1. Les circonstances. Jeanne vit dans un pavillon de banlieue avec sa mère Louise. Les deux femmes s'entendent bien. Louise gagne sa vie en gardant des enfants. Jeanne, sans trop de conviction, cherche un emploi de secrétaire. Un jour, en lisant une annonce sur le net, Louise croit se souvenir du nom de l'avocat qui cherche une secrétaire. Elle s'en souvient effectivement lorsque Samuel Bleistein, avocat de renom qu'elle a connu dans sa jeunesse, passe à la télévision comme porte-parole de la communauté juive après une agression antisémite dont a été victime un passant.
Jeanne se promène en roller dans Paris avec d'autres jeunes, adeptes de ce sport. Elle se fait draguer par Frank puis, autant pour lui échapper que par curiosité, entre dans un magasin de valises. Frank qui a réussi à la suivre lui obtient un rabais important sur sa valise en embobinant le vendeur. Dans le café, où il lui déclare un coup de foudre immédiat, elle lui laisse son mail. Il la recontacte un peu plus tard sur le net et, webcam aidant, c'est une relation amoureuse immédiate qui s'engage entre eux. Frank donne rendez-vous à Jeanne pour le dimanche sur le lieu de leur rencontre puis ils vont dans sa chambre de l'INSEP où il est un jeune lutteur prometteur. Ils deviennent amants.
Jeanne, sur l'insistance de sa mère qui a écrit sa lettre de motivation, se rend chez Bleistein pour obtenir son poste. C'est sa collaboratrice et ancienne belle-fille, Judith, qui reçoit Jeanne dont les références sont bien trop minces pour espérer obtenir le poste. Elle voit toutefois Samuel Bleistein auquel elle a fait dire qu'elle est la fille de Louise. Celle-ci, comprenant que Jeanne n'aura pas le poste, prend rendez-vous avec Samuel. Elle se rend au rendez-vous fixé mais, devant la porte de l'église où a lieu le concert, renonce à le revoir.
Frank invite Jeanne et Louise au restaurant et avoue tout de go à celle-ci qu'il veut épouser sa fille et vivre immédiatement avec elle. Il a trouvé un emploi de gardien avec logement dans un magasin informatique fermé durant l'été et dont le patron, Marius, un type assez louche, lui livre quelques intrigants conseils.
Louise qui sait que le frère de Frank est un voyou ne se méfie pas et vit des jours heureux avec son amant. Un jour pourtant survient un jeune voyou qui exige l'achat de 10 grammes d'héroïne cachés dans des magnétoscopes. Frank refuse et prend un coup de couteau dans le ventre. Jeanne le découvre ensanglanté.
Au commissariat, on lui indique que sans un coup de téléphone intercepté dans lequel Frank affirmait à son patron qu'elle était innocente de ce trafic, elle en aurait pris pour dix ans comme Frank. Lorsqu'elle va le voir à la prison, il la rejette lui en voulant d 'avoir dû accepter ce travail pour vivre avec elle.
Louise reprend contact avec Samuel pour lui demander de défendre Frank. Il ne se montre guère empressé.
Le soir, Jeanne voit un reportage sur l'holocauste et en est profondément bouleversée. Le lendemain, elle se lacère le visage de coup de couteaux superficiels, se coupe une mèche de cheveux et se dessine des croix gammées sur le ventre.
2 Les conséquences. A la police, elle déclare un peu plus tard avoir été agressée sur la ligne D du RER, par six hommes dont certains d'origines maghrébine et africaine. Imaginant à tort qu'elle était de confession juive, ils lui auraient coupé les cheveux, lacéré le visage et les vêtements, et dessiné trois croix gammées sur le ventre.
Ce sont d'abord les journalistes qui vont voir Louise et l'informent de l'agression dont a été victime sa fille. Lorsque Jeanne rentre, la machine médiatique s'est affolée et l'agression de la jeune fille fait la une des journaux télévisés.
Louise ne croit pas à l'histoire de sa fille qui prétexte d'une carte de visite de Bleistein laissée dans son sac qui aurait fait croire à ses agresseurs qu'elle était juive. Elle prévient Samuel qui lui conseille d'avertir la police ou, puisqu'elle ne s'y résout pas, à venir dans sa maison de campagne avec sa fille afin qu'il tente de convaincre celle-ci d'avouer.
Dans la somptueuse maison de campagne de Samuel, se retrouvent non seulement Jeanne, Louise et Samuel mais aussi Judith, Axel, le fils de Samuel et son ancien mari et leur fils Nathan. Celui-ci à dès l'abord averti Jeanne que nul ici ne croyait à son histoire. Il dit en avoir mare que chacun lui impose ses désirs, un voyage à Venise avec son père ou la Bar Mitsvah voulue par sa mère. Il file se réfugier dans sa cabane.
Louise quitte aussi la table et, s'enfuyant dans l'immense parc, prend une barque et s'enfonce dans des zones herbeuses alors que la pluie se déchaîne. Nathan l'aide à accoster et l'emmène se sécher dans sa cabane. Il lui avoue que son grand-père n'a jamais fait imprimer de carte de visite à son nom et qu'ainsi tous savent qu'elle a dit un mensonge. Jeanne avoue et au matin quitte Nathan pour tout avouer à sa mère et samuel. C'est lui qu'elle trouve seul levé et qui lui fait rédiger une lettre d'aveux. Jeanne se rend seule à la police.
Samuel charge un avocat ami de la défense de Jeanne pointant l'indécent emballement de la machine politique sur un dossier sans la moindre trace matérielle (agresseurs et témoins inexistants, caméras de surveillance inopérante et trajet trop court pour un tel acte). Finalement Jeanne écopera de quatre mois avec sursis. Samuel se retrouve seul et décide d'assurer la défense de Frank. Jeanne a repris espoir et glisse à nouveau sur ses rollers.
De son côté Nathan qui s'est soumis aux désirs de ses parents lui envoie une lettre d'amour depuis Venise. L'émancipation est pour bientôt.
Jeanne aime la vitesse, celle du RER qu'elle prend souvent pour se rendre ou revenir de Paris depuis son pavillon de banlieue ou celle des rollers qui lui font gagner du temps dans les rues.
Comme nul n'ignore le pitch (résumé) du film on craint pour elle. On craint une agression réelle que l'agression fictive aurait servie à camoufler. Le découpage en deux parties : "les circonstances" et "les conséquences" même s'il partage bien le film autour de la fausse agression est lui aussi une fausse piste. Rien ne viendra pendant près de la moitié du film préparer le mensonge de Jeanne.
La circonstance, évidente à l'écran, est le bouleversement amoureux qui va l'entraîner bien loin de l'harmonieuse relation qu'elle entretenait avec sa mère.
L'innocence de l'amour élevé au rang des drames collectifs
Jeanne trouve sa voie ou plutôt subit, subjuguée celle que Frank, jeune homme impulsif, tatoué, fort et rapide a tracé pour elle. Cet amour rayonnant, physique (belles scènes d'amour sur ordinateur et sexuelle un peu plus tard) est emprunt d'une certitude qui fait défaut à Judith et Alex dont l'amour réciproque a été broyé par leurs querelles d'ego comme le remarquera lucidement leur fils Nathan.
Cet amour vécu avec innocence par Jeanne (roses blanches, absence de soupçons, air rêveur sur le toit) se trouve brutalement interrompu par la découverte de la large trace de sang rouge qui conduit à son amant blessé. A cette blessure physique, (elle s'évanouit) se rajoute la blessure morale lorsque Frank, blessé et amer, la rejette.
Désespérée, elle se trouve en empathie avec le destin
des juifs tels qu'humiliés et exterminés, elle les voit lors
du reportage sur l'holocauste. Seul leur désespoir semble être
à la mesure du sien.
Jeanne monte alors ce mensonge qu'elle déclare à la police comme
on reconnaît officiellement une communauté de destin. Lorsque
l'on ment s'est généralement pour en tirer bénéfice
dira Samuel. Il apparaît pourtant fort peu probable que par ce geste
Jeanne cherche à obtenir plus d'amour de la part de Louise qui, malgré
ses dénégations, donne et donnera toujours à son enfant.
Pareillement ce geste ne peut lui servir à attirer l'amour de Frank
qui souhaiterait sortir de la tragédie de son arrestation.
Paradis terrestre et enfer social
Téchiné ne s'intéresse donc que d'assez loin à ce fait divers du vendredi 9 juillet 2004 qui allait devenir l'un des plus médiatisés et le plus politisés de ces dernières années. C'est sans doute moins le mensonge qui l'intéresse que la violente confrontation entre une jeune fille rayonnante d'un amour innocent et la terreur de la mort inexplicable, soudaine et arbitraire.
Cette coexistence de l'ombre et de la lumière envisagé en lien avec l'histoire se trouvait déjà dans Les roseaux sauvages (les bords du fleuve et la guerre d'Algérie), Les égarés (la maison dans les bois et l'exode de 40) et Les témoins (l'opéra des Noces de Figaro et le sida).
Ici le pavillon de banlieue et particulièrement son jardin est une sorte d'Eden peuplé de charmants bambins, baigné d'une lumière dorée, possédant petite piscine et arbustes et, bien souvent, arrosé d'eau. A cette vision intime du paradis viendra se superposer, à la fin celle plus grandiose et un peu inquiétante de la maison de Samuel. Avec dans chacun des cas un enfer possible à proximité, le RER bruyant et inquiétant dans le premier cas, la menace de la noyade dans le second.
Cette lecture symbolique est aussi liée à la charge politique
contre un gouvernement qui sur un dossier sans la moindre trace matérielle
(agresseurs et témoins inexistants, caméras de surveillance
inopérante et trajet trop court pour un tel acte) a laissé s'emballer
la machine médiatique en espérant la récupérer
à ses dessins racistes et sécuritaires.
Jean-Luc Lacuve le 28/04/2009