Vienne 1918. Klimt dans une chambre d'hôpital est à l'agonie. Egon Schiele lui rend une dernière visite. Klimt réclame des fleurs et se souvient.
1899 : dans un café viennois, où les membres de la Sécession ont l'habitude de se réunir, on discute beaucoup de la valeur de l'ornement ou de celle de la beauté liée à la seule fonction. Pour avoir soutenu cette thèse, un critique est entarté par Klimt. Il lui déclare ne pas lui en vouloir car toutes ses peintures sont sexuelles. Klimt le désentarte. Le peintre est rejoint par, Midi, sa jeune compagne qui tient un atelier de haute couture et veille sur les intérêts de son amant auprès des autorités. Elle lui apprend, que son travail ne sera reconnu que si Paris approuve sa peinture lors de l'exposition universelle en 1900. Klimt regrette que son pays doive se retrancher derrière l'avis des autres pour le reconnaître.
1900 : Klimt triomphe à l'exposition universelle et reçoit la médaille d'or. Lors du dîner de gala, on présente l'invention récente du cinématographe et le filmage par Méliès de la rencontre entre Klimt et la demi-mondaine Léa de Castro exécutant un numéro de danse. Méliès vient ensuite se présenter avec ses deux acteurs. Le coup de foudre de Klimt pour l'actrice interprétant Léa est immédiat. Midi s'en aperçoit et repart à Vienne faisant promettre à son amant de tout lui raconter.
Le secrétaire d'ambassade conduit Klimt chez la vraie Léa ou plutôt chez son protecteur le baron Herzog. Klimt entre dans la chambre et bientôt Léa surgit nue. De l'autre coté d'un miroir sans teint, le baron observe sa maîtresse faire l'amour avec Klimt. Mais est-ce sa maîtresse ou l'actrice ? Klimt s'interroge aussi lorsqu'il voit surgir celle qui se dit maintenant la vraie Léa. Dépité, le baron les voit faire l'amour. Léa de Castro révèle à Klimt qu'elle attend de lui deux portraits l'un déshabillé l'autre habillé. Follement épris, Klimt fait durer les séances de poses photographiques puis s'en retourne à Vienne pour réaliser les deux portraits.
Serena Lederer essaie d'exciter la jalousie de Midi. Klimt se bat sous la neige avec un agresseur du ministre de la culture. Avec celui-ci, ils vont dans la maison close de La Moustache. Dans le salon africain, le ministre explique pourquoi l'empereur n'a pas aimé l'allégorie d la médecine. Klimt rencontre peut-être sa propre fille comme cliente.
Klimt vit en effet très librement avec ses modèles et sa mère et sa sur à demi-folles toutes les deux lui reprochent amèrement ses nombreux enfants bâtards. Lors d'une visite à la mère de l'un de ses nouveaux enfants Klimt fait preuve de son habituelle générosité financière et morale (il accepte l'éducation juive pour ses enfants), il rencontre un peintre chinois.
Klimt, toujours torturé par son amour inassouvi par Léa de Castro, est finalement invité chez elle. Mais cette fois c'est une troisième Léa qui est présente et le charme opère difficilement.
Klimt s'en retourne à Vienne, assiste une nouvelle fois aux disputes dans le café central de Vienne où Wittgenstein développe ses théories. Midi essaie de le récupérer en montant un stratagème avec l'ancien chef de rang du grand café. Klimt rencontre monsieur Non, l'académicien qui l'empêcha de recevoir les honneurs qui lui étaient du. Il sourit. La neige tombe. Elle empêchera la dernière fête où, peut-être, Midi et Léa auraient pu se retrouver autour de Klimt.
Les reproductions des tableaux de Klimt indiquent assez précisément la chronologie du film depuis La philosophie (1899) et La Médecine (1900) jusqu'à Les amantes (1916) ou La mort et vie (1916) en passant par les portraits de Serenea Lederer (1902) et de Emilie Flöge (1908). Si on veut bien admettre que c'est à partir de Pallas Athénée (1898) que Klimt s'émancipe par rapport à l'art officiel alors le film de Ruiz est bien une biographie filmée couvrant les vingt dernières années du peintre.
Les reproductions de tableaux (y compris La philosophie et La médecine reconstitués après leur disparition en 1945) sont pourtant les éléments les moins mensongers d'un film où la déformation par rapport au réel constitue la base du travail artistique.
Certes, le choix d'un flash-back mental au seuil de la mort permet à Ruiz de structurer son film en forme de ronde "à la manière de Schnitzler", de déformer les noms (Léa de Castro pour Cloé de Merode) de faire surgir un secrétaire d'ambassade imaginaire et fantomatique, sorte de mauvaise conscience de Klimt, de casser les miroir au son de la voix, de faire neiger des flocons aussi bien que des fleurs ou des feuilles d'or.
Mais la déformation du réel est un principe aussi fondamental à Klimt qu'il l'est à Raoul Ruiz. C'est pourquoi celui-ci n'hésite pas à imaginer les rencontres de Klimt avec Georges Méliès ou avec un peintre chinois.
Ruiz suggère une parenté entre le goût de l'insolite, du trucage, des effets irréels chez l'un et le culte du visage énigmatique, du décor mosaïque, de la silhouette sinueuse, du motif extravagant sur une plaque de verre ou dans un reflet troubles de l'eau ou dans un dessin sans perspective monofocale chez l'autre. Klimt est une tentative de transposition à l'écran de la peinture de cet adepte de l'ornement byzantin, kitsch, anti-académique
Ruiz ne recourt pas à un fatras de mouvements de caméra, à des angles de prises de vues inhabituels, à des débauches de couleurs, des déplacements de décors ou des changements de lumière comme il le faisait pesamment avec Le temps retrouvé (Faut-il rappeler à quel point le pur dessin de Proust vers la rédemption par l'art est en total désaccord avec l'univers de Ruiz ?).
Au contraire, surgit de ce système de correspondances, l'amour violent de Klimt pour Léa de Castro et un Klimt simple et rayonnant, juste et joyeux, profitant du tourbillon viennois pour suivre implacablement le chemin de l'art.
L'une des dernières séquences met en scène Klimt et un "Monsieur non", homme qui a toujours refusé les honneurs académiques au peintre. Pourtant, comme avec le ministre, cette force s'effacera devant le sourire et la puissance créatrice de Klimt. Le film ne le dit pas mais suggère bien cette admission de Klimt comme membre honoraire de l'Académie des beaux-arts de Vienne en 1917.
Apparemment infidèle, ce film est à la fois la vision la plus juste possible du peintre mais peut-être aussi de l'art viennois du début du vingtième siècle avec son goût de l'expérimentation, de l'amour et d'un réglement des conflits avec raffinement. Ruiz y rajoute les ombres de la guerre et de l'antisémitisme (les maîtresses de Klimt, toutes juives, comme le rappelle haineusement sa mère, le joueur de flûte de Hamelin, la petite fille qui se cache).
Jean-Luc Lacuve Le 10/05/2006