Il y a peu de coups d'Etat dans l'histoire de l'art. Les demoiselles d'Avignon est l'un d'eux. Ce tableau est considéré à juste titre comme le début de l'art moderne. Pour la première fois en effet, un peintre a radicalement transformé l'espace pictural.
Après plusieurs mois de travail, des centaines de dessins et d'études, Picasso a réalisé début mai le premier état de cette immense toile. Il l'achève en juillet. Lorsqu'il la dévoile, c'est la consternation. Gertrude Sein en témoigne : "ce fut un véritable cataclysme. Je me souviens de Tchtchoukine, qui a tellement aimé la peinture de Picasso, se trouvant chez moi, me dit en pleurant : "quelle perte pour l'art français !". Le tableau reste dans l'atelier de nombreuses années la face tournée contre le mur. En 1937, il est enfin révélé au grand public.
Les études montrent qu'initialement Picasso avait pensé à une composition à sept personnages dont deux hommes, un étudiant en médecine et un marin. Assez vite, une femme dont subsistent de nombreuses études disparaît. La composition est à six personnages. Des postures changent. L'arrondi des bars de la femme aux bars levés devient anguleux. Puis l'étudiant devient al femme de gauche, son épaule se transforme en sein. Un déshabillé largement ouvert dévoile son corps. Enfin le marin s'éclipse à son tour. Il reste cinq femmes nues entre elles, des prostituées. Elles sollicitent le spectateur de leur regard insistant. Les deux demoiselles du milieu ont dans la pose quelque chose qui rappelle l'art classique. Celles de droite ont leurs visages défigurés par les déformations et la couleur, pire encore, celle qui est assise, accroupie de dos, réussit à nous monter son visage de face, le menton appuyé sur une main difforme. On sait, par des témoignages et des radiographies, qu'elles ont été retravaillées à même la toile.
L'influence de la sculpture ibérique préside au caractère des trois demoiselles de gauche notamment pour la construction des têtes, la forme des oreilles et le dessin des yeux. Par contre, c'est l'influence des arts primitifs nègres et océaniens, qui se ressent dans les deux demoiselles de droite.