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Adieu Philippine

1962

Avec : Jean-Claude Aimini (Michel), Yveline Céry (Liliane), Stefania Sabatini (Juliette), Vittorio Caprioli (Pachala), David Tonelli (Horatio). 1h46.

Quand on travaille à la télé, même en poussant des caméras ou en tirant des câbles, il est relativement facile de laisser croire qu'on est une vedette. C'est ainsi que Michel, jeune machiniste bientôt militaire, éblouira sans peine Liliane et Juliette, inséparables comme des amandes "philippines". Les deux filles s'amourachent donc de Michel qu'elles veulent d'abord aider à débuter au cinéma.

Elles lui présentent Pachala, un producteur bidon, qui fera tourner aux trois jeunes gens, sans d'ailleurs pouvoir le terminer, un film publicitaire grotesque. Puis elles tenteront en vain d'obtenir un sursis d'incorporation au jeune homme qui, désireux de profiter de ses derniers jours de liberté avant son départ pour l'Algérie, se fait mettre à la porte de la télé et part en vacances en Corse.

Liliane, Juliette et Pachala l'y rejoignent bientôt pour "réaliser" un roman photo. Les jours passent sans que les deux filles puissent vraiment savoir laquelle Michel aimera. Et ce dernier n'a encore rien révélé de ses sentiments lorsque lui parvient la feuille de route qui, pour de longs mois, lui tiendra lieu de destin.

Le film ne sera présenté au public qu'en septembre 1963. Ce retard est dommageable car la guerre d'Algérie qui représente le futur (ou l'absence de futur) du personnage principal a pris fin entre-temps.

Le grand film du début de la Vème république

- "Alors Dédé, qu'est-ce que tu as à nous raconter ?" - "Oh rien, rien … rien."

Le film est tourné en août 1960, deux ans avant la proclamation de l'indépendance de l'Algérie. Il fait preuve d'un courage politique sur la guerre d'Algérie que, dans le système de production classique, seul trouveront également Jean-Luc Godard avec Le petit Soldat puis, plus tard, Alain Resnais avec Muriel.

C'est d'abord le carton introductif "1960, sixième année de guerre en Algérie" qui pose frontalement la question de l'avenir de Michel, deux mois avant son départ pour le régiment. Possible même que l'insert sur le film "Montserrat" évoque la torture en Algérie.

C'est ensuite et plus sûrement la rencontre avec Dédé au café, juste après la virée dans la voiture que les quatre copains de la télé vont acheter en commun. Michel ne semble pas conscient de ce qui se passe en Algérie pour les appelés : "Ça y est t'es revenu, c'est finit. T'as bonne mine, t'es bronzé." Ce à quoi Dédé répondra sobrement "Oh, dit, charries pas ! Ça me fait tout drôle de vous voir. Je suis drôlement content, 27 mois et demi !".

Ami de la famille, Dédé est convié par Michel au repas dominical avec des amis de ses parents. Le père, après des considérations de toutes sortes sur la politique, les programmes télé (mauvais déjà !), l'exploration spatiale et la croissance démographique chinoise, interroge : "Alors Dédé, qu'est-ce que tu as à nous raconter ?" "Oh rien, rien … rien" dit-il en baissant la tête vers son assiette laissant les sujets les plus futiles reprendre place dans la conversation

Le départ de Calvi est une métaphore du départ pour l'Algérie. La censure interdisait alors de montrer un bateau d'appelés partant pour l'Algérie. Rozier avait prévu d'utiliser pour la fin du film le thème musical "U lio di roccapina", chant ancien du sud de la Corse évoquant le départ au régiment. Coup du hasard, lors du tournage du départ du Cyrnos à Calvi, la Compagnie Générale Transatlantique diffuse ce thème que Rozier demandera à faire passer en boucle jusqu'au départ du bateau. Le film est tourné en muet, le son enregistré en "son sol" devra être re-synchronisé au montage puis repris de façon orchestrale lorsque le Cyrnos s'en va et prend son cap vers le large.

Mais, pour Rozier quand les deux filles courent ça ne fonctionne plus : le tempo visuel des deux filles qui courent ne correspond plus au tempo de la musique. Sur les suggestions d'une chanteuse corse présente au montage et engagée pour la chanson "il monta la fronta", il utilise un couplet de celle-ci, chanté en mineur et en récitatif.

Ainsi, malgré le tonus accumulé durant le film, la fin est bien tragique. Michel a donné rendez-vous à celle des jeunes filles qui sera capable de l'attendre mais c'est bien par un adieu aux inséparables copines que se termine le film. Adieu sous le soleil d'autant plus tragique que Rozier a montré l'inconscience dans laquelle le pouvoir entretient la jeunesse au sujet de la guerre d'Algérie.

Le film emblématique de la nouvelle vague.

Présenté à la quinzaine des réalisateurs à Cannes en 1962, le film y reçoit un accueil critique enthousiaste. Godard décrète que "Quiconque n'aura pas vu Yveline Céry danser un cha-cha-cha les yeux dans la caméra ne pourra plus se permettre de parler cinéma sur la croisette".

Truffaut interviewe les interprètes du film devant le palais du festival sur les conditions de leur engagement. Ce court extrait filmé sera intégré ensuite pour la bande annonce du film.

Eric Rohmer, rédacteur en chef des cahiers du cinéma, choisit alors une photo d'Adieu philippine comme couverture d'un numéro spécial sur la nouvelle vague.

Cette chronique au jour le jour d'un jeune homme, Michel, porteur de câbles à la télé, qui drague deux copines, la description de leurs atermoiements sentimentaux, leur recherche d'un travail prestigieux (dans le cinéma, évidemment), les scènes saisies sur le vif, entre filles, entre garçons, en famille, leur départ à trois en vacances en toute immoralité avant que Michel ne rejoigne son régiment, ne font pas une "histoire" au sens classique du terme. Ils font une rivière dansante de moments, de regards de gestes de mots. Malgré la difficulté de vivre, sur laquelle Rozier ne jette aucun voile, passe une vitalité joyeuse, une santé rieuse et tendre, émaillés d'éclats de pure loufoquerie.

Comme dans Les 400 coups de Truffaut, Hiroshima mon amour de Resnais, A bout de souffle de Godard, Le signe du Lion de Rohmer, Ascenseur pour l'échafaud de Malle, Cléo de 5 à 7 de Varda, La jetée de Marker, Lola de Demy, Paris nous appartient de Rivette, Adieu Philippine montre des gens qui marchent qui voyagent et qui partent. Pas parce que l'endroit où vont les gens est important pour l'intrigue, et pas non plus comme séquence de transition. Le plus souvent dans les rues de Paris, ils marchent parce qu'on marche dans la vie, ils marchent parce que le cinéma est un cinéma en mouvement, ils marchent parce que le réalisateur éprouve un tel bonheur de filmer que cette activité devient le signal de l'élan que ces films impriment au cinéma. Avec ces personnages en vadrouille, c'est le monde qui s'engouffre dans le cinéma et sur la bande-son, où bruits du quotidien, voix, in ou off, conversations surprises ou rajoutées, informations de la radio, musiques "de film" ou pas, contribuent moins à "l'enregistrement du réel" qu'au dévoilement d'un monde multiple.

Test du DVD

Editions Potemkine, novembre 2008. Coffret 5DVD avec deux courts métrages et les quatre longs métrages de Jacques Rozier.

Suppléments : Entretiens avec Jean Douchet, Jean-François Stévenin, Jacques Villeret et Bernard Menez. Supplément au voyage en terre "philippine" par Jacques Rozier. Bande annonce de Adieu Philippine avec François Truffaut.

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