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Impardonnables

2011

Thème : Venise

Cannes 2011  :  Quinzaine des realisateurs Avec : André Dussollier (Francis), Carole Bouquet (Judith), Mélanie Thierry (Alice), Adriana Asti (Anna Maria), Mauro Conte (Jérémie), Alexis Loret (Roger), Andrea Pergolesi (Alvise). 1h53.

Francis donne une conférence où il explique ne pas savoir comment son œuvre littéraire nait de lui.

C'est un romancier célèbre et il débarque à Venise pour écrire au calme son prochain roman. Il cherche à louer un petit appartement. Il rencontre Judith, un agent immobilier, dont il tombe immédiatement amoureux. Judith l'emmène visiter une maison isolée dans l'ile de Sant' Erasmo. Leur petit bateau tombe en panne d'essence dans la lagune, et lorsqu'ils arrivent sur l'île, ils sont déjà complices. Francis propose à Judith comme on se jette à l'eau "si on habite ici tous les deux... je signe tout de suite...". Bouleversée, Judith saigne du nez.

Judith s'interroge avec son amie Anna Maria qui fut son amante autrefois sur cette proposition soudaine. Anna Maria, vieillie, connait des problèmes d'argent et surtout a pour unique fils, Jérémie, qui est aujourd'hui en prison.

Quatorze mois plus tard, c'est l'été à Venise et Judith et Francis sont mariés. Alice, la fille de ce dernier, vient leur rendre visite avec sa fille, Vicky. Lorsque son père lui déclare ne pas avoir écrit une ligne depuis un an car il ne peut écrire quand il est amoureux, elle lui rit au nez. En se baignant avec Judith, elle lui fait part des nombreuses infidélités de son père qui entraina la mort de sa mère, détruite par les calmants avant son accident de voiture. Elle s'en va ensuite cherchant à rejoindre Alvise.

Le soir Francis est inquiet de ne pas voir rentrer Alice et surtout de la savoir avec Alvise qui dirige le trafic de drogue sur Venise. Ses affaires ayant disparues, il demande à Judith qui connait bien la comtesse, la mère d'Alvise, si sa fille est chez eux. Alvise nie avoir vu Alice et, au fils des jours, Francis s'inquiète. La venue de Robert, le jeune mari parfait qui ramène Vicky, ne change rien.

De plus en plus angoissé, Francis tente d'obtenir d'Anna Maria, qui exerçait autrefois le métier de détective privé, qu'elle se mette à la recherche d'Alice. Celle-ci, s'estimant top âgée, trop fatiguée, trop angoissée par son fils, refuse. Francis n'a pas plus de succès auprès de Judith à laquelle il demande de rester près de lui. Elle doit partir pour Londres chercher de l'argent pour son agence.

Durant l'absence de Judith, Francis apprivoise Anna Maria pourtant peu encline aux compagnies masculines et la convainc de rechercher sa fille. Il l'accompagne chercher son fils à sa sortie de prison. Anna Maria découvre vite qu'Alice est bien en compagnie d'Alvise avec lequel elle file le parfait amour. Celui-ci après lui avoir fait visiter Les Frarie et la Scuola san Rocco l'a emmené en France. Judith est revenue et tous deux vont visiter la comtesse qui s'inquiète du départ de son fils pour l'étranger, le sentant menacé de mort. Ceci décide Francis à demander à Anna Maria de continuer ses recherches en France.

Francis, inquiet pour sa fille, s'aperçoit aussi que Judith connait à Venise bien plus de monde qu'il le croyait et soupçonne hommes et femmes qu'elle rencontre d'avoir été ses amants. Ainsi demande-t-il à Jérémie, dont il s'est rapproché, de suivre sa femme. A bout de deux jours, Judith a repéré Jérémie. Celui-ci, fasciné par le grand amour de sa mère lui avoue, que c'est son mari qui la fait suivre. Judith, bouleversée saigne du nez et, connaissant, les difficultés financières du garçon l'incite à poursuivre son travail. Tard le soir, Jérémie rend compte de ses filatures infructueuses à Francis. Il bascule dans le canal un jeune garçon qui tentait de le draguer. Le jour suivant Judith et Jérémie s'amusent de leur fausse filature. Jérémie vole un baiser à Judith qui, désemparée, se donne à lui. Le soir Jérémie dit à Francis vouloir renoncer à la filature mais il est pris à parti par l'homme qu'il a jeté dans le canal la veille, accompagné de deux autres garçons bien décidés à le venger. Excédés par Jérémie, ils tuent son chien en expliquant à Francis qu'ils ne peuvent supporter plus longtemps l'attitude violemment homophobe du jeune homme. Francis, ulcéré par le comportement de Jérémie, rompt avec lui. Celui-ci s'en venge le lendemain en attaquant son hors bord dans la lagune et le jetant à l'eau. Lorsque Francis revient s'expliquer avec lui dans sa maison, il le découvre, les veines coupées dans la baignoire.

A l'hôpital, Anne Maria est revenue pour veiller sur son fils. Elle ramène à Francis un DVD de sa fille en forme de lettre. Lettre de rupture puisque, pour bien lui prouver qu'il n'a pas à la faire suivre, qu'elle sait ce qu'elle fait en étant amoureuse d'Alvise, elle s'exhibe faisant l'amour avec lui. Judith sait que son histoire d'amour avec Francis est en train de mourir. Anna Maria lui porte un nouveau coup en lui apprenant sa mort prochaine, certaine après les examens qu'elle a pratiqué en France, et en lui reprochant de n'avoir jamais su aimer. Le mariage de la fille du vigneron dans leur grande maison semble sceller la fin de l'amour de Francis et Judith. Francis réussit dorénavant à écrire et fait peu de cas de leur séparation qui s'annonce. Judith, devant sa brutale froideur, croit qu'elle va saigner du nez mais ses narines restent désespérément nettes.

Quatre mois plus tard, c'est l'hiver. Judith accueille Alice à Venise. Toutes deux se comprennent désormais. Judith s'est aperçu qu'elle aime toujours Francis qui se montre indifférent et Alice est traumatisée par son aventure avec Alvise qu'elle aime toujours. Alice se réconcilie avec son père et lui avoue qu'elle pense sans cesse à Alvise qui s'est rendu à la police et purge une peine de prison pour échapper aux tentatives d'assassinat de gangsters. Alvise qui supporte mal les pleurs d'Alice, demande à Judith de lui servir de prête-nom pour blanchir de l'argent. Judith refuse. Francis désire toujours Judith et fait l'amour avec elle mais refuse de vivre prés d'elle n'acceptant pas même une chambre à Venise qui le rapprocherait d'elle. Anne Maria meurt, Jérémie n'a pas voulu la revoir et se cache à son enterrement. Francis, qui l'aperçoit, le frappe.

Deux mois plus tard, c'est le printemps. La maison va être louée à une famille de riches indiens. Le livre de Francis est paru. Judith se résigne à voir partir celui qu'elle aime. Jérémie vient le remercier de l'avoir sorti de sa léthargie en le frappant. Il va partir chercher du travail dans le sud. Il reconnait avoir fait l'amour avec Judith mais ne peut rien contre lui, célèbre et qui sait parler aux femmes. Francis s'aperçoit soudain que Judith l'aime et que lui-même est toujours amoureux. Il court la rejoindre dans son agence et lui demande de partir avec lui en France.

Impardonnables entrecroise trois fils narratifs : l'écriture, annoncée dès la première séquence, la parentalité qui renvoie au titre du film et enfin une superbe histoire d'amour incarnée par une Carole Bouquet belle comme jamais. Tout cela s'accompagne, comme d'habitude chez Téchiné, d'un travail sur les lieux pour découvrir une Venise aussi apaisante que grosse de dangers potentiels.

L'écriture, une maternité monstrueuse.

Francis donne une conférence où il explique ne pas savoir comment son œuvre littéraire nait de lui. Citant Schopenhauer, il compare la création à une grossesse monstrueuse où la mère refuserait de se savoir enceinte comme de reconnaitre son enfant. Si Francis ne sait pas comme l'œuvre nait, il en connait toutefois les conditions d'élaboration. C'est pourquoi il recherche une chambre calme et austère à Venise. La vie doit s'effacer autour de l'œuvre à construire. De la vie doivent s'être retirés à la fois l'amour mais aussi la préoccupation des enfants. Lorsque comme il le dit "rien n'est plus à sa place", il se perd dans les détails de tableaux examinés à la loupe ou des fragments de monuments pris en photos. A contrario, c'est quand tout est perdu qu'il peut écrire. Lorsqu'il ne s'inquiète plus inutilement pour sa fille et que son histoire d'amour avec Judith semble être terminée. Le mariage de la fille du vigneron exprime, en réduction cette vie dont il s'absente. Il se retire et ignore la vie et la fête, les chants, les promesses échangées et les feux d'artifice. C'est aussi une fois terminé son roman qu'il comprend que Judith l'aime et qu'il part la retrouver. Ce vrai happy-end porte aussi, en creux, tout ce que la création exige de retrait de la vie.

Procréation et culpabilité

Alice est, dans l'économie narrative du film, l'obstacle le plus manifeste à l'écriture de son père. Francis se sait impardonnable en dépit de ses efforts pour élever sa fille. "Pour supprimer la culpabilité, il faudrait interdire la procréation" dit-il à Anna Maria qui est dans la même situation que lui. Francis sait que ses infidélités ont marqué Alice comme Anna Maria sait que son homosexualité décomplexée à pesé sur l'éducation son fils qui fanfaronne sur son père absent. Les parents de part leur exemple même ont profondément marqués leurs enfants qui ne sont pas en mesure de leur donner le pardon qui les tranquilliserait et leur ôterait la culpabilité. Ce qui est inscrit en eux leur pèse et, pour continuer à aimer leur parents, ils ne peuvent que s'éloigner pour se construire eux-mêmes. Vouloir, comme Francis, chercher la réconciliation immédiate, c'est sous-estimer la dimension tragique de l'existence. D'où cette statue de Poséidon vengeur, sortie tout droit du Mépris, qui lui fait face. De même Anna Maria vieillie, malade, éloignée des réalités du monde, ne peut venir en aide à son fils. Le temps où, superbe, elle déambulait dans Parme (on voit l'actrice dans un extrait de Prima della revoluzione, quel bouleversant collage, là aussi !) s'est définitivement éloigné.

collages des dimensions tragiques du Mépris pour Francis et dePrima della revoluzione pour Anna Maria

La protection de ses enfants et la difficulté à la rendre efficace en toute circonstance trouve un écho dans la passion pour son chien dont se prend Jérémie. Lui non plus, malgré son investissement, son amour irraisonné (séquence du jeu au ralenti) ne parviendra pas davantage à le protéger. Au rêve de Francis de sa fille repêchée, morte dans la lagune, répond le meurtre du chien, son enterrement de nuit presque fantastique et la pierre tombale. La comtesse avec son fils Alvise d'une part Alice avec Vicky d'autre part ont confrontées aussi leur enfant à des traumatismes dont ils auraient souhaité les dispenser. La première sait l'atmosphère vénéneuse de Venise possiblement mortelle pour son fils. Alice expose par ses fugues sa fille à des exemples identiques comme le suggèrent ces deux belles séquences où son reflet sur la vitre se superpose à celle de son grand-père observant la lagune à la jumelle avec anxiété et celle où, cachée derrière un mur, elle écoute Francis raconter à Judith la fuite d'Alice à huit ans dans la neige.

Judith, sans avoir eut d'enfant, semble la plus douée. Elle sait fixer des barrières, dire non à Alvise, refuser une discussion scabreuse avec Alice. C'est aussi de façon impulsive, en le frappant le jour de l'enterrement, que Francis se montre le plus utile : il décide Jérémie à partir.

L'amour toujours

L'autre grand séisme de l'existence, l'autre grand obstacle à la création, on le sait depuis Gertrud au moins, est l'amour. Si Francis est touchant en amant attentif au plaisir de sa partenaire plus jeune, c'est Judith, interprétée par Carole Bouquet, belle comme jamais, qui marque le film de son emprunte. Superbe dans ses robes blanches ou à fleurs, joyeuse légère et élégante, purifiée des bains pris dans la lagune ou amusée des trajets en hors bord à l'approche de saint Erasmo, droite, elle refuse le trafic d'œuvre d'art ou le blanchiment d'argent et s'en tient à son métier qu'elle accomplie sans faillir malgré les difficultés et les sacrifices. La souffrance vient à elle par les saignements de nez, deux fois lorsque Francis lui demande d'habiter avec elle et quand elle apprend que Francis la fait suivre. Son sang se glace, le nez ne saigne plus ,quand Francis lui dit se préparer à partir à Paris. Vidée d'elle-même elle est à l'abandon comme lorsqu'elle s'était allongee sur l'herbe pour se donner à Jérémie. Traumatisant sera aussi l'accusation de froideur des sentiments que lui lancera Anna Maria.

Venise, ville de l'amour, est calme apaisée, désertée, chaleureuse comme celle d'un amour à soixante ans. Venise est le lieu de Judith, de son passé et de son désir d'aimer. Mais Venise se revèle aussi inquiétante avec ses dragues nocturnes, violentes, ses trafics de drogue et trafic d'art autour de faussaires de pièces ou de tableaux. Elle est ainsi aussi celle de la passion d'Alice. La maison de Sant' Erasmo, île étale, est celle de Francis. D'elle semble partir les lignes de poursuite et de filature qui sont autant de transferts de désirs et de culpabilités.

 

Jean-Luc Lacuve le 20/08/2011.

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