Intérieur jaune et bleu était le premier de la dernière série de tableaux de Matisse. Cette séquence se conclut au printemps 1948 avec six grandes compositions. La plus synthétique, Grand Intérieur rouge est la dernière peinte.
C'est sans doute l'œuvre majeure de cette dernière saison de la vieillesse, une réplique peut-être à L'atelier rouge de 1911 (The Museum of Modern Art, New York), œuvre clé de la maturité. Alfred Barr a comparé terme à terme les deux œuvres, l'espace « centrifuge » mais vu en perspective de 1911, et l'espace rigoureusement synthétique et elliptique de 1948.
Matisse y multiplie les appariements et les contrastes (deux rectangles en haut, deux tables, deux tapis, des oppositions de droites et de courbes, de vides et de pleins) ainsi que les ambiguïtés (les deux fausses fenêtres découpées par un dessin et un tableau accrochés côte à côte sur le mur de l'atelier; le dessin noir et blanc représente la vue d'une fenêtre et ouvre à double titre sur un espace différent dans l'espace rouge de la toile). Ces éléments discontinus, disparates, sont ramenés au même plan, la surface « à l'éclat aveuglant, mais léger, immatériel », d'un rouge qui est le rappel et la synthèse glorieuse de tous les rouges de Matisse, celui de La desserte rouge (1908), celui de L'atelier rouge (1911), celui des poissons rouges, seules taches cramoisies dans les tableaux de 1914- 1915, le rouge enfin de La blouse roumaine (1940) et de Nature morte au magnolia (1941).
"Ce rouge inonde Grand intérieur rouge, comme il inondait L'Atelier rouge près de quarante ans plus tôt. Mais sa signification est différente. Les choses dans la pièce — pas seulement les tableaux au mur, mais les fleurs qui s'épanouissent dans une brume légèrement iridescente sur la table — maintiennent leur propre qualité réelle. Elles restent intactes — comme préservées dans le rouge, qui leur confère une sorte d'existence. Même la marche diagonale d'espace qui traverse le sol et monte jusqu'aux tableaux est liée à une structure d'arêtes qui coïncident les unes avec les autres, reliant tables et sièges, fleurs et tableaux, si bien que l'une et l'autre sont perçues comme des propriétés naturelles de la planité et de la rougeur du tableau. Nous prenons conscience que nous sommes en présence de la réconciliation qu'il n'appartient qu'aux grands artistes de réaliser dans leur vieillesse. La toile irradie cette réconciliation. Le rouge déborde et va jusqu'à se refléter sur le visage des spectateurs. Ils sont dedans, ils participent d'une condition naturelle des choses et de la peinture. » (Laurence Gowing, texte d'introduction au catalogue Matisse, 1869-1954, Londres, Hayward Gallery, 3 juillet-8 septembre 1968-traduction Dominique Fourcade)".
Texte : Isabelle Monod-Fontaine, MNAM.