Le thème principal de la comédie musicale a longtemps été l'apologie de la réussite : de la réussite amoureuse comme de la réussite sur scène. L'année 1960 avec d'un côté le dernier musical de Vincente Minnelli et de l'autre West side story, tragédie inspirée de Roméo et Juliette mais aussi fresque sociale de quartiers ethniques, marque un tournant décisif. Désormais la comédie musicale sera souvent tragique et suivra les pas de personnages quotidiens.
Le parlant et le triomphe de la danse : Busby Berkeley et Hermes Pan
La comédie musicale est le nouveau genre cinématographique apparu au début des années 30 et qui apporta du rêve au peuple américain secoué par la crise.
La Warner, déjà à l'origine du parlant avec Le chanteur de Jazz se lance véritablement dans la comédie musicale en 1933 avec 42ème rue de Lloyd Bacon dont les chorégraphies sont réglées et réalisées par Busby Berkeley. Le chorégraphe utilise tout le potentiel qu'offre le médium filmique, pour transformer les numéros de danse alors trop proches de ce que l'on peut voir sur scène à Broadway, en structures plastiques très élaborées. Dans la série des Chercheuses d'or (1933 : Mervyn LeRoy ; 1935 : Busby Berkeley ; 1937 : Lloyd Bacon), il joue sur les angles de prise de vue, l'échelle de plan, le cadrage, la composition de l'image pour constituer de véritables tableaux chorégraphiques. Les girls deviennent des pétales de fleurs filmées en plongée, leurs jambes des éventails qui se déploient en gros plan, l'ensemble jouant des contrastes du noir et blanc.
La RKO déniche le duo Fred Astaire Ginger Rogers. Après une triomphale carrière sur les plus grandes scènes de Londres et de Broadway avec sa soeur Adèle, Fred Astaire rejoint Hollywood quand celle-ci se marie. Il débute comme second rôle dans Le Tourbillon de la danse (1933) puis dans Carioca (Thornton Freeland, 1933) où il danse avec Ginger Rogers, elle-même second rôle dans le numéro qui donnera le titre français du film et qui lancera le couple mythique de la comédie musicale.
Autour du couple Fred Astaire et Ginger Rogers, du chorégraphe Hermes Pan, de son producteur Pandro S. Berman, la RKO réalise ainsi neuf films qui assureront son assise populaire et financière durant les années 30 : Carioca (Thornton Freeland, 1933), La joyeuse divorcée (Mark Sandrich, 1934), Roberta (William A. Seiter, 1935), Le danseur du dessus (Top Hat, Mark Sandrich, 1935), En suivant la flotte (Mark Sandrich, 1934) et Sur les ailes de la danse (Swing Time, George Stevens, 1936), L'entreprenant Mr Petrov (Shall We Dance, Mark Sandrich, 1937), Amanda (Mark Sandrich, 1938) et enfin La Grande Farandole (H. C. Potter, 1939). On est moins dans les coulisses du spectacle que dans la comédie sophistiquée.
La MGM remporte des oscars pour ses comédies musicales Broadway Melody (Harry Beaumont, 1929 et Roy Del Ruth, 1935) et Great Ziegfeld (Robert Z. Léonard, 1936). Elle voit naître un nouveau département musical sous la direction du compositeur Arthur Freed. Celui-ci choisit comme première production l'adaptation du Magicien d'Oz (Victor Fleming, 1939) avec, dans le rôle de Dorothy, la petite protégée du studio, l'étoile grimpante Judy Garland. Le succès phénoménal du film propulse la demoiselle et son nouveau mentor sur le devant de la scène.
La Paramount qui produit principalement des opérettes filmées dérivant parfois vers la comédie musicale, signe avec Bing Crosby, Bob Hope, Dorothy Lamour et Mae West. La Fox de son côté mise tout sur la jeune Shirley Temple et ne changera pas d'égérie avant la fin de la guerre.
L'âge d'or : the world is a stage...
Au début des années 40, le genre connaît une mutation. Fred Astaire et Hermes Pan passent à la MGM où ce dernier chorégraphiera La belle de Moscou (Rouben Mamoulian, 1957), Can-can (Walter Lang, 1960) et My fair Lady (George Cukor, 1964). La sophistication des années 30, celle de la comédie sophistiquée ou des ballets plastiques de Busby Berkeley disparait, l'idéologie de la réussite reste la même avec la même volonté de faire oublier ses soucis au peuple américain (ceux de la guerre après ceux de la dépression). Les deux grands metteurs en scène de ces années expriment chacun une voie nouvelle : celle des puissances du rêve pour Minnelli et l'apologie de l'énergie pour Donen. amblématique de cette oppsoition, Le chant du Missouri de Minnelli et Un jour à New-York de Donen qui recourt aux décors réels.
Les années 40-50 vont ainsi être marquées par la suprématie de la MGM et de sa Freed Unit qui ira jusqu'à se réapproprier Busby Berkeley avec Babes on Broadway, ainsi que le couple Ginger et Fred pour leur dernier film en commun The Berkleys of Broadway (Charles Walters, 1949). Parallèlement à cette récupération de talents déjà confirmés aux côtés desquels il fait jouer ses nouvelles recrues (Gene Kelly, Cyd Charisse, Lucille Bremer, Leslie Caron, Donald O'Connor, Frank Sinatra), Arthur Freed propose à ses réalisateurs des intrigues leur permettant de poser un regard réflexif sur le genre. The Barkleys of Broadway, Chantons sous la pluie et Tous en scène posent un regard tout particulier sur le métier d'acteur empruntant des plans et chansons à des classiques du passé. Un Américain à Paris joue sur la notion d'art total qui habite le genre depuis ses débuts.
Les autres studios, moins prolixes, s'en tiendront au star system. La Paramount mise tout sur le duo comique Dean Martin/Jerry Lewis. La Fox, s'étant émancipée de Shirley Temple, fait signer des actrices blondes à la plastique irréprochable (Marilyn Monroe, Betty Grable ou Alice Faye) dans des comédies musicales aux couleurs chatoyantes. La firme aura son heure de gloire en 1954 avec Une étoile est née, qui signait le retour de Judy Garland.
... and the stage is a world : l'irruption de la contestation sociale.
Dans les années 60, les nouvelles tendances musicales, l'émergence de la contre-culture et la guerre du Vietnam vont pousser la comédie musicale hollywoodienne à effectuer un virage radical qui marquera progressivement la fin du genre. Les stars de la danse sont peu à peu mises de côté, laissant la place à des acteurs "à voix" comme Julie Andrews ou des chanteurs confirmés comme Elvis Presley (sur grand écran dès 1956) ou Barbara Streisand (à partir de 1968). Les intrigues deviennent des fresques chorales mettant en avant les valeurs familiales. On retiendra notamment dans ce registre les deux films de gouvernante de Julie Andrews Mary Poppins (1964) et La mélodie du bonheur (1965) qui en profite pour dénoncer les actes de guerre.
La décennie est également marquée par l'ébranlement des majors laissant ainsi plus de place aux productions isolées. Ce sera le cas de West Side Story (1961), première grande fresque musicale estampillée sixties. Le film joue sur tous les registres alliant scènes de groupes à l'énergie remarquable, duos sirupeux et lancinants, combats stylisés finement chorégraphiés. Sur fond de Romeo et Juliette il souligne les écueils du rêve américain.
Les années 70 : des réussites isolées
Une émancipation dont Bob Fosse se fait le fer de lance en portant à l'écran en 1972 l'un des show cultes de Broadway, Cabaret. Le film insiste sur le sordide du Berlin des années 30, tourne en dérision le nazisme et s'attaque aux tabous de l'identité sexuelle. Il impose Liza Minnelli sur le devant de la scène et rafle la mise aux Oscars. Jouant sur cette veine et sur la vague de films de science-fiction musicaux comme Tomorrow (1970), vont naître quelques productions mélangeant musique, sexe et horreur dont notamment Le fantôme du paradis (1974) de Brian De Palma ou Le Rocky Horror Picture Show (Jim Sharman, 1975) adapté de la pièce anglaise de Richard O'Brien.
A la fin des années 70, les majors en mauvaise posture ferment les portes de leurs départements musicaux, laissant chaque résurgence devenir un nouveau prototype du genre. En 1978, tablant sur le succès que John Travolta a acquis avec La fièvre du samedi soir, Randal Kleiser adapte Grease. Délicieusement rétro avec des chansons entraînantes, le film devient rapidement culte, en faisant oublier au public sa version scénique créée dix ans plus tôt. L'année suivante, c'est Milos Forman qui se lance dans la réappropriation d'un show à succès : Hair. .
Déclin et retour dans d'autres genres
A partir des années 80, le genre passe quasiment aux oubliettes, voyant ça et là éclore quelques essais en marge de la production cinématographique à la mode qui privilégie les films de gros bras et d'aventure. On retiendra The Blues Brothers (1980), hommage au rhythm'n blues
Woody Allen donne un nouveau coup de pouce au genre en proposant son hommage Tout le monde dit I love you. Si le film fait un petit score au box-office américain, il bénéficie de l'aura de son réalisateur à l'international et notamment en France. Il marque également le retour en tête d'affiche de stars non spécialisées en danse ou en chant comme c'était le cas lors des débuts du genre. Il faudra cependant attendre Moulin Rouge! de Baz Luhrmann en 2001 pour que ce dernier connaisse un réel sursaut. Sélectionné à Cannes, bardé de nominations aux Oscars et à leurs équivalents australiens, le film joue sur des standards de la chanson moderne et redore par la même occasion le blason des grands mélos musicaux. 2002 l'évènement Chicago (Rob Marshall) débarque en fanfare et trompettes. Tous les ingrédients sont au rendez-vous. Adaptation du show de Bob Fosse, une poignée de stars du grand écran, un chorégraphe talentueux à la réalisation et une bonne dose de modernité à l'ensemble lui permettent de remporter entre autres récompenses six Oscars (sur treize nominations) dont celui du meilleur film.
Si la comédie musicale survit aux USA comme en France dans des réussites isolées, elle est massivement présente dans le dessin animé et les productions de Bollywood.
Bibliographie :
Ressources internet :
Principales comédies musicales :
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L'envol | Pietro Marcello | France | 2022 |
Tralala | A. et J.-M. Larrieu | France | 2021 |
Annette | Léos Carax | France | 2021 |
Jeannette, l'enfance de Jeanne d'Arc | Bruno Dumont | France | 2017 |
La La Land | Damien Chazelle | U.S.A. | 2016 |
Office | Johnny To | Hong-kong | 2015 |
Les chansons d'amour | Christophe Honoré | France | 2007 |
Les noces funèbres | Tim Burton | U.S.A. | 2005 |
Podium | Yann Moix | France | 2004 |
Pas sur la bouche | Alain Resnais | France | 2003 |
Huit femmes | François Ozon | France | 2002 |
Moulin rouge ! | Baz Luhrmann | U.S.A. | 2001 |
Nom de code : Sacha | Thierry Jousse | France | 2001 |
Dancer in the dark | Lars von Trier | Danemark | 2000 |
Jeanne et le garçon formidable | Olivier Ducastel | France | 1998 |
On connait la chanson | Alain Resnais | France | 1997 |
Tout le monde dit : I love you | Woody Allen | U.S.A. | 1996 |
Haut bas fragile | Jacques Rivette | France | 1995 |
Les commitments | Alan Parker | Irlande | 1991 |
Trois places pour le 26 | Jacques Demy | France | 1988 |
Autour de minuit | Bertrand Tavernier | France | 1986 |
Une chambre en ville | Jacques Demy | France | 1982 |
Pink Floyd The Wall | Alan Parker | G.- B. | 1992 |
Que le spectacle commence | Bob Fosse | U.S.A. | 1980 |
Les blues brothers | John Landis | U.S.A. | 1980 |
Grease | Randal Kleiser | U.S.A. | 1978 |
New York, New York | Martin Scorsese | U.S.A. | 1977 |
La fièvre du samedi soir | John Badham | U.S.A. | 1977 |
The Rocky horror picture show | Jim Sharman | U.S.A. | 1975 |
Tommy | Ken Russell | U.S.A. | 1975 |
Le fantôme du paradis | Brian de Palma | U.S.A. | 1974 |
Cabaret | Bob Fosse | U.S.A. | 1972 |
Gimme Shelter | A. et .Maysles | U.S.A. | 1970 |
Woodstock | Michael Wadleigh | U.S.A. | 1970 |
Monterey Pop | Donn Alan Pennebaker | U. S. A. | 1968 |
One+one | Jean-Luc Godard | France | 1968 |
Les demoiselles de Rochefort | Jacques Demy | France | 1967 |
La mélodie du bonheur | Robert Wise | U.S.A. | 1965 |
Mary Poppins | Robert Stevenson | U.S.A. | 1964 |
Les parapluies de Cherbourg | Jacques Demy | France | 1964 |
My fair Lady | Georges Cukor | U.S.A. | 1964 |
West Side Story | Robert Wise | U.S.A. | 1961 |
Un numéro du tonnerre | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1960 |
Gigi | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1958 |
Drôle de frimousse | Stanley Donen | U.S.A. | 1955 |
Beau fixe sur New-York | Stanley Donen | U.S.A. | 1955 |
Une étoile est née | Georges Cukor | U.S.A. | 1954 |
Brigadoon | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1954 |
Tous en scène | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1953 |
Les hommes préfèrent les blondes | Howard Hawks | U.S.A. | 1953 |
Chantons sous la pluie | Stanley Donen | U.S.A. | 1952 |
Un américain à Paris | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1951 |
Un jour à New-York | Stanley Donen | U.S.A. | 1949 |
Le pirate | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1948 |
Ziegfeld Follies | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1945 |
Yolanda et le voleur | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1945 |
Le chant du Missouri | Vincente Minnelli | U.S.A. | 1944 |
Le magicien d'Oz | Victor Fleming | U.S.A. | 1939 |
Chercheuses d'or de 1937 | Lloyd Bacon | U.S.A. | 1936 |
Le grand Ziegfeld | Robert Z. Léonard | U.S.A. | 1936 |
Sur les ailes de la danse | George Stevens | U.S.A. | 1936 |
En suivant la flotte | Mark Sandrich | U.S.A. | 1936 |
Broadway Melody de 1936 | Roy Del Ruth | U.S.A. | 1935 |
Le danseur du dessus | Mark Sandrich | U.S.A. | 1935 |
Chercheuses d'or de 1935 | Busby Berkeley | U.S.A. | 1935 |
La joyeuse divorcée | Mark Sandrich | U.S.A. | 1934 |
Chercheuses d'or de 1933 | Mervyn LeRoy | U.S.A. | 1933 |
Prologues | Lloyd Bacon | U.S.A. | 1933 |
42ème rue | Lloyd Bacon | U.S.A. | 1933 |
Broadway Melody de 1929 | Harry Beaumont | U.S.A. | 1929 |
Le chanteur de Jazz | Alan Crosland | U.S.A. | 1927 |