Alors que l'expressionnisme allemand est très proche du mouvement pictural, c'est plutot par défaut que l'on qualifie parfois d'impressionnisme le grand mouvement français d'avant-guerre.
Le cinéma français des années 20 rassemble en effet trois avant-gardes. La première est, si l'on s'en réfère aux historiens du cinéma limitée à cinq cinéastes : Louis Delluc, Germaine Dulac, Marcel L'herbier, Abel Gance et Jean Epstein. La seconde avant-garde, dite picturale, rassemble Fernand Léger, Man Ray Viking Eggeling, Hans Richter. La troisième, dite documentaire est initiée par le russe Dziga Vertov et l'allemand Ruttemann. Elle, comprend Kirsanoff, Jean Vigo auxquels on rajoute parfois Joris Ivens.
Il faut ainsi trois avant-gardes françaises pour exister face aux Américains et à leur école organique emmenée par Griffith, aux Russes et leur école dialectique emmenée par Eisenstein et aux Allemands avec l'expressionnisme de Lang ou de Murnau.
Pour rassembler cette diaspora française des années 20, Gilles Deleuze, dans L'image-mouvement, propose de les réunir sous la bannière du cartésianisme. Il pratique ainsi une OPA conceptuelle sur les trois avant-gardes. Sans nier leurs différences, il les rassemble sous des concepts communs et étend le cadre historique et géographique. Pour Deleuze, ce qui fait l'originalité profonde de l'école française c'est l'idée d'extraire et d'exposer le mouvement pour lui-même. Deux vecteurs du mouvement sont alors privilégiés : l'automate et l'eau. Il y a d'une part un devenir automate de l'homme qui s'exprime par la recherche du maximum de mouvement, et, d'autre part, une façon, par la mise en scène, de suivre le mouvement de l'eau dans ses différentes composantes.
L'impressionnisme pictural possede cette valeur cartésiene dans le sens où Claude Monet, avec l'obsession du système et de la série qui le caractérise, n'aura jamais cesser depeindre à travers le nymphéa les effets de lumière.
Le cinéma français s'inspire de la machine-automate (Renoir, Clair) ou machine à vapeur (Gance), de la danse (sorte de machine dont les pièces seraient les danseurs) pour obtenir une composition mécanique vers plus de mouvement. Si le mouvement passe par la machine, il passe aussi par le goût général pour l'eau, la mer ou les rivières. Ce passage de la mécanique des solides à la mécanique des fluides se traduit par un véritable lyrisme aquatique. C'est tantôt la rivière et son cours, tantôt le canal, ses écluses et ses péniches, tantôt la mer, sa frontière avec la terre, le port, le phare comme valeur lumineuse.
Goût général pour l'eau permet de trouver dans l'image liquide une nouvelle extension de la quantité de mouvement dans son ensemble ; de meilleures conditions pour passer du concret à l'abstrait, une plus grande possibilité de communiquer aux mouvements une durée irréversible indépendamment de leurs caractères figuratifs.
L'impresionnsime se définit ainsi soit du point de vu du montage avec la recherche du maximum de mouvement soit du point de vu de la perception avec le mouvement de l'eau exhibé pour lui-même.
La recherche du maximum de mouvement par le montage
Dans une scène de bal, par exemple, l'impressionisme ne cherche ni à définir le sentiment d'une communauté (conception organique de Griffith ou de Ford) ni une dialectique (Eisenstein) mais l'idée même du danseur.
Le montage avec recherche du maximum de mouvement permet de rattacher Leger (seconde avant garde) et Vigo (troisième avant garde).
La seconde avant-garde que l'on peut qualifier de picturale est née en Allemagne avec Viking Eggeling, Hans Richter dès le début des années vingt. Elle poursuit la convergence des recherches plastiques déjà entrepris dans le champ de la peinture par le cubisme, le futurisme, l'expressionnisme, le rayonnisme, l'orphisme, le simultanéisme, le suprématisme. La peinture hantée du projet de s'animer s'y continue par des moyens nouveaux. L'avant garde en Allemagne organise des symphonies, des compositions visuelles, ballets de formes, de lignes, de couleurs. En France, même quand ils sont peintres comme Fernand Léger et Man Ray, les avant-gardistes oublient la peinture et font du cinéma. Ils prennent leurs matériaux dans le monde extérieur.
A partir de 1927 s'amorce un puissant retour au monde concret que Georges Sadoul propose d'appeler la "troisième avant-garde" et qui se manifeste par des "symphonies des grandes villes". Ménilmontant (1925) et Brumes d'automne (1927) de Kirsanoff annoncent les chefs-d'oeuvre du genre : Berlin, symphonie d'une grande ville (Ruttmann, 1927) et L'homme à la caméra (Vertov 1929). On y trouve, tout à la fois vérité des lieux, décors réels traités avec un soin ethnographique, rues démultipliées, surimpressions.
La formule du film symphonique se retrouve dans Paris Londres (Jean Arroy, 1927), Études sur Paris (André Sauvage, 1928), Saô Paulo, symphonie d'une métropole (Alberto Kermany, 1929), A propos de Nice (Jean Vigo, 1930) ou même Pluie (1929) de Joris Ivens qui entreprend de restituer comme observée à la loupe l'aventure globale d'une ville sous une averse.
Du montage à la perception fluide
L'eau est le milieu par excellence où l'on peut extraire le mouvement de la chose mue, ou la mobilité du mouvement lui-même : d'où l'importance optique et sonore de l'eau dans les recherches rythmiques. Ce que Gance avait commencé avec le fer, avec le chemin de fer, c'est l'élément liquide qui allait le prolonger, le transmettre et le diffuser dans toutes les directions. Jean Mitry, dans ses tentatives expérimentales, commençait avec le chemin de fer, puis passait à l'eau comme à l'image qui pouvait nous livrer plus profondément le réel comme vibration : de Pacific 231 à Images pour Debussy.
"Le dicisigne" était la marque d'une perception dans le cadre d'une autre perception, perception solide, géométrique et physique équivalente à la proposition indirecte libre de Pasolini. Le dicisigne dresse un cadre qui isole et solidifie l'image : c'est la perception solide.
L'impressionnsime crée un nouveau signe associé à la perception liquide. "Le reume" renvoie à une image qui devient liquide et qui passe à travers ou sous le cadre. La conscience caméra devient un reume parce qu'elle s'actualise dans une perception mobile. La caméra suit le fil de l'eau ou s'impose par le montage. C'est la perception fluide.
Ainsi tous ceux qui se servent de l'eau autrement que comme un décor mais qui l'exhibent pour elle-même définissent aussi un grand courant impressionniste. Comme l'impressionnisme en peinture exhiba la couleur ou la lumière pour elle-même, ceux qui exhibent le mouvement de l'eau pour lui-même, qui font de l'eau un personnage de cinéma, constituent la grande famille impressionniste.
1906 : Panorama du Grand Canal vu d'un bateau d'Alexandre Promio
Partie de campagne, le film de Renoir, présente au moins cinq séquences qui rappellent autant de tableaux et de Pierre-Auguste Renoir et qui rattachent sans conteste Jean Renoir à l'impressionnisme de son père. Tout aussi importants dans ce film trois travellings par lesquels Jean Renoir donne la parole à l'eau.
Dès le générique, l'eau prend en charge le récit. Le travelling sur l'eau dit l'écoulement du temps, les plaisirs à venir et la conclusion tragique.
La
balançoire, 1876
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Canotiers
à Chatou, 1879
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La
yole, 1875
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La
promenade, 1869
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Les
amoureux, 1875
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Fin de l'Atalante : la caméra s'autonomise, passe au dessus de la péniche. Le couple va enfin accepter la vie au fil de l'eau et non plus, comme précedemment le travail pour Jean et le rêve de la ville pour Juliette
2/ fonction de voyance : l'eau donne à voir des perception cachées
La scène sous-marine de L'Atalante : perception subjective de Jean qui veut retrouver l'image de la femme qu'il aime au fond de l'eau
la scène sous-marine de l'Atalante
: perception subjective de Jean qui veut retrouver l'image de la femme
qu'il aime au fond de l'eau
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3/ L'eau appelle par le fondu enchainé et obéi avec le retour arrière.
L'adequation de Taris avec l'eau fait que celle-ci l'appelle comme s'il était chez lui chez elle.
Dans Coeur fidèle les amants ne font qu'un avec l'eau.
L'adéquation de Taris avec l'eau fait que celle-ci l'appelle comme s'il était
chez lui chez elle.
Dans le tempestaire, l'eau entend la voix du tempestaire.
4/ l'eau présente par le montage
Entr'acte (René Clair,1924) Marcel Duchamp et Man Ray (les joueurs d'échecs), surimpression et montage Une chute d'eau totalement injustifiée; c'est l'eau qui semble, de son propre fait, animée d'un mouvement propre, participer à la grande course surréaliste d'Entr'acte
La pluie (Joris Ivens, 1929). Amsterdam, bateaux qui fendent l'eau, jeux de lumière sur les marchandises transportée, vent dans les arbres ou dans le linge, reflet dans l'eau, vols d'oiseaux ou d'avion zébrant le ciel qui se couvre, lumière d'une fenêtre qui s'ouvre. Les premières gouttes de pluie dans les canaux. Parapluie qui s'ouvre et vasistas qui se ferme. Eau qui tombe d'une gouttière, traces de pneus sur l'asphalte mouillé, reflet des pas sur le sol mouillé, affairement des gens vers les trams, dépassement sur route mouillée, virages sous la pluie. Pluie et brumes. L'eau qui ruisselle des tuiles, des bâches de commerces. Eau serpentant sur une vitre, les reflets du soleil revenu sur le pavé mouillé, jeu du soleil sur les gouttes d'eau. Changements d'axes de vue Recherche du maximum de mouvement qui systématise les recherches amorcées avec Études des mouvements à Paris.
5/ le montage insistant
A
propos de Nice : le montage de la mer revenant battre la plage joue
un rôle identique aux anges du cimetière ou du carnaval
pour nous tenir le discours du relativisme des conditions sociales
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Le
déjeuner sur l'herbe : 12 plans successifs de la rivière
dont l'élan vital est la métaphore de la relation sexuelle
entre Nénette et le professeur.
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Pour que l'eau devienne un personnage universel il faut casser le fait qu'elle soit vue par le personnage principal mais qu'elle vienne comme un leitmotiv.
Vertov ira au-delà de l'écoulement et définira La perception gazeuse. Le gramme est cette perception gazeuse de l'univers, de ses dynamismes (immobilisation, vibration, clignotement, boucle, répétition, accélération, ralentissement) Les éléments semblent doués d'une vie propre .
Eaux
d'artifice : fusion du petit jet d'eau surplombant la princesse
et celle-ci.
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