La première guerre mondiale vient de se terminer. Raphaël, un vétéran, rentre chez lui, en Picardie, après une longue traversée de la France en camion et à pied. Il trouve refuge chez Madame Adeline, une femme qui vit seule, séparée d’un mari joueur et alcoolique disparu depuis longtemps. Elle lui présente Juliette, sa petite fille née avant que sa femme, Marie, ne meure.
Dans le village, tout le monde regarde de travers ce survivant qui leur donne mauvaise conscience. Madame Adeline a finit par lui révéler que Marie a été violée par Fernand, le patron du bar où tous se retrouvent. Raphaël s'étrangle de colère devant la mal que l'on a fait à sa femme et la révélation que Juliette n'est sans doute pas sa fille; il accepte volontiers l'attitude de madame Adeline qui a fait que, pour tous, Juliette est sa fille. Raphaël a trouvé du travail au chantier naval artisanal. En rentrant du chantier naval, Raphaël voit Fernand et son ami chasseur, tout aussi médisant que lui, se noyer dans un fossé marécageux. Il ne répond pas aux appels suppliants de Fernand, estimant que la justice fait son œuvre. Fernand en réchappe et déchaine le village contre lui. Désormais la petite communauté formée par madame Adeline, Raphaël et Juliette ainsi que leurs voisins, Marek le forgeron, sa femme et leur fille, Carmel, est surnommée avec mépris "La cour des miracles". Raphaël perd son emploi au chantier naval, le patron rejoignant à regret le camp des villageois.
Juliette grandit heureuse auprès de son père et dans la chaleur de la communauté de "la cour des miracles". Elle est toutefois en butte aux invectives des autres enfants du village. Mais, alors que se dessine la possibilité de poursuivre ses études dans un collège en ville, et ainsi de changer de vie, elle décide au contraire de rester à côté de son père.
Juliette grandit et seconde son père dans la vente de jouets en bois d'une remarquable poésie. Un été, l'adolescente fait la rencontre d’une magicienne qui lui promet que des voiles écarlates viendront un jour l’emmener loin de son village.
Raphaël ayant trouvé un vieux piano qu'il répare et accorde, Juliette, devenue une belle jeune femme, devient passionnée de chant et de musique. Elle va voir le maître d'œuvre du chantier naval exigeant un travail pour son père. L’une des ouvrières lui recommande de confier à Raphaël la figure de proue du bateau qu’ils construisent. Raphael en est extrêmement heureux.
Un jour, deux aviateurs atterrissent dans un champ jouxtant la cour des miracles. Jean un aventureux casse-cou et son ami Robert ont un problème de moteur et viennent demander une réparation à Marek. Pendant qu’il travaille, Jean va se baigner dans le lac et est charmé par une voix enchanteresse. Juliette, venue se reposer sous les arbres, chante l’une de ses compositions, L’hirondelle. Il s’éloigne mais reste marqué par cette apparition et, le soir au village, se renseigne sur Juliette. Le lendemain, il la surprend inspectant l’avion et est surpris et charmé par sa fougue et le baiser qu'elle lui donne. Juliette se fâche toutefois quand il dit avoir pris des renseignements sur elle. Elle revient effarouchée vers Carmel mais celle-ci lui conseille de revenir vers Jean. Trop tard, celui-ci s’est envolé.
Raphaël va livrer seul sa figure de proue au chantier que tout le monde admire. Le trajet vers le chantier a été exténuant et, au retour, il s'écroule avant de mourir dans les bras de Juliette. Renaud, le fils de Fernand, est depuis longtemps amoureux de Juliette, qui dédaigne ses avances. Il l’intimide un jour dans les bois avec deux des mauvais garçons qui l’accompagnent puis tente de la violer dans sa chambre ; Juliette se défend avec vigueur déclenchant la rage de Renaud qui met le feu à la maisonnette. Juliette s'enfuit dans les bois pendant qu’Adeline rosse Renaud à coups de bâton.
En se réveillant, Juliette voit surgir un ULM avec de grands rubans écarlates. Jean est revenu pour elle mais son atterrissage est mal maîtrisé et il se blesse aux jambes. Juliette le fait soigner et les deux jeunes gens s'aiment. Jean repart et Juliette chante de nouveau l’Hirondelle qu'elle a composée d'après un poème de Louise Michel.
Pietro Marcello, pour son premier film en langue française, réalise un drame musical enchanteur, emporté par la créativité de la sculpture sur bois, du dessein, de la musique et du chant. Il est d'abord incarné par une relation père-fille complice qui se développe au sein d'une communauté matriarcale qui les protège de l'hostilité d'un entourage aussi méchant que perclus de mauvaise conscience. Cet ancrage terrien prend son envol avec les chansons de Juliette et l'apparition d’un aviateur, premier amour de Juliette qui, à n'en pas douter, ne s'en laissera pas conter.
Après son adaptation de Martin Eden, Pietro Marcello s’inspire cette fois d’une œuvre bien plus confidentielle, Les voiles écarlates, conte féerique de l’écrivain russe Alexandre Grine (1880-1932), publié en 1923 qu’il déplace en Picardie. Alexandre Grin est un auteur d’aventures qui a adhéré au socialisme révolutionnaire et a entamé sa carrière littéraire après la révolution de 1905. Il a été arrêté plusieurs fois à cause de son activité politique. Ses ouvrages les plus importants ont été publiés après la révolution d’octobre. Mais, en dépit de leur succès, le ton antimilitariste et romantique de ses livres ne convenait pas à la nouvelle époque et les éditeurs ont cessé de le publier.
Le film s’ancre dans des images d’archives, de l’armistice de 1918 dans la baie de Somme puis, plus tard, dans des plans de Au bonheur des dames (Julien Duvivier, 1929) qui figurent l’activité de la grande ville quand Juliette et Raphaël vont vendre leurs jouets artisanaux en bois. Ces plans sont bien moins coûteux mais aussi beaucoup plus émouvants qu'une reconstitution en décors naturels ou en studio. A la masse du collectif, auquel les archives renvoient, succèdent en effet des plans de Raphaël marchant dans la campagne au soleil couchant, comme une résonance individuelle et physique au présent de toute une époque qui vient de s'achever. De même, alors que le grand magasin du film de Duvivier renvoie à l’ère industrielle qui commence ; c'est incarné par une discussion entre la marchand et Juliette que s'éprouve concrètement le changement d’époque qui veut de mouvement dans les jouets.
Si le film juxtapose et fond ensemble différents types d'images, il fait de même en ce qui concerne les genres : film historique, drame social rural, drame sentimental, parfois drame fantastique (avec sa magicienne prophétisant un amour à Juliette) et, pour l'hirondelle s'envolant, un film d'animation. L’actrice Juliette Jouan, qui est aussi musicienne, chanteuse et compositrice, rappelle Catherine Deneuve chez Jacques Demy. Nouvelle Peau d'âne, elle interprète "Si tu es une fille" ,"Les Voiles Écarlates" et "L'hirondelle" avec une telle présence que le film, in fine, relève du drame musical. Et ce d'autant que la musique de Gabriel Yared intervient toujours à propos dans les moments de faible intensité dramatique, sans jamais recouvrir les sons de la nature.
Face à l’agitation éperdue de la masse, celle de l'époque ou celle du village, la petite communauté matriarcale vit dans un constant bonheur d'être à l’écart du monde pour mieux y développer sa sensibilité. Et, lorsque l’aviateur survient, il ne se substitue pas au père pour protéger Juliette. C’est elle qui, comme pour trouver du travail à son père, prend l’initiative. Jean est un homme fragile, instable et casse-cou. Il ignore sa place dans le monde. Juliette ne se laisse pas sauver par lui, comme une demoiselle en détresse. C’est elle au contraire qui prend l’initiative ; elle qui l’embrasse, qui le soigne et qui, enfin, le laisse partir.
Jean-Luc Lacuve, le 15 janvier 2023.