La bataille d'Alger, un film dans l'histoire

2017

Avec : Yacef Saadi, Gillo Pontecorvo (archive), Francesca Maria Morinas, fille du scénariste ; Picci Pontecorvo, épouse du réalisateur; Bernardo Valli; Khaled Mahiout, ébéniste à La Casbah ; Hocine Zehouane, membre de la Fédération FLN du Grand Alger, Mohamed Harbi, historien; Hocine Mezali, directeur de plateau. Ali Marock, opérateur; Elie Tenenbaum; Colonel John Nagl. 1h57.

1966. Giles Pontecorvo reçoit le Lion d'or au festival de Venise pour La bataille d'Alger, le film qu'il a  tourné l'année précédente, trois ans après l'indépendance de l'Algérie, signée en 1962 au terme de huit années de guerre.

En 2017, des guides font encore visiter aux touristes les lieux du tournage du film. Khaled Mahiout, ébéniste à La Casbah, se souvient de toute sa famille arrêtée et exécutée par les Français. Il confond parfois acteurs de la bataille et acteurs du film.

Bernardo Valli, journaliste italien, correspondant de guerre en Algérie, rappelle que Gilles Pontecorvo  et Franco Solinas, étaient venus en 1957-1959, en pleine guerre, préparer un film sur la figure du para. C'est lui qui leur avait expliqué l'ambigüité de cette figure, certes séduisante physiquement mais politiquement très à droite.

En 1962 à la sortie de la guerre, le chômage est très élevé et la guerre des clans menace de se transformer en guerre civile. Yacef Saâdi est candidat à la direction de la gendarmerie. Pour Ben Bella et Boumediene, il n’en est pas question. Mais Saâdi est à la tête des groupes armés de la Casbah et avait été fidele à Ben Bella. En guise de compensation, ils acceptent de financer son film inspiré de Souvenirs de la bataille d'Alger qu'il a écrit en prison.

Saâdi  écrit un scénario et cherche un réalisateur. Il ne veut pas d'un américain et se tourne vers les cinéastes néo-réalistes italiens qui refusent. Il entend alors parler de Pontecorvo, venu en Algérie précédemment. Celui-ci accepte même s'il refuse le scénario de Saâdi. En revanche, il accepte de lui faire jouer son propre rôle et renonce à Paul Newman pour interpréter Ali la pointe. Brahim Haggag, un manœuvre, boxeur jouera le rôle d’Ali La pointe.

Lorsqu'il s'agit de signer le contrat, Saadi crée Casbah Film et se procure auprès de Ben Bella et Boumediene 400 millions de Dirhams qu'il transporte dans un couffin.

Le cameraman, le perchiste et un assistant chargé de la pellicule se souviennent qu'il était facile de trouver des figurants tant le chômage était élevé et le désir de participer au film fort. Pontecorvo et Solinas viennent huit mois à Alger pour interroger les témoins et rester au plus près de la vérité historique pour reconstituer la lutte entre les parachutistes du général Massu et les commandos FLN menés par Yacef Saâdi

Mais alors que le tournage avance Boumediene L’ambitieux ministre de la Défense profitant des tanks et, tenues militaires mis à disposition pour el film  dans les rues réussit son putsch en juin 1965. Son cout d'état pour renverse Ben Bella sans effusion de sang. Les étudiants crient au fascisme. Un figurant qui avait accepté de jouer un torturé se trouve arrêté torturé pour de vrai par les agents de Boumediene. Saâdi est convoqué mais veut seulement continuer de tourner ce que Boumediene lui accorde d'autant plu volontiers qu'il l'a sans le savoir aidé.

Pontecorvo a estimé que le rôle de la femme «est relégué au second plan dans les pays arabes», ce qui lui a dicté de «finir le film symboliquement sur une femme», Djamila Boupacha, une des poseuses de bombes du réseau FLN. L’explosion qui en a été reproduite pour les besoins du film est «inoubliable» pour Montaldo, le réalisateur de la deuxième équipe. Dans cette scène, l’introduction d’un enfant français, une glace à la main, soufflé par la déflagration, n’avait pas été du goût de tout le monde. «Yacef Saâdi voulait supprimer cette scène. Gillo Pontecorvo l’a convaincu finalement de la laisser», témoigne H. Mezali. «C’est la confrontation entre deux violences. Si on veut que l’Algérie sorte la France, il faut mettre les moyens», analyse l’historien Daho Djerbal

En 1966 à Venise la France fait pression sur le directeur du festival, Chiarini et tente d'empêcher la sélection du film. La délégation française quitte la salle lorsque le lion d'or lui est attribué. Jean Narboni, qui couvrait le festival pour les Cahiers du Cinéma, ne comprend pas cette attitude envers un film qui racontait honnêtement une guerre qui aurait pu être analysée à froid trois ans après la signature des accords de paix.

En France, le film bénéfice d'un visa de censure mais aucun exploitant ne prend le risque de la projeter craigant les menaces qu'ont proférées les anceins combattant et les mouvements d'extrême droite. Il faut attendre 1970 pour une première projection en France, en Normandie dans la Manche, au cinéma les Drakkars de Coutainville. Le courageux exploitant dans un esprit d'ouverture projette dans la salle voisine Les bérets verts de John Wayne, film en faveur de la guerre du Vietnam. En revanche lorsque le film est projeté dans quelques salles parisiennes en 1981, des casseurs s'attaquent aux salles et un service d'ordre de gauche doit assurer la sécurité des projections. 

Le film est en revanche "annexé"» par les mouvements de libération, qui y lisent la prophétie des victoires à venir sur l’oppression coloniale ou raciale. C'est le cas des Black panthers. Une copie de La Bataille d’Alger est même saisie dans les locaux du mouvement. "Beaucoup de gens voulaient voir La Bataille d’Alger pour comprendre la controverse", se souvient Joseph Djamel, éxilé à Paris. «The Panthers have seen it, Have you ?» (Les Panthers l’ont vu et vous ?) était le slogan qui tournait dans ce milieu révolutionnaire américain. Il est projeté par le mouvement palestinien Fath et non alignés. C'est aussi le cas en 2003 pour le pentagone. Le colonel John N Nagl projette le film suite aux attentas de 2001 et la guerre déclarée à l'Irak par George Bush.

La Casbah est belle vue de haut mais n'a pas beaucoup changé, les enfants y jouent au ballon dans des rues insalubres et quelques bâtiments semblent être définitivement en ruine.

En 1965, trois ans après l’indépendance du pays, Gillo Pontecorvo entreprend le tournage de La Bataille d’Alger. Dans ce film à l’esthétique néoréaliste, il s’agit, pour le cinéaste italien, de reconstituer la lutte entre les parachutistes du général Massu et les commandos FLN menés par Yacef Saâdi. Et, plus avant, de montrer la force d’une insurrection populaire, la puissance d’un collectif, en dépit des arrestations, des perquisitions, de la torture.

Voulu par Saâdi — qui y joue son propre rôle —, le film a peiné à trouver son financement. « Mais, après l’indépendance, il fallait remonter le moral de la population, sceptique sur la capacité du FLN à diriger le pays. Donner forme à des mythes guerriers, analyse l’historien Mohammed Harbi. Saâdi était candidat à la direction de la gendarmerie. Pour Boumediene, il n’en était pas question. Mais Saâdi était à la tête de groupes armés, il fallait avoir la paix. Financer son film était une compensation. » L’ambitieux ministre de la Défense va faire mieux, mettant à sa disposition tanks, tenues militaires… En juin 1965, profitant du dispositif fictif, les chars de Boumediene prennent position dans la capitale. Ben Bella est renversé, Boumediene a réussi son putsch.

Censuré en France jusqu’en 2004, le film est en revanche « annexé » par les mouvements de libération, qui y lisent la prophétie des victoires à venir sur l’oppression coloniale ou raciale. Des années durant, en Algérie, il sera utilisé pour nourrir le mythe d’un FLN héroïque.

Jean-Luc Lacuve le 22/09/2018