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Les amours d'Astrée et de Céladon

2007

Voir : Photogrammes

Avec : Andy Gillet (Céladon), Stéphanie de Crayencour (Astrée), Cécile Cassel (Léonide), Véronique Reymond (Galathée), Rosette (Sylvie), Jocelyn Quivrin (Lycidas), Mathilde Mosnier (Phillis), Rodolphe Pauly (Hylas), Serge Renko (Adamas), Arthur Dupont (Semyre), Priscilla Galland (Amynthe). 1h49.

Dans une forêt merveilleuse, au temps des druides, le berger Céladon et la bergère Astrée s'aiment d'amour pur. Leurs familles ne s'entendent pas. Lors de la fête de ses parents, Céladon doit ainsi faire semblant d'aimer Amynthe. Semyre, amoureux d'Astrée, lui fait croire que Céladon succombe trop facilement au charme d'Amynthe et se laisse embrasser sans déplaisir par elle.

Le lendemain, Astrée congédie Céladon. Elle lui ordonne de ne plus réapparaître devant ses yeux. De désespoir, Céladon se jette dans une rivière. Lycidas, frère de Céladon et amant de Phillis sœur d'Astrée, annonce à cette dernière la mort certaine de Céladon. Il s'étonne de son absence de larmes. C'est qu'Astrée est encore toute à sa colère de ce qu'elle croit être l'inconstance de Céladon. Phillis lui prouve le contraire en l'enjoignant d'aller voir le poème que Céladon grava sur un arbre la veille au soir lorsqu'il se désespérait de devoir feindre un amour et rester ainsi loin d'Astrée. Celle-ci pleure de désespoir croyant mort celui qu'elle aime.

Mais les nymphes Galathée, Léonide et Sylvie, maîtresses des lieux depuis le départ des naïades de Diane, ont suivi la prophétie d'un druide et s'en viennent recueillir Céladon qui, évanoui mais vivant encore, s'est échoué sur un coude de la rive loin dans la plaine.

Galathée succombe aux charmes du beau berger et veut le garder prisonnier jusqu'à ce qu'il l'aime. Léonide, amoureuse également, offre sagement un amour fraternel à Céladon et l'aide à fuir le château pour la forêt. Mais Céladon veut respecter l'ordre de bannissement qui lui a été fait par Astrée et refuse de retourner dans son village.

De son coté, Astrée ne cesse de pleurer malgré le réconfort que lui apportent ses amis et amies berger et bergères. Devant elle, Lycidas et Hylas, l'amant volage, discutent sur la nature de l'amour.

Léonide sollicite l'aide d'Adamas son oncle druide pour sortir Céladon de son désespoir. Adamas lui offre une flûte, de l'encre et du papier afin qu'il chante son amour et commence ainsi à apaiser sa douleur. Il lui propose ensuite de construire un temple à l'amour éternel au milieu d'une clairière qui fut dédiée aux dieux romains. Ceux-ci ne sont plus aujourd'hui que l'incarnation des qualités du dieu unique. Dans ce temple, il propose de faire le portait d'Astrée à partir du médaillon que Céladon porte au cou.

Pour la fête du gui, les bergers doivent se rendre chez Adamas. Ils se perdent en route et doivent dormir à même le sol en pleine forêt. Au matin, Céladon surprend Astrée un peu dévêtue et ne peut s'empêcher d'approcher pour l'embrasser. Elle se réveille en sursaut et, aveuglée par le soleil et retenue par une branche prise dans ses cheveux, ne sait si elle a vu ou non le visage de son amant.

Un peu plus tard, tous sont intrigués par le temple de l'amour pur dédié à Astrée, déesse de la justice mais où la jeune bergère reconnaît un portrait d'elle-même. Phillis reconnaît l'écriture de Céladon mais Astrée refuse de croire qu'il puisse être vivant sachant qu'elle ne survivrait pas à l'écroulement de cet espoir.

Adamas décide qu'il est temps que Céladon soit mis en présence d'Astrée ce qui fera s'écrouler d'elle même la barrière qu'ils ont dressé entre eux. Il imagine donc un subterfuge et fait passer Céladon, qui de tout temps fut efféminé (il connut Astrée à 12 ans en se faisant passer pour une fille), pour sa fille, Alexie, revenue du couvent.

Entre Alexie et Astrée l'attirance est immédiate et forte. Léonide tente sans succès malgré sa jalousie de faire découvrir qui est vraiment Alexie en faisant rentrer Astrée à l'improviste dans sa chambre. Un peu plus tard, Adamas doit, pour accueillir ses collègues druides, faire dormir Astrée, Phillis, Léonide et Alexie ensemble.

Au matin, Céladon coiffe les cheveux d'Astrée dont la chemise ouverte découvre un sein. Elle embrasse sa main, il embrasse sa main puis son épaule. Les baisers deviennent de plus en plus serrés jusqu'à ce que Astrée découvre qu'Alexie, n'ayant pas de poitrine, est un homme. Céladon lui rappelle qu'autrefois elle bannit son amant. Astrée s'écrit alors qu'elle se désespère de sa mort et que s'il était là, elle lui dirait qu'il vive, qu'il vive ! "Je vis" lui répond Céladon en l'embrassant.

Les Amours d'Astrée et de Céladon est une adaptation de L'Astrée, roman pastoral d'Honoré d'Urfé, un récit-fleuve de 5 000 pages, dont la première partie fut publiée en 1607. Elle inspira nombre de tableaux vivants pour les fêtes galantes ainsi que les peintres de l'époque.

Rohmer coupe dans les quarante histoires et les centaines de personnages (bergers, bergères, druides du Vème siècle) contenus dans cette oeuvre-clé de l'histoire de la littérature française pour ne conserver que les trajectoires contrariées de Céladon et d'Astrée avant qu'ils ne se retrouvent, les vaines tentatives de séductions de Semyre, Amynthe puis de Galathée et Léonide et enfin les controverse philosophique du XVIIe français sur l'amour et sur la religion.

Un théâtre dans la nature

Rohmer annonce dans les cartons introductifs qu'il est très sensible à la beauté de la nature et que c'est à regret qu'il a renoncé au décor d'origine du Forez, aujourd'hui dévasté par les moyens de transports modernes. Il annonce aussi que la pastorale d'Urfé apparaît dès l'origine comme maniérée et artificielle dans sa description des amours des gaulois du Vème siècle.

Ces deux soucis de vérité, être au plus près de la nature et accepter le maniérisme du texte semblent indiquer son projet esthétique : redonner une réalité sensuelle à la pastorale par la saisie sensible du réel dont est capable la caméra : filmer tout à la fois une nature souriante avec son herbe grasse, ses fleurs multicolores et ses feuillages d'arbres frémissant dans le vent tout en respectant le texte avec ses sentiments théâtraux mais aussi son humour et sa philosophie.

Certains se moqueront de la pauvreté des costumes ou du jeu des acteurs. Il s'agit probablement là d'une réticence à accepter des conventions qu'ils auraient très bien admis sur une scène de théâtre mais pas dans la nature.

Or c'est précisément là que se loge l'art d'enchanteur du quotidien de Rohmer. C'est là qu'il appartient toujours à La nouvelle vague qui inscrit son lyrisme forcené dans les évènements les plus quotidiens et les plus banals : un lever de soleil, une marche en forêt, la contemplation d'un tableau et qui se satisfait de l'érotisme simple du dévoilement de la chair lorsqu'il appelle d'irrésistibles baisers pleins d'un désir contenu à grand peine (sur les rochers, la fin).

Enchanteurs aussi cette façon de distribuer des surprises esthétiques : poème gravé sur l'arbre ou sur bois à l'entrée du temple ; portraits d'Astrée sur le médaillon ou en bergère dans le temple ; chevelures savantes, simple costume blanc des bergers et bergères.

Ce jeu entre l'artificialité d'un texte et la possibilité de l'incarner par le cinéma reste bien plus présent que le principe habituel de la mise en scène de Rohmer basée sur le décalage entre l'imaginaire des personnages et la réalité telle qu'elle peut être saisie par la caméra. Rohmer s'y essaie pourtant avec l'épisode du baiser volé derrière l'arbre. Trop éloignée de Céladon, Astrée n'entend pas les protestations de celui-ci et ne voit que les caresses prodiguées par Amynthe.

La joute philosophique et amoureuse

Mais le lyrisme de la nouvelle vague s'accompagne toujours d'une inquiétude quant à la nature de l'amour. Rohmer s'amuse à en trouver des échos dans le texte d'Urfé. La joute philosophique l'exprime sur un ton ludique :

Pour Lycidas, l'amant fidèle de Phillis, l'amour est éternel parce que, en l'autre on aime ce qui est en soi puisqu'en aimant deux être ne font plus qu'un. Hylas, partisan de l'amour libre lui répond qu'au contraire on ne désire que ce qui est hors de soi. Ce à quoi Lycidas réplique que l'autre forme un cercle avec soi et qu'avec ce cercle dynamique l'amour est bouclé, éternel. Hylas lui répond qu'il est donc une femme puisque semblable à Phillis. Lycidas croit vaincre en lui répondant que seules les âmes sont devenues semblables. Hylas lui fait alors la proposition de garder l'âme de Phillis et de lui prêter le reste, son corps, pour voir qui sera le plus heureux.

Hylas, merveilleusement interprété par Rodolphe Pauly, est aussi le héros des deux autres épisodes burlesques : le travestissement des commandements de l'amour pur ou sa tentative de séduire celle qu'il croit être la naïve Alexie.

Mais l'amour emprunte souvent des chemins bien plus détournés que les positions qui se croient droites et pures d'Astrée et de Céladon. Sous la voix de Céladon se cache celle fragile d'Alexie (travaillée à l'Ircam) qui toujours peut être renvoyée dans l'ombre ou bannie à jamais.

Rohmer nous offre ainsi ici une ode à l'éternelle fidélité des amants sans masquer ce qu'un tel message suppose de fragiles équilibres entre nature et artifice, entre droiture du sentiment et refoulé du désir, entre joie simple du quotiden et miracle toujours attendu. Un condensé de son oeuvre en somme.

Jean-Luc Lacuve le 10/09/2007

Test du DVD

Editeurs : Potemkine et Agnès B. Novembre 2013. 30 DVD et leur déclinaison blu-ray pour les 22 films restaurés HD. 200 €.

Digipack 25

Test du DVD

Editeur : France Télévision, avril 2008. 20 euros.

Test du DVD

 

Suppléments :

  • Emission sur France culture : entretien avec Eric Rohmer
  • Filmographie de Eric Rohmer