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Maniquerville

2009

Avec : Francoise Lebrun, Clara Le Picard. 1h23.

Une jeune femme dans un train, Clara, s'interroge sur des questions qu'elle devra poser. Dans un café du Pays de Caux, elle rencontre Françoise Lebrun et l'invite à visiter le centre de gérontologie de Maniquerville où elle est animatrice. Le centre, installé au milieu du magnifique parc d'un château, doit déménager dans deux ans. Clara n'est pas certaine de suivre. Par amitié, l'actrice lui propose de faire des lectures de Proust aux résidents du centre.

Clara interroge un couple de résidents du centre. Ils ont longtemps habité Maniquerville et voila maintenant un an qu'ils sont ici. Autrefois, le centre était un sanatorium pour tuberculeux. Le couple avait d'ailleurs souvent en pension des enfants de malades. Puis le centre est devenu un hospice pour personnes pauvres et, enfin, un centre de gérontologie en 1974. Le château, incendié, n'est plus qu'une ruine.

La comédienne Françoise Lebrun vient de Paris et entame les lectures de Proust en plein air avec, autour d'elle, des personnes âgées, des femmes pour la plupart. Elle lit le texte du souvenir involontaire provoqué par l'odeur et la saveur de la madeleine qui permet au narrateur de deployer la description du paysage de son enfance à la manière des papiers chinois qui se déplient une fois mis dans l'eau.

Clara héberge Françoise et un lien fort, amical, amoureux et maternelle, ce crée entre elles.

Clara interroge le maire du village qui explique que le château sera bientôt détruit et reconstruit pour devenir un hôtel de luxe avec golf et piscine qui accueillera des touristes aisés. Le centre, qui n'est plus aux normes, devra déménager à la périphérie de Fécamp.

Françoise Lebrun lit à un second groupe, composé cette fois majoritairement d'hommes, le texte de la découverte par le jeune Marcel des jeunes filles en fleur. Leur visage d'enfant n'est encore qu'une pâte molle qui ne prendra sa forme définitive que plus tard. Clara raccompagne son amie sur le quai de la gare.

Seule dans les champs, elle filme les fleurs avec une caméra super8. Les pelleteuses détruisent le château sous le regard curieux des résidents. Certains souffrent, appellent à l'aide.

Troisième lecture de Proust par Françoise qui doit composer avec le bruit des pelleteuses. Elle propose l'adieu du tout jeune Marcel à Combray, désespéré de quitter ses chères aubépines.

Le nouveau château se construit. Le jardinier explique que les résidents ne retrouveront jamais un tel cadre d'arbres centenaires et magnifiques qui maintiennent le goût de vivre. Clara interroge madame Deparis, grande dame aux cheveux bancs abondants, ainsi qu'une résidente qui a retrouvé un vieil exemplaire d'un livre de Proust.

Françoise Lebrun est venue à nouveau de Paris et, avec Clara et deux résidentes, va se promener dans la chapelle des marins du bord de mer de Fécamp. Elle propose une dernière lecture de Proust, celle du temps retrouvé où Marcel, après la première guerre mondiale, retrouve des visages connus dans le salon des Guermantes mais vieillis et s'aperçoit que lui-même est perçu comme un vieil homme alors qu'en dedans, il lui semblait être toujours jeune. Cette lecture touche profondément les résidents, tristes de voir partir Françoise comme ils sont tristes aussi de devoir bientôt partir. Françoise propose une chanson et l'un des résidents entame sans faillir "boire un petit coup c'est agréable".

Dans le lit de Clara, Françoise et elles lisent et s'interrogent sur leur souvenir d'un livre de Blanchot s'interrogeant sur la façon de disparaître. Deux fois, elles s'amusent à retrouver ce texte.

A la périphérie, la catastrophe, la crudité des faits : la construction d'un château moderne pour touristes sans que l'on ait trouvé les moyens de rénover le centre qui aurait fait tâche dans ce monde de loisirs aseptisés, la souffrance des malades en fin de vie. Pour résister à la brutalité du monde, Pierre Creton choisit de filmer en une succession de plans fixes qui saisissent, dans la durée, le travail de l'animatrice et de Françoise Lebrun, patientes, attentives et douces, pour réveiller l'intelligence, la sensibilité, l'humour, la beauté, la dignité et la joie de vivre des personnes âgées.

Un lieu pour résister

Maniquerville est le troisième volet d'une trilogie des trois âges : l'âge adulte dans Secteur 545 (2004), la jeunesse dans Paysage imposé (2006) et la vieillesse dans celui-ci dont Pierre Creton explique ainsi la genèse :

Durant mes années au Contrôle Laitier, alors que ma route me conduit quatre fois par jour à passer devant le Centre (à dix kilomètres de chez moi) le désir de m'approcher me taraude. Paysage imposé est encore en tournage quand me vient l'idée d'un film à Maniquerville, J'avais retrouvé au lycée les enfants des agriculteurs avec qui je travaillais, je trouverais certainement au Centre leurs parents. Je sollicite la direction pour deux choses : un poste d'animateur (qui peut-être ressemblera à mon travail auprès des adultes handicapés mentaux) et l'autorisation de faire un film (source : dossier de presse).

Pierre Creton est en effet sensible à l'idée que le cinéma doit témoigner non seulement de son époque mais aussi du lieu dans lequel on vit. Ces deux impératifs, temporels et géographiques s'incarnent ici dans ce refus des autorités locales au droit de vieillir en douceur dans le paysage familier où chacun a toujours vécu. La cacophonie des télévisions et le vacarme du chantier révèlent aussi la violence du contexte qui restera malgré tout à la périphérie du sujet central filmé par Pierre Creton.

Documentaire fantastique

Ni documentaire sur un centre de gérontologie ni documentaire compatissant sur les souffrances de la vieillesse, Maniquerville exalte le pouvoir créateur de la fiction dans le quotidien comme dans l'art. Le film s'ouvre et se clôt sur deux scènes théâtrales : dans la première, des questions sont posées à la jeune femme du train qui, silencieuse, n'y répond pas avant que l'on ne comprenne, bien plus tard, qu'il s'agit d'un questionnement intérieur. Dans la scène finale, Françoise Lebrun fait répéter un texte de Blanchot à Clara sur la disparition, comme un écho au sujet du film, écho étrange et ludique qui retentit bien après la fin de celui-ci.

C'est la fiction qui révèle la beauté et la magie du monde. Cette fiction c'est d'abord celle de Proust dont les textes sont expliqués puis lus par Françoise Lebrun. Mais c'est aussi celle de Pierre Creton, qui dès le début de son projet, en a fait part à sa muse, Françoise Lebrun qui lui a proposé de faire des lectures dans le centre. Ensuite le choix de la fille de Françoise, Clara, pour jouer le rôle de l'animatrice a dû s'imposer tout naturellement. La jeune femme joue ainsi trois rôles : animatrice du centre, fille non déclarée de Françoise et alter ego du cinéaste. Elle fait sortir Maniquerville du strict cadre du documentaire qui, stricto sensu, doit mettre en scène des acteurs qui jouent leur propre rôle dans les conditions du direct. Mais l'ange-gardienne qui surveille le sommeil de madame Deparis n'est pas une soignante et interprète aussi un rôle.

Ainsi en dépit du cadre rigoureusement travaillé des plans fixes, le film gagne en mystère et en beauté, presque fantastique et irréelle, au fur et à mesure de son avancée. Le château mystérieux, les reflets dans les vitres, le noir et blanc intemporel, la séquence des tableaux de bateaux dans la chapelle marine en font un film parfois presque fantastique, une façon d'échapper à la mort par la puissance de l'esprit.

Jean-Luc Lacuve le 17/06/2010

 

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