Oliveira. Seuls les noms des personnages : Nemours, Mlle de Chartres, les Vallois (Henri et Marie), Mme de Tournon, Sancerre et Estouteville fort peu usités aujourd'hui viennent signaler de façon explicite la référence au roman.
Le désir d'Honoré de filmer rapidement sous forme d'une production légère financée par la télévision cette adaptation provient d'une provocation de Nicolas Sarkozy. Le président a en effet jugé aberrant que ce roman du XVIIème soit au programme des concours de fonctionnaires de catégorie A. Il est pour lui déconnecté des enjeux contemporains.
En déplaçant la cour d'Henri II dans le lycée Molière du XVIème, Honoré trouve lui pourtant, comme madame de La Fayette, que :
Jamais cour n'a eu tant de belles personnes et d'hommes admirablement bien faits ; et il semblait que la nature eût pris plaisir à placer ce qu'elle donne de plus beau, dans les plus grandes princesses et dans les plus grands princes. (La princesse de Clèves, partie 1).
Dans La princesse de Clèves, Delannoy se livrait à une transposition assez fidèle des péripéties du roman alors que La fidélité de Zulawski ne présentait qu'une analogie d'intrigue avec le roman. Honoré comme avant lui de Oliveira dans La lettre, se livre plutôt à un commentaire du roman. Honoré vise à exalter la grâce et l'élégance des adolescents d'aujourd'hui.
Condensation et "vaporisation".
Les épisodes les plus connus du livre : le vol du portait, les amours de madame de Tournon avec le comte de Sancerre et Destouteville, la lettre, la retraite de Coulommiers, l'aveu au mari, la mort du prince, la fuite de la princesse sont repris dans le film.
la retraite de Coulommiers et de
l'aveu au mari-fiancé condensés en une seule scène
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On notera le principe de condensation, théorisé par les adaptateurs Aurenche et Bost et consistant à rassembler eun uen seule scène plusieurs épisodes du livre est ici appliqué aux deux épisodes de la retraite de Coulommiers et de l'aveu au mari. Otto et Junie fuient le cours d'Italien et sont suivis par Nemours qui constate à quel point il est aimé.
Plus original est ce que nous pourrons nommer le principe de "vaporisation" qui consiste à faire revenir une scène utilisée une seule fois dans le roman.
"Vaporisation" de la scène
du vol du portrait-photo
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C'est ainsi le cas du vol de la photo qui donne lieu ensuite à la scène du couloir où Junie s'enquiert de cette photo et ne se montre pas dupe du déni de Nemours. C'est également le cas de la lettre qui est relue en pensée par Junie qui voit "jaloux" et non "jalouse", en déduisant ainsi qu'elle ne peut être adressée par une femme à Nemours comme elle l'avait cru en la lisant dans le métro.
"vaporisation" de la scène
de la lettre
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L'enjeu du roman est également conservé : la princesse refuse un amour qu'elle sait limité par les contingences terrestres au nom d'un idéal plus grand. Elle veut la pleine lumière et est blessée par les cachotteries des misérables intrigues de la cour.
Chez madame de La Fayette il s'agissait surtout d'une accusation de l'amour comme corrupteur de l'honneur qui ferait perdre sa "gloire" à la princesse. Pour Junie c'est surtout la brièveté de l'amour qui le condamné. Honoré a ainsi fait mourir la mère qui inculque les valeurs d'honneur un peu désuètes avant le début du film. Junie provient en droite ligne du personnage du Britannicus (1689) de Racine qui, pour échapper à Néron, finit vestale. "Je me protége de quelqu'un d'ici, de quelqu'un que je ne veux pas aimer. Voilà, la vérité c'est que je prends la fuite".
Les personnages de La princesse de Clèves.
L'aventure de Mathias rappelle celle du vidame de Chartres qui multiplie les liaisons et fait de faux serments. Si Mathias semble bien amoureux de Martin son nouveau compagnon, il semble particulièrement cruel à Junie pour avoir trahi Esther, sa petite amie tout comme Catherine et Henri. Celui-ci ira jusqu'à tenter de le tuer. Otto raconte aussi avec l'histoire de la documentaliste celle de Mme de Tournon avec Estouteville et Sancerre. Et il s'agit, là aussi d'amours où se mêlent sincérité et tromperies. "On ne sait jamais rien des gens en fait, même de ceux qu'on aime" conclura tristement Otto. L'extrait de Yaaba étend à l'Afrique la permanence de l'adultère : Razougou, le vagabond, courtise avec succès Koudi, l'épouse de Noaga.
Otto est aussi torturé que le Prince de Clèves et l'aveu de l'amour de celle qu'il aime pour un autre tue en lui ce qui restait de vie. A cet égard la chanson si proche du précédent film d'Honoré qui résonne en lui lorsqu'il court au suicide est tout à fait bouleversante. Les quelques rares dialogues qu'il prononce : "Pourquoi est-ce qu'elle n'a pas eu le cur déchiré comme moi la première fois que l'on s'est vu ?" sont souvent l'écho de sa présence dans l'autre monde (Otto n'est pas présent dans la littérature ou alors de façon tendre et dérisoire sous forme d'un conte pour enfants).
Jacques Nemours est un professeur idéal : beau, intelligent, amusant et apprécié de ses élèves il connaît le succès amoureux aussi bien avec les professeurs (Florence Perrin) qu'avec les élèves (Marie). Il connaît cette sorte de destin supérieur que lui envient Estouteville et Nicole, la patronne du café Sully. Il rompt avec ses anciennes relations amoureuses pour faire place nette à son nouvel amour pour Junie. Dans le roman, il lui vole son portrait ici se sera sa photo. Peut-être toutefois n'a-t-il pas les qualités exceptionnelles que lui prête le roman qui voit en lui le futur mari d'Elisabeth d'Angleterre. Mais ce que n'a pas le personnage, c'est l'acteur qui le porte : Louis Garrel, toutes les jeunes filles vous le diront, est un Nemours parfait.
L'âge et le teint pale de Léa Seydoux s'accordent à la description de madame de La Fayette :
"La blancheur de son teint et ses cheveux blonds lui donnaient un éclat que l'on n'a jamais vu qu'à elle ; tous ses traits étaient réguliers, et son visage et sa personne étaient pleins de grâce et de charmes".
Alors que ses cheveux ébène rappelle les héroïnes de Walter Scott celle de La fiancée de Lammermoor (1819). Elle pourrait même être La Callas chantant Lucie de Lammermoor l'adaptation du roman dans le grand opéra romantique de Gaetano Donizetti.
Pour un monde où la grâce existe
De position terrestre, Junie ne veut pas comme elle l'exprime à Nemours dans la chambre : "Si nous sommes deux personnes comme les autres, quelle sera la durée de notre amour ?" Il n'y a pas d'amour éternel. Même dans les livres, il n'y en a pas. Donc s'aimer, c'est aimer pour un certain temps. Il n'y aura pas de miracle pour nous. Nous ne sommes pas plus forts que les autres. Finalement Otto sera le seul homme qui m'aimera toute sa vie". C'est ce que chante aussi Alain Barrière en 1963 dans Elle était si jolie
Elle est bien trop jolie
Et toi je te connais
L'aimer toute une vie
Tu ne pourras jamais
Oui mais elle est partie
C'est bête mais c'est vrai
Elle était si jolie
Je ne l'oublierai jamais
Mais elle est partie
Aujourd'hui c'est l'automne...
On a pu dire ici ou là que les lycéens d'Honoré n'étaient pas crédibles. Probablement ne représentent-ils qu'une infime minorité des jeunes tout comme la morale de la Princesse ou de Junie ne concerne qu'une minorité. Cette exigence d'élévation spirituelle ne peut concerner que des adolescents sensibles à la grâce comme le figure peut-être ces plans où, dans l'attente de l'arrivé de leur professeur, ils contemplent un plafond peint sur la création du monde ou celui de Léa debout à demi nue en contre-plongée sur un mur du lycée.
Des anges peu faits pour ce monde-ci
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Cette constante flamme de l'esprit brillant dans la réalité fait le charme d'un film qui semble oublier la pesanteur du réel jusqu'à rendre parfois ses dialogues à peine audibles au profit du surgissement du signe. Ainsi ce sourire de la cliente du café dans laquelle reconnaît Chiara Mastroianni. Est-ce le clin d'il de l'ancienne égérie de Honoré à celle qui va peut être le devenir ou est ce celui de la précédente princesse de Clèves, celle de Oliveira à la nouvelle ?
La littérature joue ainsi dans La belle personne le même rôle que la comédie musicale dans Les chansons d'amour. Elle substitue au monde réel un monde fait de signes et de symboles qui emportent l'imaginaire des personnages comme celui des spectateurs. Comme d'habitude aussi chez Honoré les thèmes de l'amour et de la mort sont étroitement mêlés dans les mailles du quotidien. La force du cinéma d'Honoré est de travailler continuellement le symbole (morceaux musicaux, plafond peint, tour Eiffel) ou le simple signe comme éléments constitutifs du réel.
Jean-Luc Lacuve, le 17/09/2008 (Merci aux particpants de débat du 2 octobre au Café des Images)
Ricchi e Poveri - Sarà perché ti amo
(1981- 3m07)
Auteurs compositeurs Enzo Ghinazzi - Daniele Pace - Dario Farina |
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Che confusione, sarà perché ti amo E vola vola si sa, sempre più in alto si
va E vola vola si va, sempre più in alto si
va Ma dopo tutto, che cosa c'è di strano Stringimi forte, e stammi più vicino E vola vola si va, sempre più in alto si
va E vola vola si va, sarà perché ti amo Io canto al ritmo del dolce tuo respiro |
Quelle confusion, ce sera parce que je taime Et on vole on vole, on le sait, on va toujours plus haut Et on vole on vole, on le sait, on va toujours plus haut Mais après tout, quest ce quil y a détrange Serres moi fort et viens plus près de moi Et on vole on vole, on le sait, on va toujours plus haut Et on vole on vole, on va, ce sera parce que je taime Moi je chante au doux rythme de ta respiration |
Info Allo-Ciné : Une des raisons qui ont incité Christophe Honoré a réaliser cette adaptation de La Princesse de Clèves est une déclaration de Nicolas Sarkozy, faite en février 2006 durant un meeting à Lyon, lorsque'il était chef de l'UMP et candidat à la Présidence de la République. Critiquant le contenu des examens de la fonction publique, il avait notamment lancé :
"L'autre jour, je m'amusais, on s'amuse comme on peut, à regarder le programme du concours d'attaché d'administration. Un sadique ou un imbécile, choisissez, avait mis dans le programme d'interroger les concurrents sur La Princesse de Clèves. Je ne sais pas si cela vous est souvent arrivé de demander à la guichetière ce qu'elle pensait de La Princesse de Clèves... Imaginez un peu le spectacle !"
Choqué, le réalisateur note :
"Je ne peux m'empêcher d'être blessé et accablé par ce type d'ignorance. Que certains puissent défendre l'idée qu'aujourd'hui on n'a rien à apprendre d'un roman écrit il y a trois siècles est le signe d'une méconnaissance de ce qui fait l'existence même et de la nécessité de l'art pour l'expérience humaine. Je me suis lancé dans l'aventure avec la hargne de celui qui veut apporter un démenti."
Une fois à l'Elysée, Nicolas Sarkozy s'est de nouveau attaqué au roman de Mme de Lafayette : dans le cadre d'une déclaration sur la modernisation des politiques publiques, faite en avril 2008, il a vanté "la possibilité pour quelqu'un d'assumer sa promotion professionnelle sans passer un concours ou faire réciter par coeur la Princesse de Clèves !"