Chez nous

2017

Avec : Emilie Dequenne (Pauline Duhez), André Dussollier (Philippe Berthier), Guillaume Gouix (Stéphane Stankowiak), Catherine Jacob (Agnès Dorgelle), Anne Marivin (Nathalie Leclerc), Patrick Descamps (Jacques Duhez). 1h58.

A Hénart, dans le Pas-de-Calais, Pauline Duhez est infirmière libérale à domicile. En rentrant chez sa première cliente du matin, une personne âgée, on ne lui répond pas. Pauline ne tarde pas à découvrir la vieille femme, morte au pied de son lit. En attendant les pompiers, Pauline tente en vain d'appeler à l'aide son ex- mari, qui se refuse à faire le moindre effort pour emmener ses deux enfants à l'école. C'est ensuite ses autres (im)patients de la journée que Pauline doit faire attendre en les conseillant au mieux sur leurs médicaments à prendre. Le docteur Philippe Berthier, appelé sur les lieux, diagnostique une crise cardiaque. Il propose à l'infirmière de venir diner le lendemain chez lui : il a des choses importantes à lui dire.

Durant les trajets en voiture, Pauline entend que le chômage monte dans sa région. Pauline, se rend régulièrement dans la cité déshéritée de la ville et s'emporte contre ces pères musulmans qui interdisent à leur femme et à leur fille de consulter un gynécologue car c’est un homme.

Le soir, Pauline récupère ses enfants chez son amie Nathalie, enseignante. Elle se rend ensuite chez son père, ancien métallurgiste communiste, qui semble ignorer qu'il est malade de l'amiante, dont elle s'occupe, lui préparant chaque jour ses repas.

Le lendemain, Pauline croise Stéphane, l'entraineur de foot de léquipe adverse de son fils, son premier amant qu'elle n'avait pas revu depuis vingt ans. Le soir, se rendant à l'invitation du docteur Berthier, médecin fortuné et ancien député européen, elle a la surprise de se voir proposer de se présenter aux élections municipales en tête de la liste du Rassemblement national populaire (RNP), un parti d'extrême droite fondé par Agnès Dorgelle. Il lui fait valoir sa connaissance du terrain et puis sa défiance à l’égard des pros de la politique qui ont démontré leur inefficacité. On a besoin de gens nouveaux, ni de gauche, ni de droite, dit-il mais en prise avec les réalités.

Le lendemain, Pauline dîne avec Stéphane et passe la nuit avec lui. Il lui avoue ses liens avec le Bloc Patriotique dirigé par le père d'Agnès Dorgelle. Pauline ignore qu'il appartient au groupuscule Solidarité flamande, plus extrémiste encore que le SERP, le service d'ordre du RNP. Les brutes épaisses et fascistes de Solidarité flamande, qui ont leur QG dans un bar possédant une salle de boxe au sous-sol, sont liées par la sauvagerie avec laquelle ils bastonnent les immigrés qu'ils surprennent à récupérer de vieux matériaux.

Réticente, Pauline se laisse séduire par le discours de la présidente du RNP, Agnès Dorgelle, à la fibre sociale et en appelant au peuple. Elle se voit alors proposer d'être tête de liste aux municipales, aux côtés de la dirigeante du parti. Pauline reçoit le soutient de son amie Nathalie. Séduite par le discours dynamique, flattée par la proposition, galvanisée par le discours de la présidente du parti, enthousiasmée à l’idée de changer de vie, motivée par la perspective d’être encore plus utile à sa communauté, Pauline accepte de s’engager dans la bataille politique.

Mais elle n'est qu'une marionnette au sein d'un groupe de communicants. Le chef de ceux-ci s'inquiète de la proximité de Stéphane (dit Stanko) et Pauline. Il demande au docteur Berthier d'écarter Stéphane. Celui-ci promet juste d'être discret. Il envoie cependant un groupe de Solidarité flamande "protéger" Pauline lorsqu'elle se rend dans la cité. Alors que des jeunes taguent sa voiture, ils utilisent un flash-ball et blessent grièvement un jeune. Pauline persévère mais lorsque Berthier intimide une seconde fois Stéphane qui, cette fois se retire, c'en est trop. Humiliée déjà de ne pas avoir été consultée sur le programme, Pauline refuse d'abandonner Stéphane, même lorsque Berthier lui met ses activités sous le nez.

Pauline est remplacée sur la liste du RNP par Nathalie qui approuve les activités de propagande fascistes de son fils sur internet. Pauline est heureuse avec Stéphane et ses enfants et son père au stade mais elle découvre les photos de la ratonade sur le smartphone de Stéphane et l'abandonne dans la foule.

En 2015, le film de Diastème Un Français, racontant le parcours d’un jeune skinhead, n’avait trouvé que très peu de salles acceptant de le diffuser. Belvaux court au devant du succès avec un film plus distrayant. Amusant film à clés (transparentes), évocation du discours lepéniste et dénonciation sans risque des pratiques fascistes d'un groupuscule lié anciennement aux politiciens de l'extrême droite, c'est aussi une histoire d'amour bien gentille qui aura raison du discours politique. Celui-ci n'était, il est vrai, représenté que par une inflation de seconds rôles réduits à leurs discours caricaturaux.

Quatre sujets entremêlés pour n'en traiter aucun

Les clés de ce film à thèse sont transparentes. Hénard, village fictif du Pas-de- Calais est une évocation limpide d'Hénin-Beaumont, fief du FN. Le Bloc patriotique renvoie au Front national et l'évocation de son vieux dirigeant à Jean-Marie Le Pen. Le Rassemblement National Populaire (RNP) renvoie au Rassemblement Bleu Marine et sa cheffe, Agnès Dorgelle, à Marine Le Pen. Le SERP évoque le Département protection sécurité (DPS), le service d'ordre du Front national.

La prétention à décortiquer le discours du FN, à en comprendre son impact, son efficacité et son pouvoir reste en deçà de la volonté du metteur en scène. Certes, on voit bien comment sans prêter le flanc à la critique de racisme, le RNP laisse se banaliser ce discours, se libèrer la parole raciste de ceux qui se sentent seuls face à leur télévision, mal protégés des vols et se libèrent en laissant sortir la haine envers ceux qu'ils ne connaissent pas.

Mais c'est tout autant sur les pratiques du groupuscule Solidarité Flamande que se focalise le film (ratonnade, jeux de guerre, intimidation de Stéphane par le SERP).

Enfin, le seul vrai dilemme de Pauline est de choisir entre l'homme aimé et la politique. Tout ça pour l'abandonner à  la fin comme si, soudainement, Belvaux voulait une fin bien politique.

Des seconds rôles caricaturaux

Ce discours politique connu est porté par les seconds rôles. Du côté du peuple séduit par le RNP, une femme dont le mari blessé au pied passe ses journées devant la télévision et dont le domicile de sa voisine décédée a été pillé, et un vieux quincailler dont la femme souffre de démence due à Elsheimer. On compte aussi, l'enseignante revancharde, dont le fils, geek, crée un site internet de propagande. Du côté de la gauche qui résiste, la militante gauchiste qui part au quart de tour, et le père, ancien communiste qui reste prisonnier des vieux schémas de sa jeunesse.

En multipliant les récits (quatre) et les seconds rôles, Belvaux évite de creuser un récit qui aurait pu voir Pauline affronter un réel problème concret avec ou sans les solutions du Front National. Belvaux reste dans l'affrontement des discours, à l'image de la métaphore qui ouvre le film : l'évocation des cicatrices de la guerre sur la région par les obus restants. Le discours est transparent et le mouvement de caméra élégant mais la liaison bien légère entre le paysan qui trouve des obus de la guerre de 1914 et son implication, révélée plus tard, dans un groupuscule d'extrême droite.

Cette introduction, tout comme le discours anti Front National trop anecdotiquement centré sur une milice fasciste, servent de toile de fond moins à un conflit politique qu'à un petit drame sentimental.

Jean-Luc Lacuve le 05/03/2017.

Mercredi 8 mars, 20h00 université, salle Pierre Daure, projection de Chez nous et rencontre avec Lucas Belvaux et le producteur du film, David Frenkel