1963. Madeleine est une petite vendeuse de chaussures dans une boutique de luxe. Un soir, elle vole une paire d'escarpins Vivier et attire l'attention d'un homme qui lui propose 50 nouveaux francs pour une passe.
1964. Madeleine est devenue une occasionnelle qui arrondit ses fins de mois en faisant le trottoir. Elle tombe amoureuse de Jaromil, un de ses clients, bel interne en médecine d'origine tchèque qui lui propose le mariage si elle le suit à Prague.
1968. Madeleine a une enfant mais est délaissée par son mari. Elle décide d'aller le chercher chez sa maitresse, mais tombe nez à nez avec des chars soviétiques. Madeleine supplie Jaromil de venir avec elle. Mais comme il ne répond pas, elle fuit à Paris.
1974. Jaromil revient à Paris à l'occasion d'un congrès de médecins. Madeleine est mariée avec François Gouriot, un gendarme, mais n'hésite que peu de temps avant de retomber dans le même lit que Jaromil à l'hôtel Camélia. Elle décide de partir avec lui mais, pendant que Jaromil fait la morale à Vera, sa fille, Madeleine se laisse culbuter par son mari ce qui provoque la fuite de Jaromil.
Vera en est bouleversée et s'enfuit de la maison. Et c'est la Vera de 1997 qui chante sa détresse alors que sa mère vient à sa rencontre comme elle vint à sa recherche ce soir de 1974.
1994. Vera accompagne Clément à Londres et tombe amoureuse de Henderson, le batteur d'un groupe de musiciens. Elle le drague jusque chez lui mais Henderson lui révèle qu'il est gay. Le lendemain, elle assiste à une conférence de Clément venu présenter son roman qui s'appuie plus ou moins sur son métier de professeur de français. Henderson vient la rejoindre et elle le suit dans les toilettes où il lui fait un cunnilingus. Clément qui les entend enfermés dans les toilettes frappe violemment Henderson et insulte Vera. Celle-ci rentre à Paris ... où elle découvre son père avec sa mère. Jaromil est en retraite et vient s'installer à Paris où il renoue avec Madeleine qui habite maintenant Reims avec son mari. Jaromil tente sans succès de convaincre François de quitter sa femme. François accepte que sa femme ait un amant si leur vie de couple n'en est pas modifiée.
1997. Véra et Madeleine vivent difficilement leur amour pour leur bien-aimé. L'une le voyant trop rarement l'autre y pensant sans arrêt sans le revoir. Lorsque Vera se décide à rejoindre Henderson à Londres c'est pour apprendre qu'il a très certainement le sida. Clément tente en vain de la séduire. Vera retrouve son père au restaurant et celui-ci lui offre un sari rose qui tranche avec ses habits habituellement noirs. En se rendant à hôtel où il va rejoindre Madeleine, Jaromil reçoit une branche sur la tête. Il se relève mais s'écroule bientôt sous la fenêtre de Madeleine et meurt à l'hôpital.
2001. Véra se décide à rejoindre Jaromil à New York. Mais, en ce 11 septembre, tous les avions pour New York sont détournés vers le Canada, et c'est dans un hôtel de transit que Jaromil, accompagné du jeune Mathieu, vient la rejoindre. Henderson accueille sans enthousiasme la proposition de Vera d'avoir un enfant de lui par insémination artificielle. La nuit, leur relation amoureuse, avec Mathieu en tiers, est inaboutie. Fatiguée, désespérée, Véra avale une dose mortelle de médicaments alors que la télévision déverse en boucle les images des avions frappant les tours jumelles. Sa dernière demande sera de changer de chaine pour pouvoir danser avant de s'effondrer solitaire dans un coin. Henderson parti, inquiet, à sa recherche ne la trouve pas.
2008. Clément tente d'oublier Véra avec une nouvelle amante. Il hésite à se rendre à Reims pour fêter l'anniversaire de Madeleine qui le réclame pourtant. Il vient quand même et raccompagne Madeleine à Paris pour un dernier pèlerinage vers la porte de l'hôtel où elle rencontra Jaromil. Madeleine abandonne ses escarpins et rentre à Reims où François l'attend alors que son cur bat toujours pour Jaromil : "Je peux vivre sans toi, mais je ne peux vivre sans t'aimer".
L'amour est aveugle mais une fois que l'on aime c'est pour toujours et lorsque les malheurs de la vie éloignent les bien-aimés, on ne peut cesser de les aimer ; la séparation entrainant un poids sur l'âme de plus en plus lourd à supporter.
L'insoutenable légèreté de l'être
Cette thèse, Honoré la défend en déployant quarante-cinq ans de vie entre Paris, Prague, Londres, Reims et Montréal où les références cinématographiques, historiques et littéraire abondent. Ce déploiement dans l'espace et le temps est émouvant lorsque la mise en scène sublime la thèse en surajoutant, pour la beauté du geste, les chansons mélancoliques d'Alex Beaupin ou en faisant se succéder deux plans venus de strates temporelles ou référentielles différentes.
L'épisode 1963-64 évoque sans conteste l'enchantement des films de Jacques Demy entre les demoiselles de Rochefort et les parapluies de Cherbourg. L'épisode praguois renvoie à L'insoutenable légèreté de l'être de Kundera par l'attitude des personnages, la situation historique et l'emploi de Milos Forman, grand cinéaste tchèque dans le rôle de Jaromil qui fait contrepoids à celui de Deneuve en Madeleine. Les attentats du onze septembre joueront, à l'époque moderne, le même rôle de traumatisme que l'invasion de Prague en 68.
Dépression et effondrements
Honoré fait intervenir le onze septembre au travers des images de la télévision et en terre étrangère. Ce n'est pas l'attentat lui-même qui contribue au suicide de Véra mais il est un écho au sentiment d'effondrement trop lourd à supporter qu'elle subit. En demandant à changer de chaine, Véra tente moins un acte scandaleux qu'un dernier sursaut face à la chape de plomb qui pèse sur elle.
Plus problématique est la représentation de la répression soviétique de 68. L'effet de sidération devant l'arrivée des chars en pleine nuit aurait largement suffit. Le plan du soldat exécutant un manifestant à la mitraillette ne peut guère être mis en parallèle avec la fuite de Madeleine qui quitte Prague seulement parce que son mari la trompe. Sur ce traumatisme de l'histoire, on préférera l'ironique et léger "Trente ans de dictature, ça laisse des traces" lancé par Véra à son père qui l'oblige à essayer le sari.
Le malheur qui s'abat sur Vera semble ne pas finir. Non seulement, elle tombe amoureuse d'un homme gay, alors qu'elle pourrait avoir tous les hommes à ses pieds mais celui-ci a le sida et ne peut se dépêtrer de son jeune amant et la reçoit fatigué. Cette plongée un peu trop systématique dans la dépression est le plus sensible lorsque Chiara Mastroianni, redevenue brune et maigre à faire peur, chante sa solitude dans les rues désertes de Montréal.
Oubliées depuis longtemps les rues parisiennes, l'enchantement artificiel du playback alors que se succèdent les gros plans de visage ou de détails du corps ; les élancements du cur comme les démarrages de voiture, des pas de courses, des phares de voiture qui s'allument, autant d'effets redondants qui se surajoutent à une signification forte et banale et qui agissent comme de purs signes, générateurs d'émotion.
Le film retrouve un certain équilibre avec la résurgence des sentiments profonds, la nécessité du deuil "Je n'irai pas à Reims mercredi" et la phrase culte :"Je peux trés bien vivre sans toi tu sais / Le seul problème mon amour c'est / Que je ne peux vivre sans t'aimer".
Jean-Luc Lacuve le 28/08/2011