On a trop souvent dit que la France était incapable d'ausculter son histoire au cinéma en comparant le traitement de la guerre d'Algérie à celui de la guerre du Viet-Nam. Durant les conflits, ce sont, en France et aux Etats Unis, seulement deux films commerciaux qui sont produits. Entre 1954 et 1982, les Français produisent 14 films sur la guerre d'Algérie. Entre 1967 et 1990, les Américains, avec leur puissance économique en produisent certes beaucoup plus mais une vingtaine seulement ont un retentissement international. Mais c'est l'impact sur le public qui est tout autre.
Chez les Américains, le sentiment de puissance est exalté à un moment ou à un autre (Rambo, hélicoptères d'Apocalypse Now...). L'ennemi n'est pas un "autre" que l'on tente de comprendre mais un ennemi presque toujours hors champ (que l'on "respecte" en tant qu'ennemi irréductible). La guerre du Viêt-Nam est souvent montrée comme un spectacle et possède donc une capacité à faire entrer le film dans la mémoire collective par le succès qu'il génère auprès du public. Ce sont bien les spectateurs qui manquent le plus en France.... Ce à quoi Hors la loi (2010) a tenté de s'attaquer.
La situation en France durant le conflit
En France durant la guerre d'Algérie, seuls deux cinéastes ayant la popularité suffisante pour distribuer leurs films en salles abordent de front la guerre d'Algérie : Jean-luc Godard avec Le petit soldat (1960, censuré jusqu'au 21 janvier 1963) et Alain Cavalier avec Le combat dans l'île (1961).
Une nation, l'Algérie (René Vautier, 1954) et Algérie en flammes (René Vautier, 1958), Octobre à Paris (Jacques Panijel, 1962), Les oliviers de la justice (James Blueet, 1961) J'ai huit ans (Yann Le Masson, 1962, documentaire de 10 minutes), sont aussi réalisés durant le conflit mais connaissent une diffusion restreinte.
Le parti communiste avait encouragé la production de films contre la guerre d'Indochine, faits très souvent dans des conditions très difficiles et aux risques et périls de ses réalisateurs. La position du P.C. est plus complexe au sujet de la guerre d'Algérie dont il ne connaît pas les dirigeants qui, par ailleurs, ne se réclament pas du communisme.
Les réalisateurs communistes, René Vautier en tête, pensent qu'ils n'ont pas à attendre une directive du parti et partent pour le maquis algérien de leur propre initiative. Il sera poursuivi pour atteinte à la sûreté intérieure de l'état par Mitterrand pour Une nation, l'Algérie, portrait sur la conquête de l'Algérie en 1830 et ce, non pas même pour avoir parlé des exactions dignes du pire fascisme dont les généraux se ventaient, mais pour cette simple phrase "L'Algérie a été indépendante sous la Sublime porte et redeviendra indépendante".
A la censure féroce s'ajoute le fait que les Algériens ne veulent pas d'un appui direct des cinéastes français. Vautier est prévenu qu'il peut être assassiné dans le maquis car, si son film est bon, les Algériens ne voudront pas dire qu'il a été fait par un français. Suite à Algérie en flammes, il est condamné à mort par les Algériens et passe 25 mois en cellule.
La censure est féroce durant les huit années de 1954 à 1962 que dure la guerre mais sans doute plus grave encore, la France semble attendre, sans prendre partie, la fin de cette guerre. Le début de l'insurrection a lieu le 1er novembre 1954 et le 31 mars 1955 est promuloguée la loi instituant l'Etat d'urgence en Algérie avec envoi du contingent. Au début de la guerre, les manifestations sont importantes en France. Sur 60 000 rappelés pour la guerre en 1955 près de 40 000 manifestent à l'appel du parti communiste. En 1956 cependant, seuls 60 000 appelés sur 150 000 manifestent. En 1956, de nombreux Chtis refusent encore de partir en guerre. Mais, dès 1957, une petite soixantaine seulement seront insoumis et déserteront. L'affaire Yveton, membre du parti algérien, qui met une bombe dans une centrale de nuit sans tuer personne et qui sera exécuté, ne soulève pas le même élan que l'affaire Henri Martin durant la guerre d'Indochine. Mitterrand, garde des sceaux, approuve l'exécution d'Yveton.
Devant ce peu d'adhésion aux manifestations anti-guerre, le parti communiste décide d'un travail souterrain dans les casernes et attendra 1961 pour un retour des grandes manifestations.
Durant La bataille d'Alger (janvier-septembre 1957), le général Massu anéantit la section algéroise du F.L.N., responsable de nombreux actes terroristes anti-colons à Alger. Durant cette période, de nombreux débats secouaient la métropole : des militants d'extrême-gauche et de gauche aidaient les membres du FLN et dénonçaient la torture, alors que des militaires dénonçaient les hésitations des hommes politiques et souhaitaient le retour de de Gaulle au pouvoir. Militairement gagnée par la France en 1959 (opération Jumelles), elle est politiquement remportée par le mouvement indépendantiste en 1962. Elle se double d'une guerre civile et idéologique au sein des deux communautés, donnant lieu à des vagues successives d'attentats, assassinats et massacres sur les deux rives de la Méditerranée. Côté algérien, elle se traduit par une lutte de pouvoir qui voit poindre la victoire du FLN sur les partis algériens rivaux, notamment le MNA (Mouvement national algérien) et par une campagne de répression contre les harkis soutenant le statu quo du rattachement de l'Algérie à la République française.
Par ailleurs, la guerre d'Algérie suscite l'affrontement entre une minorité active hostile à sa poursuite (mouvement pacifiste), une seconde favorable à la révolution (les "porteurs de valises"), et une troisième ralliée au slogan de l'Algérie française" (Front Algérie Française, Jeune Nation, OAS).
Cette guerre s'achève à la fois sur la proclamation de l'indépendance de l'Algérie le 3 juillet 1962 lors d'une allocution télévisée du général de Gaulle, suite au référendum d'autodétermination du 1er juillet prévu par les accords d'Évian du 18 mars 1962, sur la naissance de la République algérienne le 25 septembre et sur le départ du million de Français vivant en Algérie. Au total environ deux millions d'appelés se sont succédés en Algérie durant la guerre.
Les films après le conflit
Dès l’indépendance, Marceline Loridan et Jean-Pierre Sergent tournent Algérie année zéro. Début 1962, le jeune réalisateur américain installé en France James Blue tourne un film tout à fait français, et resté longtemps tout à fait invisible, Les Oliviers de la justice, fiction inscrite dans la réalité de la Mitidja et de Bab-El-Oued aux dernières heures de présence coloniale française.
Agnès Varda, Alain Resnais, Jacques Rozier ou Jacques Demy en France osent aborder le sujet dans des films où la guerre est évoquée de façon indirecte. Dans Cléo de 5 à 7 (Agnès Varda, 1962), c'est un soldat qui part pour la guerre en même temps que Cléo attend le verdict sur sa maladie. La même année, le conflit est très présent, hors champ, dans Le joli mai de Chris Marker et Pierre Lhomme. Dans Adieu Philippine (Jacques Rozier, 1963), c'est Dédé qui revient mutique de son service de vingt-sept mois en Algérie et Michel qui part pour le front après avoir donné rendez-vous à celle des jeunes filles qui sera capable de l'attendre. Adieu sous le soleil d'autant plus tragique que Rozier a montré l'inconscience dans laquelle le pouvoir entretient la jeunesse au sujet de la guerre d'Algérie.
Dans Muriel
ou le temps d'un retour (Alain Resnais, 1963) Bernard essaie de trouver
auprès de son amie Marie-Dominique un peu d'apaisement aux souvenirs
atroces que lui a laissés la guerre d'Algérie, à la vision
d'une jeune femme, Muriel, soumise à la torture qui le hante sans cesse.
Dans Les
parapluies de Cherbourg (Jacques Demy, 1964), Guy est appelé à
l'armée dès le début du conflit. Il ne donne pas de nouvelles
durant la guerre et Geneviève enceinte de lui épouse alors Roland
Cassard. En mars 1959, Guy est de retour d'Algérie, blessé à
la jambe. Il reprend son travail au garage, mais, brisé le quitte bientôt
pour errer sans but. En décembre 1962, la tragédie amoureuse
se clôt devant une station service. Dans L'amour
à la mer (Guy Gilles, 1964) omniprésence de la mort pour
Daniel avec la guerre en arrière fond, très présente
et l'impossibilité d'y échapper.
L'insoumis
(Alain Cavalier, 1964) retrace le parcourt de Thomas Vlassenroot (joué
par Alain Delon), jeune Luxembourgeois qui a combattu en Kabylie dans la légion
étrangère française pendant la guerre d'Algérie
et qui a fuit l'O.A.S. avant d'accepter une mission pour de l'argent.
En 1967 dans La Chinoise, Godard met face à face Véronique, qui veut commettre un attentat, et Francis Jeanson, ancien porteur de valises du FLN, qui rappelle la condition nécessaire pour l'action violente : avoir le peuple derrière soi.
Les années 70 se partagent entre films engagés : Avoir vingt ans dans les Aures (René Vautier, 1970), R.A.S. (Yves Boisset, 1975) et analyses sociologiques : Élise, ou la vraie vie (Michel Drach, 1970), Chronique des années de braise (Mohammed Lakhdar-Hamina, 1975, sur les années 1944-1954 qui conduiront au conflit) ainsi que le documentaire somme d'Yves Courrière La guerre d'Algérie (1972) qui sort dans 16 salles à Paris et est bien accueilli même à Nice ou Marseille. La troisième partie de Français si vous saviez (Sédouy et Harris, 1973) s'intitule "Je vous ai compris" et analyse l'attitude de De Gaulle au moment de la décolonisation. La différence de perception atteint son maximum entre La question (Laurent Heynemann, 1977), film clé sur la réalité de la torture pendant le conflit et L'honneur d'un capitaine (Pierre Schoendoerffer, 1982).
20 ans après; 60 ans après
L'histoire a fait son œuvre et elle est explicitée aussi bien dans La guerre sans nom (Bertrand Tavernier, 1992) qui interroge les traumatismes en France alors que dans La bataille d'Alger, un film dans l'histoire (Malek Bensmaïl, 2017) qui interroge l'histoire en Algérie.
La mauvaise conscience des soldats du contingent avant et après le conflit reste le thème majeur, central dans , La trahison (Philippe Faucon, 2005), Mon colonel (Laurent Herbiet, 2006), L'ennemi intime (Florent Emilio Siri, 2007), Des hommes (Lucas Belvaux, 2020)
Elle est présente en toile de fond dans Les roseaux sauvages (André Téchiné, 1994) où des adolescents en France hésitent à trouver leur place, entres sympathisants de l’OAS ou de l'indépendance.
Hors
la loi (Rachid Bouchareb, 2010) rappelle la lutte aussi courageuse que sanglante que menèrent les Algériens pour se libérer du colonialisme français. Le film simplifie et réarrange certains faits historiques, pour construire le mythe d'une Fédération de France du FLN ayant puissamment concouru à l'indépendance.
Relevant du drame social ou sentimental, deux films portent l'accent sur des couples broyés par l'histoire : Vivre au paradis (Bourlem Guerdjou, 1998), transformation d'un algérien entreprenant et altruiste en solitaire replié sur lui-même pour obtenir un appartement dont sa famille finit par se désintéresser; De nos frères blessés (Hélier Cisterne, 2020) le drame vécu par Hèlène et Fernand Iveton qui est exécuté le 11 février 1957.
Jean-Luc Lacuve, le 27 mars 2022
Sources :
Principaux films sur la guerre d'Algérie :
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De nos frères blessés | Hélier Cisterne | France | 2020 |
Des hommes | Lucas Belvaux | France | 2020 |
La bataille d'Alger, un film dans l'histoire | Malek Bensmaïl | Algérie | 2017 |
Hors la loi | Rachid Bouchareb | France |
2010
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Maurice Audin - la disparition | François Demerliac | France |
2010
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L'ennemi intime | Florent Emilio Siri | France |
2007
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Mon colonel | Laurent Herbiet | France |
2006
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La trahison | Philippe Faucon | France |
2005
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Le cri des hommes | Okacha Touita | France |
1999
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Vivre au paradis | Bourlem Guerdjou | France |
1998
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Le fusil de bois | Pierre Delerive | France |
1995
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Les roseaux sauvages | André Téchiné | France |
1994
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Des feux mal éteints | Serge Moati | France |
1994
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La guerre sans nom | Bertrand Tavernier | France |
1992
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Cher frangin | Gérard Mordillat | France |
1989
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Liberté la nuit | Philippe Garrel | France |
1984
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Les sacrifiés | Okacha Touita | France |
1983
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Liberty Belle | Pascal Kané | France |
1983
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L'honneur d'un capitaine | Pierre Schoendoerffer | France |
1982
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La terre au ventre | Tony Gatlif | France |
1978
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La question | Laurent Heynemann | France |
1977
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Certaines nouvelles | Jacques Davila | France |
1976
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Chronique des années de braise | Mohammed Lakhdar-Hamina | Algérie |
1974
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R.A.S. | Yves Boisset | France |
1973
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La guerre d'Algérie | Yves Courrière | France |
1972
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Avoir vingt ans dans les Aures | René Vautier | France |
1972
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Décembre | Mohammed Lakhdar-Hamina | Algérie |
1972
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Élise, ou la vraie vie | Michel Drach | France |
1970
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Hassan Terro | Mohammed Lakhdar-Hamina | Algérie |
1968
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Le vent des Aurès | Mohammed Lakhdar-Hamina | Algérie |
1966
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Les centurions | Mark Robson | U.S.A. |
1966
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La bataille d'Alger | Gillo Pontecorvo | Italie |
1966
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L'insoumis | Alain Cavalier | France |
1964
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Muriel ou le temps d'un retour | Alain Resnais | France |
1963
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Adieu Philippine | Jacques Rozier | France |
1963
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Le joli mai | Chris Marker | France |
1962
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Cléo de 5 à 7 | Agnès Varda | France |
1962
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Algérie année zero | Marceline Loridan | France |
1962
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Les oliviers de la justice | James Blue | France |
1962
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J'ai huit ans | Yann Le Masson | France |
1962
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Octobre à Paris | Jacques Panijel | France |
1962
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Le combat dans l'île | Alain Cavalier | France |
1961
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Les fusils de la liberté | Djamel Chanderli | Algérie |
1961
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La voix du peuple | Djamel Chanderli | Algérie |
1961
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Yasmina | Djamel Chanderli | Algérie |
1961
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Notre Algérie | Djamel Chanderli | Algérie |
1961
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Le petit soldat | Jean-Luc Godard | France |
1960
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Algérie en flammes | René Vautier | France |
1958
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Une nation, l'Algérie | René Vautier | France |
1954
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