2008-2009. Bernard, que tous surnomment aujourd'hui Feu-de-bois, se prépare dans sa pauvre ferme du Morvan, pour se rendre à la fête d'anniversaire de sa sœur Solange. Il lui offre une broche en or. Elle est gênée de ce cadeau trop cher de la part de celui qui n'a pas d'argent. Et les convives ne se privent pas pour reprocher vertement à Feu-de-bois de n'avoir pas les moyens d'un tel cadeau. A coup sûr, il a volé l'argent à sa propre mère depuis que Solange a dû la conduire en maison de retraite. A la table des convives, Rabut, le cousin de Bernard, pense qu’il a bien été capable de cette bêtise. Bernard se sentant comme habituellement repoussé par tous, va déjeuner à la brasserie du village. Il revient, ivre, à la fête d'anniversaire où il insulte les convives qui, terrorisés, ne bougent pas. Quand Solange revient de la cuisine avec Saïd, Bernard insulte celui-ci le traitant de bougnoule auquel il aimerait casser la gueule. C’en est trop pour Solanée qui chasse son frère. Bernard est poussé dehors par les convives et s'en va, hurlant de désespoir. Sur le chemin du retour, Il se venge en pénétrant chez les Chefraoui et en menaçant femme et enfants, en frappant leur chien à mort. Alors que Mme Chefraoui tente de fermer le garage, il la plaque au mur et la menace.
Le maire du village vient prévenir Rabut de la violation de domicile, et de la terreur que Bernard a provoqué. Rabut le sait, Bernard est coutumier du fait, enfant cruel il avait vécu son adolescence sous la coupe du curé et quand sa sœur, Reine, agonisait à 17 ans après avoir donné naissance à un enfant de père inconnu, il l'avait traité de salope. C'était avant le départ pour la guerre d'Algérie...
Lucas Belvaux tente de trouver un équivalent cinématographique au roman polyphonique de Laurent Mauvignier (Éditions de Minuit, 2009). Les procédés trop conventionnels utilisés n'atteignent cependant jamais la puissance évocatrice du roman. La tentative de réaliser enfin un film populaire sur la guerre d'Algérie sera donc très probablement un échec. Seule l'interprétation de Gérard Depardieu tranche.
Le nappage glacé de la voix-off
Le livre est découpé en quatre parties, Après-midi, Soir, Nuit et Matin. Il tisse les voix et les récits de trois hommes (Bernard, Rabut, Février) victimes d’une double violence : celle de la guerre sale et injuste qu’on leur fit mener et dont ils subirent un tel remord qu’ils furent incapable d'en parler au retour les condamnant à perpétuité à ne jamais retrouver la liberté de vivre pleinement. A ces trois voix principales se mêlent beaucoup d'autres au présent ou au passé, des choses dites alors ou tues celles de Solange notamment ou, à la fin de la guerre, du père de Mireille.
Le film tisse aussi les récits passés et le présent, entre la guerre et la paix, entre l’Algérie et la France, à coup de flashes-back, de soliloques ou de lettres lues. Ces procédés très conventionnels, voire académiques, sont, qui plus est, nappés par une couche indigeste de voix-off dont la puissance est bien plus évocatrice que les images. Dès lors, celles-ci ne font qu'illustrer le récit. Mêmes les images d'archives, à la gloire de l'Algérie libérée pour Rabut ou soulignant la débâcle des pieds-noirs pour Bernard, perdent de leur efficacité en étant commentées par un texte qui dit la même chose.
Echec d'un film populaire
On a trop souvent dit que la France était incapable d'ausculter son histoire au cinéma en comparant le traitement de de la guerre d'Algérie à celui de la guerre du Viet-Nam.. Durant les conflits, ce sont, en France et aux Etats Unis, seulement deux films commerciaux qui sont produits. Entre 1954 et 1982, les Français produisent 14 films sur la guerre d'Algérie. Entre 1967 et 1990, les Américains, avec leur puissance économique en produisent certes beaucoup plus mais une vingtaine seulement ont un retentissement international. Mais c'est l'impact sur le public qui est tout autre.
Chez les Américains, le sentiment de puissance est exalté à un moment ou à un autre (Rambo, hélicoptères d'Apocalypse Now...).. L'ennemi n'est pas un "autre" que l'on tente de comprendre mais un ennemi presque toujours hors champ (que l'on "respecte" en tant qu'ennemi irréductible). La guerre du Viêt-Nam est souvent montrée comme un spectacle et possède donc une capacité à faire entrer le film dans la mémoire collective par le succès qu'il génère auprès du public. Ce sont bien les spectateurs qui manquent le plus en France.... Ce à quoi Hors la loi (2010) a tenté de s'attaquer et celui-ci probablement tout autant.
Destins brisés
Gérard Depardieu, par sa voix et a présence massive retrouve toutefois la puissance de Bernard dans Muriel ou le temps d'un retour (Alain Resnais, 1963) où il essaie de trouver auprès de son amie Marie-Dominique un peu d'apaisement aux souvenirs atroces que lui a laissés la guerre d'Algérie, la vision d'une jeune femme, Muriel, soumise à la torture, qui le hante sans cesse. Il retrouve aussi le drame de Guy dans Les parapluies de Cherbourg (Jacques Demy, 1964), appelé à l'armée dès le début du conflit. Il ne donne pas de nouvelles durant la guerre et Geneviève enceinte de lui épouse alors Roland Cassard. En mars 1959, Guy est de retour d'Algérie, blessé à la jambe. Il reprend son travail au garage, mais, brisé, le quitte bientôt pour errer sans but. En décembre 1962, la tragédie amoureuse se clôt devant une station service. Dans L'amour à la mer (Guy Gilles, 1964) même omniprésence de la mort pour Daniel avec la guerre en arrière fond, très présente et l'impossibilité d'y échapper.
Jean-Luc Lacuve, le 5 juin 2021.