Accueil Fonctionnement Mise en scène Réalisateurs Histoires du cinéma Ethétique Les genres Les thèmes Palmarès Beaux-arts

Les anges exterminateurs

2006

Avec : Frederic Van Den Driessche (François), Maroussia Dubreuil (Charlotte), Lise Bellynck (Julie), Marie Allan (Stéphanie), François Négret (Son frère), Raphaële Godin (Ange n°1 et Rebecca) , Margaret Zenou (Ange n°2), Virginie Legeay (Virginie). 1h40.
<

François se réveille, il souhaite rendre visite à sa grand-mère qui se meurt à l'hôpital. Dans un demi-sommeil, sa femme lui rappelle qu'elle est morte depuis dix ans. Le fantôme de la grand-mère confirme les dires de son épouse. Deux anges vêtus de noirs font une brève apparition. Leurs ordres sont de punir cet homme. "Pourquoi lui ?" s'interroge l'une d'elles. Sa compagne la ramène à sa condition d'exécutante des ordres célestes supérieurs même si, elle en convient, ce sera trop facile. La grand-mère leur demande l'indulgence.

François, qui prépare un film mi-policier mi-érotique, photographie une fille, Virginie, se masturbant au lever du lit. L'ange lui souffle d'écouter ce qu'elle dit : son discours le rendra célèbre. Virginie lui avoue avoir eu son premier orgasme en étant filmé par lui. Deux ans s'écoulent avant qu'il ne la croise à nouveau. Elle lui dit lui en vouloir de ne pas l'avoir prise dans son film. Son discours avait cependant marqué François car il cherche maintenant à réaliser un film autour de plaisir dû à la transgression.

Suit un défilé de candidatures pour des scènes érotiques. La première se montre compréhensive.Toutes les autres refusent. Dans un café, François rencontre une ancienne actrice, Rebecca, qui a préféré renoncer au métier d'acteur qui, tous et toutes, ont un ego surdimensionné. Dans ce café, les anges exterminateurs veillent et soufflent à Julie de venir demander un engagement à François. Plus tard, chez elle, devant François, Julie se masturbe avec une boule de plastique dur.

Plus tard, une jeune fille brune lui fait un ahurissant numéro de strip-tease... et lui emprunte de la documentation pour son mémoire de maîtrise. Il rencontre ensuite une jolie blonde qui avoue être actrice de porno. C'est ensuite la rencontre avec Charlotte, une copine de la strip-teaseuse qui se dit prête à jouer dans le film de François. Il l'emmène au restaurant où elle se masturbe devant la serveuse. Julie vient les rejoindre alors que la serveuse observe leur manège. François les emmène à l'hôtel. Elles se donnent du plaisir. Il les fait recommencer devant une porte ouverte donnant sur le couloir de l'hôtel. Alors que Julie s'éclipse pour rejoindre son ami, François et Charlotte se rapprochent, celle-ci racontant son enfance à celui-là. Julie revient ayant rompu avec son mec. Elles sortent en boite ensemble.

Le matin une nouvelle candidate, Stéphanie, la serveuse de la veille que François n'avait d'abord pas reconnue, le bouscule en l'obligeant à le suivre à l'hôtel. Julie et Charlotte, qui harcelaient François pour qu'il vienne les rejoindre chez leurs amis, sont conviées par Stéphanie à les rejoindre, eux, dans la chambre d'hôtel. François les filme faisant l'amour toutes les trois.

En rentrant chez lui, François possède sa femme comme il ne l'avait pas fait depuis des lustres. Le matin, il est appelé par le patron d'un bar : Charlotte est ivre morte. La reconduisant chez elle, il trouve un appartement désolé. Charlotte avoue se croire parfois possédée par le diable et se mettre alors à tout casser et détruire. Chez lui le soir, François discute avec sa femme qui le met en garde contre la versatilité des jeunes filles auxquelles il a promis un engagement. Il reçoit un appel de Stéphanie lui déclarant son amour pour Charlotte. L'ange exterminateur déclare qu'il est temps d'enclencher le dernier acte. Sa femme lui demande de ne pas répondre à l'appel suivant. François ne résiste pourtant pas. Charlotte lui fait part de la déclaration d'amour qu'elle vient de recevoir de Stéphanie mais déclare ne pas y être sensible.

Le matin, François est chez Charlotte. Stéphanie s'y trouve et François leur fait répéter un texte de Hugo. Arrive alors le frère de Stéphanie qui se montre aussi vaguement incestueux que réellement menaçant. En sortant de l'appartement François découvre qu'il est probablement RG ou policier car il l'attend avec d'autres hommes dans une voiture bientôt munie d'un gyrophare. Plus tard, les filles, le harcèlent dans un parc afin d'être bien certaines qu'il les fera jouer. Il a du mal à leur expliquer qu'il a besoin d'éventuelles remplaçantes.

Lorsque le tournage commence, Charlotte fait une crise de démence. Le producteur exige son départ. François laisse faire, Stéphanie lui crache à la figure et jure de lui faire payer leur double renvoie. Pourtant, le tournage se passe bien et François réussit sans peine à remplacer Charlotte et Stéphanie par la jeune actrice de porno vue au début et par une nouvelle actrice. Julie s'en va dès la fin du tournage.

Quelques temps plus tard, François est arrêté pour harcèlement sexuel. Lorsqu'il revient de son incarcération, sa femme est partie, lassée du peu d'attention qu'il lui a consacrée.

François rencontre Julie par hasard qui le suit dans le café où il avait rencontré la première actrice. Elle s'en va après lui avoir déclaré son amour qu'il n'avait jamais su voir.

En rentrant chez lui, François est violemment battu par une bande cagoulée, probablement celles des RG du frère de Stéphanie. L'une des anges exterminateurs arrête le geste qui l'aurait tué. Elle se condamne au châtiment céleste mais reçoit l'amour de sa compagne. Elle peut sourire, François, en chaise roulante continue de tourner. Une porte s'ouvre sur le noir. La caméra s'y engouffre.

Le cinéma de Brisseau a toujours marqué sa prédilection pour les mondes originels où se battent éternellement le bien et le mal et qui englobent les mondes sociaux où les pauvres humains se croient libres.

Le monde dérivé auquel s'attaque ici Brisseau est celui du sexe où semble régner la plus grande liberté. Le sexe s'affiche sans complexe à la une des magazines et des télévisons et pourtant Brisseau affirme que le plaisir est d'autant plus fort qu'il repose sur la transgression. C'est du moins l'opinion de François suite aux déclarations de Virginie, la jeune fille qu'il avait filmée pour un bout d'essai sur son film policier et qu'il n'avait pas retenue. François cherche à en acquérir la certitude en observant des jeunes actrices qu'il met dans des situations légèrement dangereuses ou inhabituelles.

La transgression dans le milieu dérivé du sexe

C'est de l'observation de la réalité qu'il pourra tirer le scénario qu'il mettra ensuite en scène. Ce mélange d'intelligence et de naïveté conduit François à agir en spectateur détaché, impartial, scientifique de la recherche du plaisir. C'est l'occasion de longues scènes de discours féminins, de vraisemblables confidences recueillies avec attention peut-être vraies, souvent pleines d'humour et parfois même burlesque comme la séquence avec la strip-teaseuse amateur voulant tester sa capacité de provocation sexuelle. On retiendra aussi la séquence dans le restaurant de la double masturbation sous la table et surtout sous le regard de la serveuse. Cette recherche qui n'est pas celle du crime mais celle du plaisir se doit de comporter des scènes d'action, ici d'amour physique dont la plus réussie est évidemment la séquence d'amour des trois filles, Stéphanie, Julie et Charlotte dans l'hôtel. En repassant l'extrait vidéo chez lui François et le spectateur sont bien convaincu de sa recherche victorieuse. On notera la précision avec laquelle Brisseau film la montée du plaisir dans un travelling dont le mouvement s'arrête juste au moment où la satisfaction est atteinte.

Apparemment victorieux, François ne comprend pas les réactions violentes que sa cuisine scénaristique déclenche. Il réussit son film mais continue de s'interroger : il a prouvé la réalité du plaisir dans la transgression mais pour lui il ne s'agit que d'une tempête dans un verre d'eau. Il comprend bien que quelque chose de plus profond doit être à l'œuvre.

La transgression dans les milieux originaires.

François n'est pas Brisseau même si celui-ci lui a prêté ses costumes et sa voix off. Il va surplomber ce personnage et mettre en scène tout ce qu'il n'a pas su voir. La transgression est aussi à l'œuvre dans la mise en scène. Elle déclenche des réactions d'amour, de haine et de jalousie auxquelles François reste insensible comme, dès le départ, il était resté insensible bien trop longtemps à la souffrance de sa grand-mère à l'hôpital. Pareillement, il ne comprend pas la réaction de rejet de Virginie, de haine de Stéphanie d'appel à protection de Charlotte ou d'amour de sa femme ou de Julie.

Il n'est ainsi pas impossible de voir dans les membres brisés du cinéaste une métaphore d'Icare qui s'est élevé trop près du soleil, d'une création pure. On peut aussi voir dans le parcourt de François un rappel de celui d'Œdipe qui a cru répondre par l'intelligence à l'énigme du Sphinx mais a dû finalement en passer par l'épreuve autrement cruelle du parricide et de l'inceste pour, qu'aveugle, il comprenne enfin la densité de la vie humaine.

Que l'une des anges exterminateurs soit jouée par la même actrice que celle qui interprète Rebecca, la jeune fille qui cessa de faire du cinéma parce que dégoûtée du milieu, pourrait suggérer que les mondes originaires sont ceux de la réalité puissamment destructrice et violente de la vie qui s'opposent à l'idée d'un art pur.

De manière assez paradoxale, ce qui est le plus visible dans la mise en scène de Brisseau : les voix off venues de postes de radio, référence à L'Orphée de Cocteau, ou les éclarages élaborées qui précèdent ou accompagnent l'intervention des anges figurent la réalité profonde d'un monde dont François voudrait ne rien connaitre, occupé seulement par son art.

Dans la vie souterraine et destructrice, les anges seront châtiées pour leur clémence mais l'ange Rebecca trouve l'amour de sa compagne et peut continuer de sourire : François, cloué sur sa chaise roulante continuera de tourner probablement grandi par cette épreuve.

Que l'art transgresse la réalité est un discours bien connu, que le fleuve puissant de la vie transgresse un art trop pur pour le ruer de coups et lui apprendre à vivre tel est sans doute le noir dessin de Brisseau dans ce film.

Jean-Luc Lacuve, le 18 septembre 2006

Retour