Ordo, bientôt la quarantaine, officier dans la marine nationale, mène une vie sans histoires. Jusqu'au jour où il apprend qu'Estelle, la jeune fille de seize ans avec qui il a été marié quelques mois et qu'il n'a jamais revue, est devenue Louise Sandoli, star de cinéma populaire, celle qui fait fantasmer tous les hommes. Ordo a bien du mal à croire qu'Estelle et Louise sont la même personne, tant la métamorphose est stupéfiante. Il décide donc d'aller voir de plus près...

Il pourrait s'agir d'un scénario de polar : d'une usurpation d'identité dans les milieu du cinéma afin de cacher le passé peu recommandable d'une star. Lorsque tout semble se dérégler entre Louise et Ordo, le producteur évoque auprès d'Ordo l'idée d'un second mariage avec Louise. S'agirait-il d'utiliser Ordo pour manipuler l'opinion afin de sauver la carrière de l'actrice tout comme dans Un si doux visage, l'avocat de Frank et de Diane, pour favoriser leur image et attendrir le jury, les encourage à se marier ?

Il pourrait s'agir aussi d'une description des mileux du cinéma, d'une nouvelle Nuit américaine. On y retrouve une galerie de seconds rôles (le photographe, l'assistant, l'accessoiriste, la maquilleuse, la manucure). On y voit aussi des acteurs l'ego surdimensionné ne comprenant rien à la mise en scène. Leur volonté de dépasser en psychologie celle, supposée être du niveau d'un poisson rouge, du réalisateur avant de constater par eux-mêmes la qualité des rushs montre à quel point l'œuvre d'art n'a que peu à voir avec les indications donnés aux acteurs sur la vérité de leur personnage. Le pari du film était ici risqué de réussir à dessiner le personnage d'une star avec une actrice peu connue. Marie-Josée Croze figure un personnage calqué sur Marylyn Monroe. Elle en a la blondeur, la silhouette, la grâce et la fragilité et a probablement étudié les poses autour de la piscine de l'actrice mythique tellles qu'on peut les voir sur les rushs de son dernier film inachevé.

Il s'agit plus probablement d'un scénario psychanalytique. La figure la plus évidente en serait une mère castratrice. Pour elle l'image et la gloire avec l'agent qui l'accompagne offrent plus d 'intérêt que la recherche de l'amour. Elle ne pourra cependant que constater les dégâts en comptabilisant les quatre mariages ratés de sa fille. Pour jouer ce rôle, Stéphane Audran, tout droit venu de l'univers de Chabrol (La femme infidèle, Noces rouges), y est remarquable en mère impossible et frustrée. Autre figure psychanalytique évidente : la chambre de repos de Louise. Sa position en haut de la maison symbolise sans trop de doute le cerveau de la jeune femme. Lorsque Ordo parviendra enfin à y pénétrer, il n'y découvrira que le vide, le narcissisme représenté par un lit donnant sur une glace. Il aura alors bien raison d'interpréter les souvenirs rangés dans une malle dans un débarras annexe comme une case délaissée du cerveau, fermée, abandonnée.

D'autres pistes enrichissent le film autour de cette figure absente qu'est Louise. Pour Ordo, la tragédie d'une vie intime (les réminiscences en forme de flash mental) entraperçue deux fois et aussitôt perdue. Lorsque commence le film, lorsque Ordo découvre la transformation de Louise dans un magazine, il a déjà renoncé à vivre pour lui-même. Il sait qu'il n'est pas assez bon (parce que trop bon) pour réussir en dehors du cadre stricte de l'armée. L'humour pince sans rire qui accompagne le récit de son passé n'en cache pas le désespoir. Malgré ses tentatives de calquer son destin sur des personnes aux origines différentes (grecque, hongroise, sochalienne…), rien n'y fait, il devra retrouver le cadre de l'armée.

Le rêve du marin au destin aventureux (la secrétaire) et des milieux du cinéma (Mario, le gérant de l'hôtel) sont renvoyés dos à dos dans la triste rade de Brest.

J. L. - L. le 27/09/2004

 

Laurence Ferreira Barbosa