La quadrature du cercle

2009

(Dans la mer il n'y a pas de caïmans,(version TV).Coréalisé avec Roland Cibien et Alain Guillon. Avec : Youba Niakaté et les experts vietnamiens en riziculture. 1h20.

Au nord-ouest du Mali, aux portes du désert, les Saninkes n'ont pas d'autres choix que d'émigrer, depuis des générations. Cette fatalité pèse sur les jeunes hommes, mais aussi sur les familles restées au village, dont la subsistance dépend des frères ou des enfants en exil.

Youba, un paysan lettré, à la tête d'une famille de 43 personnes a décidé de stopper cette fatalité qui le conduit à acheter ses substances avec l'argent des migrants. Choisi pour mettre en oeuvre un programme de culture du riz en région aride, il décide de s'investir totalement dans ce projet. Le travail est long pour transformer un grand champ aride en rizière.

C'est d'abord le cours d'une rivière, maintenant presque toujours asséchée qu'il faut transformer en réserve d'eau par un barrage en aval qui retiendra l'eau des pluies.

L'équipe du PADDY, le Programme d'Appui au Développement Durable du Cercle de Yélimané en a fait son objectif principal. C'est un programme soutenu par les ressortissants maliens installés à Montreuil et coordonné sur place par un français dont la première tache est d'initier les techniciens vietnamiens volontaires aux rudiments du français.

Les vietnamiens se désolent des conditions de vie particulièrement difficiles des Africains et de la lenteur de l'aide qu'ils peuvent leur apporter. Ils proposent leurs idées aux chefs de villages.

Et lorsqu'ils reviennent, la seconde année, les plantations de certains villages prouvent leur réussite. Il faudra néanmoins attendre un an avant de consommer ces légumes. Ce sont, cette année, les graines qu'il faudra récolter pour planter davantage l'an prochain à l'aide d'une irrigation plus efficace.

Dans le village de Youba tout est maintenant prêt pour planter le riz....

La quadrature du cercle est un documentaire sensible qui capte les espoirs fragiles de développement d'un village malien. Ce qui est filmé, ce sont moins les techniques mises en oeuvre que l'amitié qui se noue au cours des trois années entre les vietnamiens et les maliens et qui sera la plus sure garantie de la survie de la rizière dans les années à venir ; la réussite d'un projet comme témoignage d'une amitié.

Laurent Cibien, Alain Guillon et Philippe Worms, ont tourné dans différents villages de la région, on dit ici le Cercle, de Yélimané, au nord-ouest du Mali près de Kayes entre février 2007 et octobre 2008.

Un projet fragile

Comme les techniciens vietnamiens, les cinéastes ont donc pu revenir, même si ce n'est qu'une seule fois, pour constater l'avancement des cultures et l'état d'esprit des différents protagonistes.

Evitant tout commentaire, souvent lénifiant sur les projets de développement, ils enregistrent la parole de Youba, le paysan lettré enthousiaste et les doutes des vietnamiens sur la pérennité de leur projet. Alternent séquences d'euphorie où tout un village est animé de l'envie de réussir avec des séquences de vie quotidienne, enfants jouant ou femmes préparant le mil.

Le projet qui va amener les gens du village à cultiver un vaste îlot de terre qui leur permettra de devenir autosuffisants avance donc mais le film ne se prive pas d'en montrer les faiblesses à venir : la menace des crapauds et des insectes, la violence du vent, l'absence de mécanisation et les résultats insuffisants. La récolte ne permettra pas encore cette année à Youba d'être autosuffisant et il devra la compléter d'achat de riz pour sa nombreuse famille. Plus grave sans doute, aucun des jeunes interrogés en début de film, et qui souhaitaient partir en France, ne semble s'être intéressé au projet. Rien ne dit non plus que Youba sera capable d'étendre la culture du riz à des espaces plus grands.

Qui nécessite le temps de l'amitié

Mais les auteurs du film sont surtout sensibles à l'espoir de quelque chose de plus grand que la réussite immédiate qui animent les acteurs de ce projet. Si, dès le départ, ils ont pris soin d'enregistrer les espoirs de chacun (Youba attentif à la malédiction enracinée dans l'esclavage, les vietnamiens méthodiques dans leur approche), c'est bien plutôt les retrouvailles de plus en plus chaleureuses entre le jeune chef vietnamien et Youba qui structurent le film.

Filmés sous un arbre tutélaire ou prenant le thé, ces moments d'échanges entre deux cultures, entre deux générations se font d'autant plus intenses que l'on sent la fin du projet approcher et que s'échangent déjà les photos du passé de la relation.

Le jeune technicien vietnamien n'est pas bien certain que, sans son aide, Youba réussira à étendre ses cultures ou même à la maintenir mais il est sûr qu'il parviendra à mobiliser les gens de sa grande famille pour ce travail exceptionnel. Il s'en voudrait trop de décevoir son ami.

Resoudre le problème du sous-developpement en Afrique relève peut-être de la quadrature du cercle mais ce que montre ce documentaire est qu'on ne peut oublier les relations humaines comme force de transformation du monde.

 

Jean-Luc Lacuve le 04/02/2010