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Les roseaux sauvages

1994

Avec : Élodie Bouchez (Maïté), Gaël Morel (François), Stéphane Rideau (Serge), Frédéric Gorny (Henri), Michèle Moretti (Madame Alvarez), Jacques Nolot (Monsieur Morelli). 1h50.

Mars 1962, Lot-et-Garonne. François parle à Maïté de son admiration pour A travers le miroir de Bergman qu'il vient de voir au cinéma. Ils se rendent au mariage d'un ancien élève de la mère de Maïté, Madame Alvarez. Celle-ci est invitée à danser par Pierre, qui lui explique qu'il s'est marié avec la première venue pour ne pas retourner en Algérie. Il aimerait que Madame Alvarez, militante communiste, l'aide à se cacher, mais elle refuse fermement lui expliquant que déserter serait une folie à la veille de la paix qui se dessine. Pierre en informe son jeune frère, Serge. Madame Alvarez comprenant quelle n'a été invitée que pour obtenir son aide quitte la fête avec Maïté et François.

Au lycée de Villeneuve-sur-Lot, Madame Alvarez rend des copies de français. Celle de François, élève brillant et sensible, est excellente. Mme Alvarez y décèle pourtant un risque d'infatuation. En revanche, la copie d'un nouveau, Henri, qui a pris position dans son devoir pour l'OAS, agace Madame Alvarez. Dans le dortoir de l'internat, Serge interroge François sur la fille Alvarez, qui lui plaît beaucoup, et lui propose de s'aider mutuellement pour draguer les filles ainsi qu'en cours.

Pendant l'étude, Serge échange une copie de maths avec François dans les couloirs. Leur commerce est interrompu par l'arrivée d'Henri, qui insinue que les deux garçons seraient en train de se draguer. Au dortoir, François veut rejoindre Serge, mais il dort. Dans la même chambre, Henri écoute à la radio les nouvelles d'Algérie.

Madame Alvarez remet les copies. Celle de Serge est excellente. Elle n'est toutefois pas dupe de l'aide apportée par François. Au dortoir, Serge rejoint François dans son lit pour le remercier. Les deux garçons se rapprochent en un jeu sexuel. Si Serge agit surtout par curiosité, François découvre à cette occasion son homosexualité. François, troublé au point d'en changer son apprciation sur A travers le miroir, confesse à Maïté, dans une boum, qu'il est homosexuel et qu'il aime Serge. Maïté l'assure de son amitié et trouve les mots pour l'apaiser.

Mai 1962. Dispensés de sport, Henri et François se confient sur les gradins du stade. Henri a raté trois fois son bac faute de motivation. Pied-noir d'origine, qui a connu la violence, a vu son père mort, le visage arraché par une grenade, il en veut aux Français qui ont abandonné les siens et il sympathise avec l'OAS.

Pendant un cours de français, le directeur du lycée annonce à Serge que son frère a été tué au combat, en Algérie. A l'enterrement de Pierre, lorsque le prêtre le décrit comme un héros mort pour sauver son pays, Serge s'en va. A la demande de François, Maïté rattrape Serge. D'abord agressif, il lui offre de l'accompagner à la rivière et lui fait comprendre qu'il la désire.

Madame Alvarez craque nerveusement durant un cours. Au dortoir, Serge dit sa haine à l'égard d'Henri, sympathisant de l'OAS responsable de la mort de son frère. Lorsqu'Henri entre dans la salle de bain où ils discutent, Serge le frappe. François en voulant les séparer se cogne violemment le front contre un lavabo. Sonné, il propose aux deux garçons confus de partager la chambre d'Henri à la place de Serge.

François et Henri regardent un match de rugby que dispute Serge. Maïté fait comprendre à François qu'il est amoureux d'Henri et de Serge à la fois. Il est désemparé. Pour le réconforter, elle lui raconte que le marchand de chaussures de la ville est homosexuel et qu'il le vit très bien. Au dortoir, François essaie de caresser Henri, mais le cynisme du garçon le paralyse. François rôde devant la boutique du marchand de chaussures mais fuit avant de lui parler

Monsieur Morelli remplace Madame Alvarez. Il propose une dissertation sur la fable de La Fontaine, Le Chêne et le roseau. Il sermonne Henri sur son manque de courage qui va encore rater son bac alors, qu'étant majeur, il pourrait tout aussi bien quitter lécole. Il lui propose son aide pour les deux mois qui restent avant l'épreuve du bac.

François, inquiet des absences de Serge au lycée, vient le retrouver chez lui. Serge lui apprend qu'il va se marier avec Irène, la femme de son frère qui le désire. S'il ne l'aime pas il a envie d'avoir des enfants avec elle. Chez lui, François raconte à Maïté la virée qu'ils firent alors à Toulouse en mobylette, sans évoquer le moment le plus exaltant pour lui, leur trajet, collés l'un contre l'autre. Maïté qui n'est pas dupe reproche à son ami de ne parler que de lui et de ne pas s'intéresser à la santé de sa mère, hospitalisée. D'être "un PD immature et bourgeois". Maïté se couche seule chez elle.

Madame Alvarez est à l'hôpital. Elle voit le fantôme de Pierre, le front souillé de sang. Bouleversé, Henri découvre sur le téléviseur du lycée des nouvelles d'Algérie, l'exode massif des Pieds-noirs et Salan condamné à perpétuité. Il n'arrive pas à se concentrer durant le cours particulier de Monsieur Morelli sur le sonnet de Ronsard sur l'érotisme et la vie. Il lui demande de prendre position sur l'indépendance de l'Algérie. Monsieur Morelli se défausse.

Henri décide d'abandonner ses études et de rejoindre sa mère à Marseille. François lui dit adieu Sur le chemin de la gare, Henri brûle des affiches du Parti communiste et décide d'en faire de même avec le bureau du parti local. C'est là que vit Maïté. Elle le reçoit, ils parlent à cœur ouvert. Maïté lit à Henri la lettre que sa mère lui avait envoyée et qu'il n'avait pu lire. Henri lui dit pourquoi il est venu, elle lui demande de partir. Henri se réveille sur un banc près du Lot.

Monsieur Morelli déjeune avec Madame Alvarez et lui parle de la fugue d'Henri. Elle avoue ne pas s'intéresser au sort de ce garçon dont les opinions politiques la dégoûtent. Puis, Morelli lui présente son épouse arabe. Madame Alvarez est troublée par l'ouverture d'esprit de Morelli.

François, Serge et Maïté attendent les résultats du bac. Pour se détendre, ils décident d'aller se baigner. Maité a besoin d'un maillot de bain. François en profite pour aller rendre visite au marchand de chaussures. Il lui demande conseil mais le vieil homme ne sait quoi lui dire. François rencontre ensuite Henri qui dit avoir connu un état dépressif, s'être terré dans une chambre d'hôtel avant de se décider à quitter la ville. Voyant Maité, Henri décide de les accompagner à la rivière. François et Serge vont se baigner. Serge explique à François qu'il ne veut plus se marier avec Irène mais aussi que plus rien ne sera possible sexuellement entre eux. Maïté et Henri font l'amour. Puis Henri doit partir prendre son train. Désorientée, Maïté rejoint les deux autres garçons et se jette dans les bras de François, cherchant comme une ultime protection face au monde qui a maintenant changé pour elle. Ils vont chercher les résultats du bac.

La fable Le chêne et le roseau, proposée par M. Morelli et lue intégralement par François, véhicule le message essentiel du film. Les quatre jeunes gens du film, François, Serge, Henri et Maïté sont ces roseaux sauvages qui sous la tempête de l'adolescence vont plier sans rompre. A cette dimension sensible de la jeunesse se superpose celles plus sociales de la guerre d'Algérie des inégalités de classe sans oublier les multiples références culturelles.


Les roseaux sauvages

François découvre brusquement son homosexualité et sa vie en est bouleversée. Sensible et intelligent, il cherche comment assumer sa sexualité. En écoutant les conseils des autres, il semble y parvenir. D'autant plus qu'il s'auto-analyse de façon convaincante déclarant à Maïté lors d'un des slows les moins romanesque du cinéma :"J'ai besoin de toi parce que tu me rassures". Adepte de Bergman, il connait les difficultés devant les choix de vie. Il avait déclaré en préambule du film "... ce que je trouve beau dans le personnage c'est qu'elle hésite toujours entre la folie et la réalité, qu'elle doit choisir son camp et que c'est un combat épuisant. Et puis à la fin, quand on voit l'hélicoptère qui vient la chercher dans le ciel, on comprend que c'est les médecins alors on a peur. Et en même temps on se sent soulagés".

Serge, fils de métayers analphabètes, doit faire face à la mort de son frère. Il s'interroge sur sa place. Tenté un moment d'épouser la femme de son frère décédé, il y renonce finalement. Il demeure inquiet de l'isolement que la vie lui promet. Dès les plans de présentation, Téchiné le saisit en gros plan et l'isole du groupe, flou, qui se fait progressivement net dans la profondeur de champ avec les enfants qui s'amusent puis le groupe qui saoule le cochon. Un autre mouvement d'appareil le saisit s'en allant du cimetière alors que la caméra franchit le mur d'enceinte pour recadrer l'enterrement de Pierre. A la fin du film, ce sont ses yeux en gros plan qui regardent Maïté embrassant François après qu'elle se soit donné à Henri. Sans doute a-t-il compris ce qui s'était passé, contrairement à son camarade, et comprend que Maité, qu'il n'a cessé de désirer, ne sera jamais à lui. Seul le grand panoramique circulaire, qui termine le film et l'apaise au son de la même chanson fredonnée qu'au début, rassure un peu sur son sort.

Maïté vit une adolescence difficile sous l'intelligente mais écrasante autorité de sa mère et celle très intellectuelle de François. Elle dit détester sa jeunesse et espérer "une vraie vie à moi sans ma mère et sans François". A celui-ci, elle avait expliqué durant la boom, qu'à la suite de l'abandon de sa mère par son père, elle ressentait chaque femme abandonnée comme un bétail marqué pour l'abattoir. Avant qu'il n'arrive, pour se protéger, elle ne savait pas si elle devait coucher avec tout le monde ou avec personne. "Je t'aime François parce que tu ne seras jamais un ennemi pour moi, quoi que tu fasses. Ce que tu fais avec les autres, je m'en fous. Ce qui compte, c'est ce qui existe entre nous. C'est plus fort que le reste, tu ne crois pas ?" L'apparition d'Henri à la toute fin du film la bouleverse. Elle a peur de lui et l'aime immédiatement. Elle le chasse mais sait qu'elle l'aime et leur retrouvaille près de la rivière scelle leur amour. Elle enjoint Henri d'oublier sa haine : " Plus violent que la guerre, tout passe. Tu m'as donné de la force et de l'espoir"

Henri, oreille collée au transistor s'enferme dans le souvenir de l'Algérie, de son père mort et ne trouve pas de motivation à sa vie en France. Intransigeant, Morelli lui dit qu'il ressemble au chêne de la fable. Henri rend pourtant les armes devant Maïté, lui fait lire la lettre de sa mère, lui avoue avoir voulu incendier le local et reste prostré d'amour pour elle dans un hôtel.


La France de 1962.

Le chêne du film est bien davantage symbolisé par Mme Alvarez. Droite dans ses certitudes, elle agit sans le moindre doute. Dès qu'elle comprend avoir été utilisée par Pierre pour obtenir une planque, elle quitte le mariage. Le grand travelling panoramique qui cadre la noce et son départ avec François et Maité dit son gout des actions nettes et tranchées tout comme le plan qui suit, cut, sur elle sortant les copies de son cartable.

Contrairement à Morelli qui fera passer l'apprentissage de la littérature avant tout, elle mettrait zéro à Henri pour son devoir. Pourtant l'appréciation de ce dernier sur l'attitude des français est assez juste lorsqu'il les compare aux bourgeois de Charleville de Rimbaud. Les français de métropole sont bien "indifférents aux français d'Algérie qui se battent pour défendre leur terre, leur sang, leur dignité".

Outre les références à Rimbaud et La Fontaine, le film cite Ronsard et Absalon Absalon de Faulkner. Les citations cinématographiques sont plus nombreuses encore. Bergman, et au travers des affiches du ciné-club, Le tigre du Bengale de Lang, Les oiseaux de Hitchcock, La baie des anges de Jacques Demy et la Lola du même Demy que Maïté et François courent voir.

Jean-Luc Lacuve le 27/08/2011.

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