Influencés par les avant-gardes des années 10, les cinéastes soviétiques étaient unanimes sur le rôle du montage mais ils différaient sur la façon de l'utiliser.
Koulechov fut vraisemblablement le premier à remarquer que la perception d'une image dépendait non seulement de celle-ci mais aussi de celles qui la précédaient ou la suivaient : il monta le même gros plan d'un acteur (Mosjoukine) avec des plans de femme, enfant mort et gâteau : le spectateur croit voir sur le visage de l'acteur un sentiment à chaque fois différent.
Dans La fièvre des échecs (1925), le montage de Vsevolod Poudovkine relie des figurants en studio aux véritables champions d'échecs.
Koulechov, Room ou Poudovkine établissent aisni par le montage des constructions qui visent à créer une continuité spatio-temporelle vraisemblable. Ils sont plutôt partisans d'un montage "en douceur" qui crée progressivement une atmosphère.
Pour Vertov, il s'agit non pas de voir le réel mais de le décomposer et de le remonter. Vertov veut créer des collisions, détruire le récit linéaire, produire des ides abstraites par le moyen du montage.
Dans La nouvelle Babylonne (1929) de Grigori Kozintsev et Leonid Trauberg la guerre franco-prussienne et la commune de Paris, ancêtre de la révolution d'octobre sont prétextes à contrepoints, associations, métaphores, rimes et polyphonie à laquelle participe la musique, spécialement écrite par Dimitri Chostakovitch. Le cinéma est une extension logique de la poésie moderne.
Eisenstein pronera d'abord le montage d'attractions, entendu au au sens du cirque : des moments forts, de rupture pour labourer le psychisme du spectateur, pour le changer. Il ne s'agit plus d'un ciné-il mais d'un ciné poing. Eisenstein excelle dans l'art d'opposer des images contraires pour provoquer sur le spectateur une émotion forte.
Reconnaissant toute sa dette à l'égard de Griffith et de l'école américaine, incarnée toute à la fois dans l'image-action et l'image-situation, Eisenstein proposa une autre conception du cinéma qu'il qualifia de dialectique.
Ceui-ci doit répondre à la loi du processus quantitatif et du saut qualitatif : le passage d'une qualité à une autre et le surgissement soudain de la nouvelle qualité. L'un qui devient deux et redonne une nouvelle unité, réunissant le tout organique et l'intervalle pathétique.
Eisenstein fait un reproche majeur à Griffith : les parties différenciées de l'ensemble sont données d'elles-même comme des objets indépendants. Il est dès lors forcé que lorsque les représentants de ces parties s'opposent ce soit sous forme de duels individuels où les motivations collectives recouvrant des motivations étroitement personnelles (par exemple une histoire d'amour, élément mélodramatique). Griffith ignore que les riches et les pauvres ne sont pas donnés comme des phénomènes indépendants, mais dépendent d'une même cause qui est générale qui est l'exploitation sociale. Ce qu'Eisenstein reproche à Griffith, c'est de s'être fait de l'organique une conception toute empirique, sans loi de genèse ne de croissance ; c'est d'en avoir conçu l'unité d'une manière toute extrinsèque, comme unité de rassemblement, assemblage de parties juxtaposées et non pas unité de production, cellule qui produit ses propres parties par division, différenciation ; c'est d'avoir compris l'opposition de manière accidentelle, et non comme la force motrice interne par laquelle l'unité divisée reforme une unité nouvelle à un autre niveau.
L'organique est une grande spirale conçue scientifiquement en fonction d'une loi de genèse, de croissance et de développement. La spirale organique trouve sa loi interne dans la section d'or, qui marque un point césure, et divise l'ensemble en deux grandes parties opposables mais inégales. On a un montage d'opposition et non plus un montage parallèle.
La composition dialectique ne comporte pas seulement la spirale organique, mais aussi le pathétique ou le développement. Il n'y a pas seulement unité organique des opposés, lien organique entre deux instants, mais bond pathétique où le deuxième instant acquiert une nouvelle puissance puisque le premier est passé en lui. De la tristesse à la colère, du doute à la certitude, de la résignation à la révolte. Le pathétique est passage d'un terme à l'autre, d'une qualité à une autre, et le surgissement soudain de la nouvelle qualité qui naît du passage accompli. Il est à la fois compression et explosion. La ligne générale divise sa spirale en deux parties opposées, "L'ancien" et "Le nouveau" et reproduit sa division, répartit ses oppositions d'un côté comme de l'autre : c'est l'organique. Mais, dans la scène célèbre de l'écrémeuse, on assiste au passage d'un moment à l'autre, de la méfiance et de l'espoir au triomphe, du tuyau vide à la première goutte, passage qui s'accélère à mesure que s'approche la qualité nouvelle, la goutte triomphale : c'est le pathétique, le bond ou le saut qualitatif.
Source: Gilles Deleuze : L'image mouvement, chapitre 3 : montage, p. 50
Dans un texte longtemps ignoré de la critique, le peintre Casimir Malévitch rattache luvre de Dziga Vertov à lavant-garde cubo-futuriste, en faisant de la recherche de la dynamique un des principaux objectifs du cinéma. Ainsi peut-on lire : "Jai découvert dans LHomme à la caméra une énorme quantité déléments (cadres) qui sont dordre cubo-futuriste. Je nai pas ces éléments sous la main pour mener une analogie avec les éléments cubo-futuristes, mais qui a vu LHomme à la caméra a retenu tous ces moments de décalage du trafic dans la rue, des tramways, et tous ces décalages possibles et imaginables dobjets dans différentes directions, où la construction du mouvement ne va plus seulement dans la profondeur et vers lhorizon, mais se développe à la verticale" (Casimir Malévitch, « Les lois picturales dans les problèmes du cinéma », Kultura i Kino/Kino und Kultura, n° 7-8, Teakinopetchat, Moscou, 1929, traduction Valérie Posener, Cinémathèque, n° 8, automne 1995.)