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(1869-1954)
Fauvisme

Figure majeure du XXe siècle, son influence sur l'art de la seconde partie du siècle est considérable. Il fut le chef de file du fauvisme et n'eut de cesse d'expérimenter les effets de la couleur : simplification, stylisation, et bientôt seul sujet de la peinture jusqu'aux gouaches découpées. De nombreux peintres figuratifs ou abstraits se réclameront de lui et de ses découvertes. Comme Picasso, nombre de cinéastes lui rendront hommage.

Village de Bretagne 1896 Nice, Musée Matisse
La serveuse bretonne 1896 Collection privée
La desserte 1897 Collection privée
Le jardin du Luxembourg 1901 St Pétersbourg, l'Ermitage
Luxe, calme et volupté 1904 Paris, Musée d'Orsay
La Japonaise au bord de l'eau 1905 New York, MOMA
Madame Matisse au chapeau 1905 Collection privée
Madame matisse à la raie verte 1905 Copenhague
La joie de vivre 1905 Merion
Vue de Collioure 1905 St Pétersbourg, l'Ermitage
Dame sur la terrasse 1906 St Pétersbourg, l'Ermitage
Nu bleu (Souvenir de Biskra) 1906 Baltimore
Luxe 1 1907 Paris, MNAM
Trois baigneuses 1907 Minneapolis, Institut of Art
Jeu de boules 1908 St Petersbourg, l'Ermitage
Baigneuses à la tortue 1908 Saint Louis, Art Museum
La desserte rouge 1909 St Petersbourg, l'Ermitage
Nature morte en camaïeu de bleu 1909 St Petersbourg, l'Ermitage
La danse (1) 1909 New York, MOMA
Nature morte à La Danse 1909 St-Pétersbourg, l'Ermitage
La danse (2) 1909 St-Pétersbourg, l'Ermitage
La musique 1910 St Petersbourg, l'Ermitage
Nature morte Espagne 1910 St Petersbourg, l'Ermitage
Nature morte Seville 1910 St Petersbourg, l'Ermitage
Intérieur aux aubergines 1911 Grenoble, Musée des B. A.
L'atelier rose 1911 Moscou, musée Pouchkine
L'atelier rouge 1911 New York, MoMA
Le triptyque marocain 1912 Moscou, musée Pouchkine
Poissons rouges et palette 1914 New York, MoMA
Vue de Notre-Dame 1914 New York, MoMA
Porte fenêtre à Collioure 1914 New York, MoMA
Les marocains en prière 1916 New York, MoMA
Laurette dans son fauteuil 1916 New York, The Met
Nature morte aux oranges 1916 Collection privée, Paris
Le peintre dans son atelier 1916 Paris, MNAM
Intérieur au violon 1918 Copenhague
Figure décorative sur fond ornemental 1925 Paris, MNAM
Odalisque, harmonie en rouge 1927 New York, The Met
Odalisque au fauteuil 1928 Paris, MAM de la ville
Nu de dos IV 1931 Paris, MNAM
La danse de Merion 1933 Merion, Fondation Barnes
Le rêve 1935 Paris, MNAM
Nu rose 1935 Baltimore, Museum of art
Jeune femme à la blouse bleue 1936 St Petersbourg, l'Ermitage
La musique 1939 Buffalo
La blouse roumaine 1940 Paris, MNAM
La conversation 1941 Collection privée
Jeune femme à la pelisse blanche 1944 Paris, MNAM
Polynésie, la mer 1946 Paris, MNAM
Polynésie, le ciel 1946 Paris, MNAM
Madame L. D. 1947 St Petersbourg, l'Ermitage
Jazz, cirque 1947  
Intérieur rouge, nature morte sur table bleue 1947 Düsseldorf, Kunstsammlung
Nature morte aux grenades 1947 Nice, Musée Matisse
Grand intérieur rouge 1948 Paris, MNAM
Chapelle du Rosaire à Vence 1950 Vence
La perruche et la sirène 1952 Amsterdam, Stedelijk Museum
La tristesse du roi 1952 Paris, MNAM
L'escargot 1953 Londres, Modern Tate
La gerbe 1953 Los Angeles, Hammer Museum
Les abeilles 1955 Ecole, Le Cateau-Cambrésis
     

I - Biographie

Henri Matisse naît, le 31 décembre 1869, au Cateau-Cambrésis dans le département du Nord, fils d’un marchand de grains. Sa mère est peintre amateur. Après la guerre franco-allemande, en 1871, la famille déménage à Bohain-en-Vermandois  dans l' 'Aisne où Matisse passe sa jeunesse. Il commence sa vie professionnelle comme clerc de notaire chez maître Derieux à Saint-Quentin. À 20 ans, à la suite d'une crise d'appendicite, il est contraint de rester alité pendant de longues semaines. Grâce à un voisin et ami peintre amateur, Léon Bouvier, Matisse découvre le plaisir de peindre. Sa mère lui offre une boîte de peinture. Il réalise ses premières œuvres, plus particulièrement un Chalet suisse, chromo reproduit dans les boîtes de peinture en vente à l'époque, dont Henri Matisse peindra une copie, qu'il signera « Essitam ».

Dès son rétablissement, tout en réintégrant l'étude, il s'inscrit au cours de dessin de l'école Quentin-de-La Tour destinée aux dessinateurs en textile de l'industrie locale. Il peint son premier tableau, Nature morte avec des livres, en juin 1890.

Peu après, il se rend à Paris. En 1892, Matisse rencontre Albert Marquet à l'École des Arts déco puis s'inscrit en 1895, à l'École des beaux-arts, dans l'atelier de Gustave Moreau. L'enseignement du maître encourage ses élèves à penser leur peinture, à la rêver, au-delà de la virtuosité technique. Matisse, comme ses condisciples, Georges Rouault, Léon Lehmann, Simon Bussy, Eugène Martel, Albert Huyot ou Henri Evenepoel, est stimulé par cette conception de la peinture et entend développer la sienne selon son individualité. Gustave Moreau, lors d'une correction, lui dit : « Vous allez simplifier la peinture. » Cette prophétie peut être considérée comme le programme esthétique de l'œuvre d'Henri Matisse.

En 1896, Matisse expose pour la première fois au Salon des Cent et au Salon de la Société nationale des beaux-arts, dont il devient membre associé sur proposition de Pierre Puvis de Chavannes. Cette fonction lui permet notamment d'exposer sans passer par un jury. Il passe l'été à Belle-Île-en-Mer et rencontre l'Australien John Peter Russell, qui l'introduit auprès d'Auguste Rodin et Camille Pissarro. Il commence à s'intéresser à la peinture impressionniste qu'il découvre en 1897 au musée du Luxembourg. Il est alors un peintre classique de natures mortes réalistes aux textures amples. Pour gagner sa vie, Matisse et Marquet travaillent comme peintre décorateurs à la journée, pour les décorateurs de théâtre

Le 31 août 1894 naît sa fille Marguerite dont la mère, Caroline Joblaud, est un de ses modèles. Le 8 janvier 1898, Matisse épouse Amélie Parayre. Ils ont deux enfants, Jean en 1899 et Pierre en 1900 tous deux nés à Toulouse où les Matisse vivent près des parents d'Amélie. Le couple Matisse élève les trois enfants. Ils partent en voyage de noces à Londres où, sur les conseils de Pissarro, Matisse découvre la peinture de Joseph Mallord William Turner. Puis Matisse s'installe en Corse, il habite dans une villa dont il a loué le dernier étage meublé à un certain De la Rocca. Henri Matisse peint, à Ajaccio, une cinquantaine de toiles dont Le Mur rose qui représente l'arrière de l'hospice Eugénie vu depuis la Villa de la Rocca. Matisse s'inspire alors de Turner.

En 1899, il découvre le traité de Paul Signac, D’Eugène Delacroix au néo-impressionnisme. À partir de 1900, Matisse travaille la sculpture et le modelage, à l'Académie de la Grande Chaumière, sous la direction d'Antoine Bourdelle et fréquente également l'atelier d'Eugène Carrière. Il y fait la connaissance d'André Derain et de Jean Puy. Derain lui présente Maurice de Vlaminck. Il expose au Salon des indépendants (1901) et participe à la première édition du Salon d'automne (1903). En 1902, Berthe Weill devient son premier marchand et, en 1904, Ambroise Vollard lui consacre sa première exposition personnelle ; cette année-là, il prend un atelier rue de Sèvres, dans l'ancien Couvent des Oiseaux.

En 1900, Matisse achète à Ambroise Vollard Les Trois Baigneuses de Cézanne, toile aujourd'hui au Petit Palais de Paris. Matisse gardera toujours cette toile avec lui, refusant même de la vendre dans les moments difficiles, avant de la donner, en 1936, au musée parisien. Car, pour Matisse : "Cézanne est notre maître à tous"

Au début de 1905, Matisse participe au Salon des indépendants. L'été de 1905, il séjourne sur les bords de la Méditerranée, à Collioure, en compagnie de Derain. Il rencontre le sculpteur Maillol. Au Salon d'automne de 1905, l'accrochage des œuvres de Matisse, Albert Marquet, Vlaminck, Derain et Kees van Dongen provoque un scandale par les couleurs pures et violentes posées en aplat sur leurs toiles. À la vue de ces tableaux regroupés dans une même salle, le critique Louis Vauxcelles compare l'endroit à une « cage aux fauves ». L'appellation de « fauve » est aussitôt adoptée et revendiquée par les peintres eux-mêmes. Cette période marque également la reconnaissance du travail de Matisse, lui permettant enfin une relative aisance matérielle ; il devient le chef de file du fauvisme.

Matisse s'en explique ainsi :

    « Le fauvisme secoue la tyrannie du divisionnisme. On ne peut pas vivre dans un ménage trop bien fait, un ménage de tantes de province. Ainsi on part dans la brousse pour se faire des moyens plus simples qui n'étouffent pas l'esprit. ll y a aussi à ce moment, l'influence de Gauguin et Van Gogh. Voici les idées d'alors : construction par surfaces colorées, recherche d'intensité dans la couleur. La lumière n'est pas supprimée, mais elle se trouve exprimée par un accord des surfaces colorées intensément. Mon tableau La Musique était fait avec un beau bleu pour le ciel, le plus bleu des bleus. La surface était colorée à saturation, c'est-à-dire jusqu'au point où le bleu, l'idée du bleu absolu, apparaissait entièrement, le vert des arbres et le vermillon vibrant des corps. J'avais avec ces trois couleurs mon accord lumineux, et aussi la pureté dans la teinte. Signe particulier, la couleur était proportionnée à la forme. La forme se modifiait, selon les réactions des voisinages colorés. Car l'expression vient de la surface colorée que le spectateur saisit dans son entier. »

Ce sont toujours des problèmes formels qu'affronte Matisse. Au delà de la provocation fauviste du portrait de Madame Matisse au chapeau, c'est le problème des ombres colorées qui travaille le peintre à la manière de Renoir pour son Torse de femme nue au soleil (Orsay) dont les ombres portées, qui n'ont rien à voir avec l'académisme, avaient été traitées de "tas de chair en décomposition".

De même, dans Madame Matisse à la raie verte la provocation tient au massacre du visage, dernier tabou de la peinture. Mais la recherche formelle est plus importante encore, la couleur se substitue à la ligne pour marquer le volume, l'opposition entre les deux taches rouge et mauve, chaudes à gauche et le vert à droite suffisent pour exprimer la profondeur. Nul besoin non plus d'accessoire pour suggérer la profondeur comme dans la peinture classique de portrait. Le traitement du nez prouve, qu'au clair-obscur et au modelé, on peut opposer une simple ligne verte pour marquer l'ombre et deux taches vertes pour le modelé.

La joie de vivre (1905, Fondation Barnes, Pennsylvanie) présenté au salon des indépendants de 1906 est le plus éclatant manifeste de l'immersion de Matisse dans le monde de la peinture. Les personnages vivent durant l'âge d'or, ils dansent s'embrassent et écoutent de la musique. Cette immense toile dont les personnages sont inspirés des Baigneuses de Cézanne est mal reçue par la critique. Pour Felix Feneon "Matisse se fourvoie …inutile, à ne pas suivre" on le critique pour ses couleurs qui n'ont rien à voir avec la réalité, ses figures blanches et vides. Le tableau est acheté par Léo Stein mais il ne sera plus vu à partir de 1913 où il rentre dans des collections privées jusqu'à la Fondation Barnes qui en interdit les reproductions (seulement en noir et blanc jusqu'à une date encore récente avant que des problèmes financiers ne les rendent plus libéraux). Mais cette toile, exposée chez les Stein, est beaucoup vue par Picasso. Il la reçoit comme un défi, lui qui se montre mal à l'aise avec les grands formats. La famille de saltimbanques (1905, National Gallery of Art, Washington) est un tableau émouvant que Rilke et Apollinaire adoraient. La Joie de vivre (1905) de Matisse est le premier des deux jalons qui va susciter le défi des Demoiselles d'Avignon (1907)

En 1906, Matisse effectue un voyage à Biskra en Algérie. Il exécute ensuite le Nu bleu (Souvenir de Biskra) qui est présenté au Salon des Indépendants en 1907 et est mal accueilli. Il schématise le corps de la femme, il rabat la fesse qui est une masse peinte en blanc et cette zone contrastée donne du volume. La critique systématiquement mauvaise touche cette fois durement Matisse qui va délaisser pour un temps les problèmes plastiques. A l'inverse, Picasso comprend tout l'enjeu du tableau et décide plus que jamais d'y répondre avec Les demoiselles d'Avignon, caractérisé par la destruction du visage et l'absence de perspective. Matisse voit le tableau dans l'atelier de Picasso, comprend la réponse à ses tableaux mais ne dit rien. Mais, au Salon des Indépendants où Les demoiselles d'Avignon est exposé en 1908, les Cubistes vont suivre Picasso. Matisse, bien que défendu encore par Apollinaire est abandonné comme chez de file de l'avant-garde. Il rompt avec Picasso jusqu'en 1913.

En 1907, Matisse va trouver un autre chemin vesr l'avant-garde et peindre des corps encore légèrement déformés mais dont la pose est immédiatement lisible : Luxe 1 (MAM, Paris). Dans cette deuxième version du Luxe, le fauve s'est totalement assagi. La ligne prend le pas sur la couleur qui n'est plus arbitraire et redevient réaliste : ainsi les Joueurs de boule (1908) ou dans Les baigneuses à la tortue (1908). Ces peintures marquent un repli dans l'Age d'Or, le bleu du ciel, le vert du gazon et des corps simplifiés qui concourent à une vision paradisiaque. Ce sont aussi des tentative importantes vers une peinture où l'émotion provient de toiles monumentales simples et presque abstraites.

De 1906 et jusqu'en 1913, Matisse part en hiver en voyage en Andalousie, au Maroc, en Algérie, accompagné de ses amis peintres, Camoin et Marquet. Ces voyages influenceront profondément Matisse — couleurs, céramique, carreaux de faïence — dans son sentiment décoratif du monde extérieur. Si la recherche de l'arabesque est un des signes distinctifs de l'écriture de Matisse, sa peinture se caractérise par une simplification des formes et des couleurs souvent pures et plates, cernées d'un trait noir. Cependant, Matisse n'hésite pas à utiliser des dégradés de gris ou de roses dans ses portraits ou nus.

Matisse rencontre Leo et Gertrude Stein, collectionneurs américains, vivant à Paris, qui lui achètent La femme au chapeau (San Francisco Museum of Modern Art), un portrait de madame Matisse qui était exposé dans la « cage aux fauves ». En 1907, chez eux, il rencontre Picasso. Gertrude Stein définissait les deux artistes comme le « Pôle Nord » (Matisse) et le « Pôle Sud » (Picasso) de l'Art moderne. Fernande Olivier se souvient que dans les dîners en ville, Matisse paraissait docte et professoral, ne répondant que par oui ou non, ou tout d'un coup s'enferrant dans des théories interminables. « Matisse, beaucoup plus âgé, sérieux, n'avait jamais les idées de Picasso  ! » Puis Matisse retrouve le critique Louis Vauxcelles, à qui il dit avoir vu au jury du Salon un tableau de Georges Braque « fait en petits cubes », que Matisse baptise du nom de « cubisme ».

En 1908, Matisse publie Note d'un peintre. La même année, avec entre autres l'aide financière de Sarah et Michael Stein, Matisse ouvre une académie libre au Couvent des Oiseaux, puis à l'hôtel de Biron (où Rodin possède son atelier de présentation). Le succès est immédiat : sur 120 élèves inscrits au total s'y pressent des étudiants pour la plupart étrangers, puisqu'on n'y compte aucun Français et principalement de jeunes peintres scandinaves, ainsi que des Allemands, issus du cercle du café du Dôme. Le peintre Hans Purrmann est nommé « grand massier ». L'académie ferme en 1911.

La danse (1909)
La musique (1910)

La desserte rouge (1908) marque le retour à des traitements de problèmes formels liés à la couleur. Même motif de bas en haut du tableau et, à gauche, une fenêtre qui pourrait être un tableau. Le personnage est lui aussi traité comme un motif décoratif. Le 18 septembre 1909, Matisse signe son contrat avec la galerie Josse et Gaston Bernheim qui l'expose. Ce contrat prévoit que Matisse touche 25 % du prix de vente des toiles. Le contrat de trois ans fut renouvelé pendant dix-sept ans. Matisse se trouvait selon, ses propres mots : « condamné à ne plus faire que des chefs-d'œuvre. »

En 1909, le collectionneur russe Sergueï Chtchoukine lui commande deux toiles : La danse et La musique. Ces deux toiles, qui sont considérées comme deux chefs-d'œuvre du peintre, sont présentées au Salon d'automne en 1910, et sont installées à Moscou en 1911. De 1909 à 1917, Matisse vit et travaille à Issy-les-Moulineaux, au 42, route de Clamart, dans une villa comportant un grand parc où il fait construire son atelier (aujourd'hui détruit), et qui héberge l'Académie Matisse jusqu'en 1911. La villa existe toujours et abrite désormais les archives du peintre, au 92, avenue du Général-de-Gaulle.

Entre 1908 et 1912, ses œuvres sont exposées à Moscou, Berlin, Munich et Londres. Matisse et Amélie reviennent à Ajaccio, en décembre 1912.

Dans L'Atelier rouge (1911) il est difficile de distinguer l'espace perspectiviste, les frontières entre objets disparaissent. Seuls une ligne blanche et les cadres des tableaux permettent de se figurer l'espace en perspective. Grâce à ce que l'on a appelé un traitement négatif de la ligne (orange sur fond rouge et non noire), le tableau devient bi-dimensionnel, il supprime la profondeur.

La réconciliation entre Matisse et Picasso a lieu en 1913, quand Picasso rend visite à Matisse, gravement malade. Matisse avait néanmoins déjà intégré les leçons du cubisme, utilisé les signes cubistes et simplifié les formes en s'inspirant des collages cubistes. En 1913, Matisse est exposé à l’Armory Show de New York, à côté d'œuvres de Marcel Duchamp et Francis Picabia, comme autant de représentants de l'art le plus moderne.

En 1914, Matisse est à la limite de l'abstraction avec Porte- fenêtre à Collioure. Dans Vue de Notre-Dame (1914), les formes se réduisent à des figures géométriques et dénotent l'influence du cubisme comme dans Les Marocains en prière (1916) dont le fond noir rappelle les papiers collés du cubisme (1912-1913 : premiers collages de Picasso et Braque).

Dès le déclenchement de la Première Guerre mondiale, il quitte Collioure qu'il fréquentait régulièrement depuis 1905. Marquet et Matisse, qui a 46 ans, demandent à intégrer l'armée et à rejoindre leurs collègues : "Derain, Braque, Camoin, Puy sont au front, risquent leurs peaux. Nous en avons assez de rester à l'arrière… Comment pouvons-nous servir le pays ?" demandent-ils à Marcel Sembat, ministre des Travaux publics, qui leur répond : "En continuant, comme vous le faites, à bien peindre !"

Après avoir passé une partie de l'hiver 1916-1917 à Nice, Matisse décide de rester plus longuement sur la Côte d'Azur, qu'il considère comme un paradis, et dont il recherche la transcription dans ses toiles. En 1918, Matisse rencontre Renoir à qui il présente ses toiles, à Cagnes. Renoir est très surpris de la qualité des toiles et du travail de Matisse : "Je croyais que ce bougre travaillait comme ça… ! C'est faux ! Il se donne beaucoup de mal ! […] Tout est très juste. C'était difficile !", déclare Renoir après le départ de Matisse

Matisse expose avec Picasso à la galerie Paul Guillaume à Paris, le catalogue est préfacé par Apollinaire. Durant cette période, Matisse rencontre le peintre japonais Yoshio Aoyama, qui vivait aussi à Nice, dans le quartier de Cimiez, et qui devient son disciple.

Poissons rouges et palette
Henri Matisse, 1914
Arlequin
Pablo Picasso, 1915

Lorsqu'il découvrit le célèbre Arlequin de Picasso, de 1915 (Museum of Modern Art, New York), Henri Matisse confia à son voisin : " Mes poissons rouges ont conduit Picasso ". Il se référait précisément à Poissons rouges et palette de l'automne 1914 (Museum of Modern Art, New York), où la force du noir et la puissante articulation des surfaces rectangulaires préfigurent en effet certains aspects de l'Arlequin. Cependant, Poissons rouges et palette est l'une des œuvres où l'influence du cubisme sur Matisse commence à se faire sentir ; la rigueur de la structure y témoigne de l'enseignement que le peintre avait pu tirer des collages et peintures de Picasso des années 1913-1914. Poissons rouges et palette et Arlequin sont des autoportraits symboliques, empreints l'un et l'autre d'une gravité liée aux heures noires de la guerre et qui représentent chacun, pour son auteur (comme les admirateurs s'en sont avisés), une de ses réussites majeures les plus originales. C'est l'un des exemples les plus lumineux du bénéfice que tirèrent Matisse et Picasso de l'attention soutenue qu'ils se portaient réciproquement et qui, pour chacun, favorisa la création d'un tableau profondément personnel au sein de son œuvre tout en étant extrêmement novateur.

L'exposition Matisse / Picasso en 1918 scelle d'autant plus officiellement les retrouvailles des deux peintres qu'ils s'accordent sur "le retour à l'ordre" (le mot est de Cocteau qui s'en désole) consécutif à la première guerre mondiale. Matisse s'en va à Nice et Picasso renoue avec la couleur dans ses portraits de Marie-Thérèse Walter.

En 1920, Igor Stravinsky et Serge Diaghilev lui font commande de dessiner les costumes et les décors du ballet Le Chant du rossignol, présenté à Londres

En 1924, Matisse expose à New York. En 1925, Matisse est nommé chevalier de la Légion d'honneur et son fils Pierre Matisse ouvre une galerie à New York sur la recommandation de son père, dont les collectionneurs sont essentiellement américains. Matisse voyage régulièrement aux États-Unis. Il reçoit le Prix Carnegie 1927 à Pittsburgh, et fait partie du jury qui attribue le même prix à Picasso en 1930.

Son travail se concentre sur la réalisation de natures mortes, de nus et d'odalisques qui évoquent les nus orientalistes aux couleurs chatoyantes et au dessin épuré, une forme de classicisme renouvelé, tant les citations de Delacroix ou d'Ingres semblent prégnantes. Matisse travaille par variations et répétitions d'un même thème ou motif. Les premières études peuvent être très poussées, figuratives puis, de proche en proche, les formes se font plus stylisées, abstraites. Matisse photographie les différentes étapes de son travail.

Il publie également des lithographies, des gravures et des albums de dessin où il laisse libre cours à ses variations sur un thème, en général un nu féminin :

    « Ces dessins sont toujours précédés d'études faites avec un moyen moins rigoureux que le trait, le fusain par exemple ou l'estompe, qui permet de considérer simultanément le caractère du modèle, son expression humaine, la qualité de la lumière qui l'entoure, son ambiance, et tout ce qu'on ne peut exprimer que par le dessin. Et c'est seulement lorsque j'ai la sensation d'être épuisé par ce travail, qui peut durer plusieurs séances, que, l'esprit clarifié, je peux laisser aller ma plume, avec confiance. »

La grande baigneuse
Pablo Picasso, 1921

Matisse travaille l'espace décoratif dans sa période Niçoise ses femmes dans un intérieur sont toutes des réflexions sur l'espace Figure décorative sur fond ornemental (1925) peut être rapprochée de La grande baigneuse (1921) de Picasso. En 1924, Matisse se consacre à la sculpture et réalise Grand nu assis, qui est exemplaire de son style — à la fois en arabesques et en angles —, en ronde-bosse. Matisse pratique la sculpture depuis qu'il a été l'élève de Bourdelle, dont Matisse conserve le goût pour les grandes stylisations, comme on peut le voir dans la grande série des Nu de dos, séries de plâtres monumentaux qu'il réalise entre 1909 et 1930. Matisse y affronte en bas-relief les problèmes picturaux qu'il rencontre : le tracé des figures monumentales (la réalisation de Nu de dos I, de 1909, est contemporaine de celle des grandes compositions La Musique et La Danse), le rapport forme et fond (les fresques destinées à la Fondation Barnes sont réalisées en 1930, comme Nu de dos IV). Toutefois, bien que la série ne semble pas avoir été conçue pour être présentée en une seule entité (la fonte des pièces en bronze n'a été faite qu'après la mort de Matisse), ces quatre sculptures constituent un ensemble plastique cohérent. »

Lorsqu'ils traitent de la femme Picasso s'intéresse à la femme réelle et Matisse à la peinture. Picasso vit dans le monde et réagit violemment à la guerre d'Espagne puis à la seconde guerre mondiale alors que Matisse peint Fenêtre à Tahiti (1936) et, gravement malade, ne peut réaliser que des oeuvres de petits formats durant la guerre et notamment la série Jazz (1943, publié en 1947).

En 1930, il séjourne à Tahiti où il rencontre le réalisateur expressionniste allemand Murnau, qui tourne Tabou. " Je me baignais dans le “lagoon”. Je nageais autour des couleurs des coraux soutenues par les accents piquants et noirs des holothuries. Je plongeais la tête dans l'eau, transparente sur le fond absinthe du lagon, les yeux grands ouverts… et puis brusquement je relevais la tête au-dessus de l'eau et fixais l'ensemble lumineux des contrastes."

À New York, Le Museum of Modern Art organise une rétrospective en 1931 après une exposition personnelle en 1930. Pendant son séjour aux États-Unis, Albert Barnes, un collectionneur, lui commande une œuvre monumentale pour sa fondation à Philadelphie. À son retour à Nice, dans l'atelier de la rue Désiré Niel loué spécialement pour cette réalisation, Matisse s'attelle à La danse dont il réalise, de 1930 à 1933, trois versions en raison d'erreurs de gabarit. La première version inachevée a été retrouvée après sa mort dans son appartement de Nice. Elle est exposée en présentation définitive avec la deuxième version, la Danse de Paris (1 037 × 450 cm), dans la salle Matisse du musée d'art moderne de la ville de Paris. La dernière version, dite la Danse de Mérion, a été installée par Matisse lui-même en mai 1933, à la Fondation Barnes de Philadelphie. C'est au cours de ce travail que Matisse invente sa technique des « gouaches découpées ».

De retour des États-Unis, il travaille à l'illustration du roman de James Joyce, Ulysse, et aux décors et aux costumes de Rouge et noir pour les Ballets russes de Monte-Carlo (1934-1938).

A partir de 1935 Matisse noue « une relation privilégiée » avec le modèle Lydia Delectectorskaya. En octobre 1932, elle s'était présentée chez Matisse dans l’espoir de décrocher quelques séances de pose. A l’initiative de Madame Matisse, elle revient six mois plus tard, en octobre 1933 en qualité de dame de compagnie de Madame, secrétaire et assistante d’atelier. Matisse fait d’elle un tout premier portrait. Au printemps 1934, l’intérêt de Matisse pour Lydia s’intensifie. Elle devient sa muse. Difficile d’être plus différente des modèles aux yeux noirs, cheveux noirs, teint olivâtre, types méridionaux, que Matisse préférait jusque là. Lydia, venue de Sibérie, a de longs cheveux blonds, les yeux bleus, la peau blanche et les traits finement découpés. Lydia Delectorskaya a toujours soutenu que l’intérêt que lui portait Matisse n’a jamais dépassé la relation platonique. Cet intérêt se manifeste dans la multiplication des tableaux qui la représentent. Le 15 mars 1934, Matisse réalise un pastel (Le corsage bleu), le 18 mars une peinture (Le Châle écossais) et le 1er avril, ayant juste terminé la peinture Les Yeux bleus et la série de dessins s’y rapportant, Matisse remarque l’expressivité des bras et des mains de Lydia et le parti qu’il peut en tirer. Il entreprend un nouveau tableau (Le rêve, 1935), qui marquera le début d’une longue collaboration entre le peintre et le modèle. Elle a 25 ans, Matisse 65.

Madame Matisse , de son côté, est satisfaite des services de Lydia. Les Matisse l’ont installée chez eux, place Charles-Félix à Nice. Madame Matisse associe Lydia aux travaux de sécrétariat, lesquels avaient jusque-là été assurés par Marguerite Duthuit, la fille de l’artiste. Lydia se retrouve donc tout à la fois dame de compagnie, modèle, secrétaire et aide d’atelier. A la fin de l’année 1936, Lydia aura posé pour plus de quarante peintures.

C’est cette alliance dans le travail, cette symbiose, plutôt qu’’une question d’adultère, qui précipite une crise dans le mariage de Matisse. Face à un ultimatum d’Amélie - Madame Matisse - ("C’est moi ou elle"), Matisse a choisi sa femme. Lydia est sacrifiée, mais il est trop tard. Amélie, toujours furieuse de ce qu’elle considérait comme une trahison, quitte son mari au début de 1939, le divorce suivra. Après un court voyage en Espagne, il revient à Nice où il peint La blouse roumaine (1940). Il rencontre Pierre Bonnard au Cannet. Le marchand Paul Rosenberg renouvelle son contrat avec Matisse. Le peintre part le retrouver à Floirac, avec Lydia Délectorskaya

En 1941, un cancer du côlon est diagnostiqué chez Matisse. Il est hospitalisé à la clinique du Parc de Lyon. Ses médecins lui donnent six mois à vivre. Il retourne à Nice où cette fois il s'installe à l'hôtel Regina, alité. Il conserve de son opération le port d'un corset de fer, qui empêche la station debout plus d'une heure ; de plus, il souffre de calculs biliaires. Lydia ne peut assurer toute seule le travail de jour et de nuit. Une jeune infirmière de 21 ans, amatrice d’art, Monique Bourgeois sera engagée pour veiller sur les nuits de Matisse. Elle accepte de devenir son modèle. Une autre complicité va se nouer en parallèle avec celle de Lydia, une relation qui donnera naissance à la chapelle de Vence. 

Il dessine au crayon et au fusain, les dessins sont exposés chez Louis Carré en novembre. S'il ne peut plus voyager, il utilise alors les étoffes ramenées de ses voyages pour habiller ses modèles originaires du monde entier. Matisse commence à utiliser la technique des gouaches découpées et commence la série Jazz. Il s'installe à Vence et renoue une amitié épistolaire assidue avec le dessinateur et écrivain André Rouveyre, connu autrefois à l'atelier de Gustave Moreau.

En 1942, Aragon dans Propos d'un amateur fait de Matisse le symbole artistique "d'une manifestation de résistance à l'envahisseur barbare, celui de la Vraie France contre l'Allemagne nazie dans l'Art français".

En 1943, le peintre Vlaminck, collaborateur des Allemands, l'ancien compagnon de la cage aux fauves, attaque violemment Matisse dans son livre Portraits avant décès. Depuis septembre 1939, Georges Duthuit, le gendre de Matisse, est resté aux États-Unis, où il est speaker pour des émissions radiophoniques en direction de la France. En avril 1944, Amélie (la femme de Matisse) et le 21 mai 1944, Marguerite Matisse-Duthuit (sa fille), sont arrêtées par la Gestapo, pour faits de Résistance. Madame Amélie Matisse est condamnée à six mois de prison (elle est libérée en septembre 1944), tandis que Marguerite Matisse, la fille du peintre, appartenant au Front National clandestin et à l'organisation de Francs Tireurs et Partisans Français est torturée et défigurée. Elle est libérée en octobre 1944. Matisse la revoit en janvier et février 1945. Sous le coup d'une émotion intense, Henri Matisse dessine de nombreux portraits de sa fille, dont le dernier de la série montre un visage enfin apaisé. Jean Matisse, son fils, sculpteur, appartient lui à un réseau de résistance très actif. Dans une lettre à Albert Marquet, du 6 novembre 1944, Matisse donne des nouvelles de sa fille : "Je suppose qu'elle n'est que très fatiguée, car on ne m'a pas dit autre chose pour me ménager. Le docteur a dit que c'était un miracle qu'elle en soit sortie ainsi".

En 1945, une grande rétrospective Matisse est organisée au Salon d'automne de Paris après celle sur Picasso en 1944, et sur Braque, en 1943. Il réalise les cartons de tapisserie, ainsi Polynésie, le Ciel et Polynésie, la Mer (1946). Entre 1943 et 1947, Matisse travaille à l'élaboration de Jazz, un livre illustré, pour l'éditeur et critique d'art Tériade. Pour Matisse "Découper à vif dans la couleur me rappelle la taille directe des sculpteurs. Ce livre a été conçu dans cet esprit". Le texte qui accompagne les illustrations est écrit et calligraphié par Matisse lui-même, et constitue un texte théorique du peintre sur sa conception de l'art.

Matisse s’est réinstallé à Vence d’avril 1947 à juin 1948. Lydia est alors son unique modèle. Il réalise  Madame L.D., portrait vert,jaune et bleu  dans lequel il apparait de profil comme l'ombre de son modèle.

En avril-mai 1948, s’ouvre à Philadelphie une exposition rétrospective des oeuvres de Matisse, pour les préparatifs de laquelle Lydia aura à se déplacer plusieurs fois.
Entre le 1er janvier et le 1er juin, quatre-vingt-seize séances de pose avec Lydia sont inscrites dans les agendas de Matisse. Le 11 juin, Lydia a rendez-vous avec le secrétaire du musée d’Art moderne de Paris, qui lui expose son souhait d’organiser une exposition Matisse en 1949.

Tout le travail de 1946-1948 est ainsi exposé selon le désir de Matisse. S'y trouvent représentées exclusivement les trois directions de son travail à l'époque, c'est-à-dire trois façons de travailler sur la couleur lumière : la découpe à vif dans les feuilles gouachées préalablement colorées, la modulation du noir et du blanc dans les grands dessins à l'encre de Chine, et la série complète des Intérieurs de 1946-1948. La présence, au mur de Intérieur rouge, d'un de ces dessins au pinceau (Intérieur à la fenêtre au palmier), couplé avec une peinture de la série (L'Anana), témoigne assez éloquemment de la confrontation voulue par Matisse, confrontation qui présida aussi à l'accrochage de l'exposition, conçu par lui dans le détail, et aux textes écrits spécialement pour le catalogue.

Les réactions à l'exposition, qui apparut à certains comme une sorte de provocation de la part d'un peintre de soixante dix-neuf ans, furent relativement violentes. Ainsi Christian Zervos, qui avait suivi avec tant de lucide sympathie le chemin de Matisse jusqu'alors, en condamne sévèrement le principe :

« Quel dommage, penseront sans doute les visiteurs de l'exposition, que Matisse n'ait pas réuni ses toiles de 1939 à 1948, peu connues par suite des événements que nous avons vécus ! Au lieu de cela, le voilà absorbé par des travaux où le sentiment plastique, refoulé dans l'ombre, se prend à des silhouettes découpées dans le papier, comme s'il n'avait point d'autre fantaisie, comme si la force d'impulsion qui le portait à inventer était subitement épuisée. »(Christian Zervos, « À propos de l'exposition Matisse au Musée d'art moderne de Paris », Cahiers d'Art, 1949, n° 1)

En revanche, les treize toiles exposées lui semblent importantes: « D'une manière générale, tous les tableaux exposés répondent à l'avantage de l'artiste, dont l'imagination reposée et nullement refroidie sait encore découvrir des situations esthétiques nouvelles. On y retrouve comme un retour de fraîcheur et un reverdissement. Mais il est quelques tableaux où Matisse, s'étant refusé de se laisser aller à l'entraînement d'une pente décorative, pleine de séductions, atteint presque à la haute qualité de ses œuvres de 1904 à 1917...».

Jean Cassou, pour sa part, non seulement accueillit l'exposition avec enthousiasme, mais voulut un tableau pour le musée. Son choix se porta sur Grand intérieur rouge, acquis donc par l'État l'année suivante.

Le 30 décembre 1949, Matisse retourne au Régina dont les espaces sont plus conformes aux grands formats de ses projets pour la chapelle du Rosaire de Vence. Lydia, comme à chaque changement d’adresse, dirige les opérations de déménagement.

Après 1948, alité, handicapé, mais « vivant », Matisse ne peut plus peindre ou pratiquer des techniques qui demandent des diluants (eau ou huile). Développant la technique, explorée dans son livre d'images Jazz,il perfectionne la technique des papiers découpés, qu'il peut, dans son lit, couper avec des ciseaux, papiers que ses assistants placent et collent aux endroits souhaités par l'artiste. Certaines de ces oeuvres sont, de très grandes dimensions tels que La perruche et la sirène (1952), La tristesse du roi (1952), L'escargot (1953) ou La gerbe (1953). Matisse déclare "C'est une simplification pour moi. Au lieu de dessiner le contour et de mettre la couleur à l'intérieur - celle modifiant l'autre - je dessine tout droit dans la couleur »(cité dans Amis de l'art, octobre 1951). Lydia Delectorskaya, décrit la fabrication de L'escargot dans une lettre à la Tate Gallery daté du 30 mars 1976 :

L'escargot a été fabriqué à l’Hôtel Régina à Nice. H. Matisse disposait de feuilles de papier peintes à la gouache par des assistants, dans toutes les couleurs utilisées pour les papiers découpés. Un fond de papier blanc - des dimensions indiquées par H.M. - était accrochée au mur et l'assistant épinglait dessus des morceaux de papier gouaché que H.M. passé à lui en indiquant exactement où ils doivent être placés. Quand H.M. décidé que sa composition était terminée, il était légèrement collé à l'arrière-plan. Le panneau a été retiré lorsque H.M. besoin du mur pour un travail supplémentaire. Plus tard, il a été envoyé à Lefebvre-Foinet [à Paris] pour être collé, avant que quoi que ce soit ne soit déplacé, un tracé extrêmement précis a été créé pour éviter toute modification de la composition, même d'un millimètre près".

Il commence à travailler, à partir de 1949, au décor de La chapelle du Rosaire de Vence, à la demande de son infirmière-assistante. L'artiste Jean Vincent de Crozals lui sert de modèle pour ses dessins du Christ. D'un point de vue plastique, la simplification des formes semblent être nées des observations des icônes byzantines dont son gendre, Georges Duthuit, était un spécialiste au Louvre.

En 1950, alors que le peintre reçoit la visite de ses trois petits-enfants, il dessine au plafond de sa chambre leurs trois portraits au fusain avec un bâton de 2 m de long. Le plafond a été déposé et offert au musée Matisse du Le Cateau-Cambrésis par les descendants de Pierre Matisse où il est visible : "Ce sont mes petits-enfants. J'essaie de me les représenter et quand j'y parviens, je me sens mieux. Aussi, je les ai dessinés au plafond pour les avoir sous les yeux, surtout pendant la nuit. Je me sens moins seul".

En 1952 a lieu l'inauguration du musée Matisse du Cateau-Cambrésis, sa ville natale. Il réalise, Abeilles, un vitrail pour l'école maternelle qui porte son nom. À 81 ans, Henri Matisse représente la France à la XXVe Biennale de Venise. Installé dans une chambre-atelier à l'hôtel Regina de Nice, il réalise ses dernières œuvres.

Matisse est mort le 3 Novembre, 1954 à Nice. Il avait 84 ans. La veille, Lydia était venue à son chevet avec les cheveux fraîchement lavés enveloppés dans un turban serviette, accentuant la gravité classique et la pureté du profil que Matisse avait si souvent dessiné et peint. Il dessina un dernier portrait avec un stylo à bille, l’éloigna à bout de bras pour évaluer sa qualité avant de se prononcer gravement, « Ça ira ! », expression qui peut être considérée comme ses dernières paroles. Lydia quitte le Régina le jour-même de son décès et n’assistera pas aux funérailles. Matisse est enterré dans cette ville, au cimetière de Cimiez.

Lydia Delectorskaya entreprend, à la demande de la famille Matisse, le contre-collage des papiers gouachés découpés restés épinglés aux murs de l’atelier, suivant la méthode agréée par l’artiste. Elle répartit toutes les oeuvres de sa collection, que Matisse lui avait données ou vendues, entre divers musées, privilégiant les musées russes. Lorsque Matisse fut atteint de névrite à l’épaule droite, il demanda à Lydia Delectectorskaya d’effacer ou de gratter les couleurs qu’il souhaitait repeindre. Matisse avait offert presque immédiatement à Lydia Delectorskaya de petites photographies des divers états des tableaux et des dessins faits d’après elle ; et elle prendra l’habitude de les coller dans un album « en mentionnant la date et le" titre d’atelier" de l’oeuvre, y ajoutant bientôt en notes, les réflexions faites par Matisse au cours des séances qu’elle publié en 1986 sous le titre L’apparente facilité, Henri Matisse : peintures de 1935-1939 (Adrien Maeght), puis dix ans plus tard, Henri Matisse, contre vents et marées : peintures et livres illustrés de 1939 à 1943 (éditions Hansma, Paris). Lydia Delectorskaya décède à Paris le 16 mars 1998 à l’âge de quatre-vingt-huit ans.

II - Matisse et le cinéma

Quand Matisse s’installe à Nice en 1917, il se met à fréquenter la salle de ciné-concert de la Jetée-Promenade : « Je ne vais pas au cinéma chaque soir, comme cela a été dit, je pense, par Maurice Sachs. Ce serait trop. J’y vais quelques fois pour étudier ce que le cinéma apporte à l’art de peindre et réciproquement » (entretien au « New York Herald Tribune », mai 1933).

En 1930, Henri Matisse séjourne à Tahiti où il rencontre le réalisateur expressionniste allemand Murnau, qui tourne Tabou avec Robert Flaherty qu'il admire et dont il a vu Nanouk l'esquimau et Moana. " Je me baignais dans le “lagoon”. Je nageais autour des couleurs des coraux soutenues par les accents piquants et noirs des holothuries. Je plongeais la tête dans l'eau, transparente sur le fond absinthe du lagon, les yeux grands ouverts… et puis brusquement je relevais la tête au-dessus de l'eau et fixais l'ensemble lumineux des contrastes."

L’intérêt de Matisse pour la danse, le mouvement des vagues et la répétition ornementale révèle qu’il fut obsédé par la métamorphose « à vue » des formes et la recherche de métaphores pour représenter le temps qui s’accomplit.

Jacques Rivette fait de Matisse le grand peintre réaliste et moderne dans sa Lettre sur Roberto Rossellini (1955). Jacques Demy cite le peintre dans Les parapluies de Cherbourg et Agnès Varda lui rend également hommage. La cinéaste découpe la couleur dans ses plans, comme Matisse le fait sur ses toiles. Certains des tableaux de Matisse sont repris comme des signes chez de nombreux cinéastes modernes. Le titre Deserto rosso (Michelangelo Antonioni, 1964) ne renvoie à aucun désert rouge mais est un jeu de mots sur La desserte rouge de Matisse, que recompose, un instant et approximativement un plan du film. Eric Rohmer place une reproduction de La blouse roumaine dans Pauline à la plage (1983) et une de La perruche et la sirène dans Conte de printemps (1990)

Le désert rouge (Michelangelo Antonioni, 1964)
Dilili à Paris (Michel Ocelot, 2018)

 

Pauline à la plage ( Eric Rohmer, 1983)

 

Dans Pierrot le fou (Jean-Luc Godard, 1965), chez Marianne, en cartes postales : Femme nue (Renoir,  1880), Grand intérieur rouge (Matisse, 1948),  La conversation (Matisse, 1941) et La blouse roumaine (Matisse, 1940)

 

Conte de printemps (Eric Rohmer, 1990)

 

Bibliographie et Ressource internet :