Chronique des années de braise

1974

(Ahdat Sanawovach El-Djamr). Avec : Yorgo Voyagis (Ahmed), Mohammed Lakhdar-Hamina (Miloud, le conteur fou), Larbi Zekkal (Si Larbi), Cheikh Nourredine (Akli, l'ami forgeron), Hassan El-Hassani (El Hadj, l'épicier), Leila Shenna (L'épouse d'Ahmed), Sid Ali Kouiret (Saïd), Mohamed Sissani (Le caïd), Yahia Benmabrouk (Kouider), François Maistre (Le contremaître de la carrière), Merwan Lakhdar-Hamina (Smaïd), les autres fils de Mohammed Lakhdar-Hamina (les autres fils de Ahmed). 2h57.

1939. Un paysan éploré jure de partir du pays où son frère vint de mourir pour aller chercher de l'eau. Un autre, aussi désespéré, s'engage dans l'armée française afin d'échapper à la misère. Kouider, tout aussi en colère et désespéré, quitte son village même si tous essaient de le retenir. C'est le cas d' Ahmed, son cousin. Celui-ci s'en va ensuite rejoindre son fils qui garde son troupeau au milieu d'un paysage désertique. Trois des moutons sont déjà morts de soif. Ahmed rejoint la procession qui passe à proximité et s'en va implorer "Le saint du désert" afin que tombe la pluie.

Les années de Cendre. Le saint du désert conduit la prière collective, le bœuf est égorgé, la nuit se passe dans la fête mais au matin la pluie n'est pas venue et le saint congédie chacun pour rentrer chez soi. Ahmed retourne près de son fils et constate que tout le troupeau est mort. Ils retournent au village où chacun essaie d'échapper à la soif en restant prostrés. Un paysan passe avec une mule chargée d'outres d'eau et leur indique qu'il reste une mare non encore asséchée à une journée de marche. Les hommes village, Ahmed et Saïd, en tête s'y rendent et remplissent leur outres d'une eau boueuse sous l'œil mauvais des hommes des villages voisins. Une bagarre menace de dégénérer. De retour au village, Ahmed et sa famille peuvent confectionner des galettes même si l'enfant le plus jeune, qui ne sera pas puni, troue par mégarde l'outre. La soif se fait de nouveau sentir mais l'espoir d'un orage encore lointain surgit. En l'absence de pluie, Ahmed et Saïd suivent le cours de la rivière à sec. Et soudain c'est la délivrance; la pluie tombée au loin a entraîné le gonflement de la rivière. Mais la joie est de courte durée, l'eau se dirige exclusivement vers le village voisin dont les hommes refusent que le cours soit partagé. L'affrontement est proche quand tombe la pluie.

Les champs sont labourés et ensemencés. Mais, à l'été, la pluie manque et la récolte promise est anéantie. Ahmed entraîne sa famille loin du village au désespoir de son cousin Saïd mais en recevant la bénédiction du cheikh du village. En ville ils sont accueillis par Miloud, le fou, qui leur promet la misère bien plus que la pauvreté qu'ils ont connu jusqu"alors tant l'administration coloniale est terrible (Leur dieu veille sur eux mais nous surveille). Il les conduit néanmoins chez le cousin Kouider qui s'est installé avec sa famille. Ahmed trouve un dur travail dans une carrière et ne ménage pas sa peine. Son fils vient lui apporter son casse-croûte qu'Ahmed partage avec lui. Mais le contremaître sournois, supportant mal cet instant de paix dans l'enfer de la mine, lui jette des pierres dans son déjeuner et lui ordonne de reprendre le travail en le menaçant de sa baguette. Ahmed le jette à terre.

Ahmed est arrêté et violemment tabassé au poste de police. Son fils vient le chercher. Ahmed ne trouve plus de travail et se reproche de vivre aux crochets de Kouider. Celui-ci parvient à le maintenir dans la cité durement surveillée par Le Caïd qui procède souvent à d'humiliantes vérifications d'identité. Cachée, la haine est féroce contre les français : les hommes, réunis clandestinement pour écouter la propagande nazie, se réjouissent de la défaite prochaine des français face à Hitler. Débrouillard, Kouider obtint pour lui et Ahmed un travail dans des champs de colons partis faire la guerre. Mais le travail est dur et Kouider meurt d'une insolation. Ahmed devient responsable de deux familles.

L'année de la charrette. Le fou est heureux d'annoncer la défaite de la France face à Hitler. Mais rien ne change dans la répression de la population. Quand l'épidémie de typhus se déclare, la ville est contrainte à la quarantaine. Seuls les Européens sont évacués. Ahmed tente vainement de fuir la ville avec ses familles mais ils sont empêchés de le faire par l'armée sous les ordres du Caïd. Avec des médicaments dérisoires et des conditions d'hygiène adaptées, l'épidémie emporte tout. Le fou enterre les morts dans l'une des charrettes qui traversent la ville. Ahmed perd tous les siens sauf son plus jeune fils encore au berceau. En 1941, les français reviennent en ville joyeusement alors qu'Ahmed s'en revient au village avec son plus jeune fils dans les bras. Désespéré, il reste prostré.

Les années de braise. Le cheikh du village vient le sortir de son désespoir, l'enjoignant à partir travailler au loin sur les terres d'un colons avec les hommes les plus valides du village afin que celui- ci reçoive des subsides permettant d'échapper à la famine. Saïd et Ahmed voient enfin des terres fertiles et des vaches bien grasses et une riche moisson. Ils ne manquent pas de voir que le barrage sur la rivière détourne toute l'eau vers les terres des colons. Au village, il n'y a plus personne. Les hommes sont partis battre contre le village voisin qui a de nouveau le privilège de l'eau boueuse déversée du trop plein du barrage. Ahmed se dresse entre eux et les appelle à cesser de se combattre mutuellement pour s'en prendre aux seuls responsables de leur misère. Les français prévaricateurs. Ils enjoint cinq hommes de chaque village de le suivre pour faire sauter l'une des vannes du barrage. L'explosion fonctionne mais la répression est violente; les meneurs sont arrêtés et enrôlés dans l'armée pour faire la guerre en Europe. Le fou pleure de désespoir de voir ceux qui pourraient être les germes de la révolte partir pour la guerre en Europe.

Des images d’archive en noir et blanc montrent la bataille des Ardennes et les combats qui mènent jusqu'à la défaite de l'Allemagne. Alors qu'est célébré le 8 mai 1945 en Europe, les massacres par les milices coloniales à Sétif, Guelma et Kherrata et dans tout le constantinois font entre 5000 et 30000 victimes. A son retour de la guerre, Ahmed constate que son village n'a pas été épargné. Il apprend à sa cousine la mort de Saïd en France.

L'année de la charge. En ville, Ahmed devient l'assistant de son ami, Akli, le forgeron. Ils observent avec curiosité l'arrivée de Si Larbi, manifestement venu d'une grande ville et qui pointe tous les matins au commissariat. Ils le prennent d'abord pour un collaborateur avant de comprendre que c'est un politicien et de l'entendre proclamer la révolte dans une enceinte privée. Lorsque Larbi s'en prend à l'imam qu'il accuse d'endormir le peuple, il est dénoncé, emprisonné et passé à tabac. Il regroupe ensuite un petit groupe d'activistes dont Ahmed et Akli bien décidés à prendre les armes même s'il ne s'agit encore que de poignards pour chasser les colons par la force. Ils combattent aussi les partisans du dialogue avec les français qui veulent obtenir du pouvoir par les urnes. Larbi leur promet la défaite face aux candidats collaborateurs du pouvoir lors des élections de 1947. Le caïd force tous les opposants à venir discuter face à ses collaborateurs mais c'est un piège destiné à les massacrer au sein d'une enceinte bouclée par la cavalerie. Larbi est abattu d'une balle en plein tête. bientôt acculé Ahmed lance la contre-offensive mais la défaite est certaine. Les quelques survivants sont emprisonnés durant deux ans.

Les années de feu. Le fou chante l'insurrection menée par ceux qui se sont échappés de la prison pour mener la guérilla. Il est sauvagement traité par Le caïd qui le traîne sur la place derrière un cheval au grand désespoir du fils d'Ahmed qu'il a adopté depuis les jours en prison de son père. Néanmoins celui connaît la retraite de son père, cachée dans la montage et aidé par Miloud il s'y rend en plein hiver.

Le 1er novembre 1954. Les autorités rendent un hommage franco-français aux victimes de la deuxième guerre mondiale. Le fils d'Ahmed s'en va, dégoûté, rejoindre Miloud, mais celui-ci se meurt, prédisant la fin de la colonisation.Le 11 novembre 1954 une fusillade se fait entendre. Le fils d'Ahmed craint pour son père. Ahmed a en effet été tué en se sacrifiant alors que l'armée avait débusqué Les résistants. Ceux-ci lui confient les rênes de la révolte et alors que les fusils résonnent dans la vallée, Smaïd court vers l'avenir de son pays libre.

Le film commence en 1939 et se termine le 11 novembre 1954. Il est composé de 6 volets : Les Années de Cendre (la sécheresse, la misère et l’abandon de la terre par les paysans), L’Année de la Charrette (la Seconde Guerre mondiale et ses conséquences sur le pays), Les Années de Braise (à la fin de la guerre, la flambée de conscience politique contre le colonisateur), L’Année de la Charge (les élections de 1947, le choix entre le légalisme et le soulèvement), Les Années de Feu (la révolte dans les campagnes, l’organisation des maquis), Le 1er Novembre 1954 (la révolte qui devient révolution).

A travers ces repères historiques, il démontre que le 1er novembre 1954, la Toussaint rouge (date de déclenchement de la guerre d'Algérie) n'est pas un accident de l'histoire, mais l'aboutissement d'un long processus, de souffrances, de combats d'abord politiques et puis militaires, qu'entreprit le peuple algérien contre le fait accompli qu'est la colonisation française débutant par un débarquement à Sidi-Ferruch le 14 juin 1830.

"Avec ce film, j'avais eu envie d'expliquer pour la première fois comment est arrivée la guerre d'Algérie. Cette révolte, qui est devenue la révolution algérienne, est non seulement contre le colonisateur, mois aussi contre la condition de l'homme." dit Mohamed Lakhdar Hamina qui ajoute "Mon film n'est qu'une vision personnelle même s'il prend appui sur des faits précis ".

Le film est une épopée d'une grande force visuelle. Loin d'être entraîné par un montage à l'américaine, le film s'attarde sur les visages et les paysages alors que le fou, à la manière du chœur antique, annonce et commente la dureté de la répression et l'éveil des consciences.

II suscite une polémique en Algérie sur le budget qui lui a été alloué. Il n'en remporte pas moins la Palme d'or à Cannes en 1975 descernée par Jeanne Moreau, unique récompense connue à ce jour pour un film venu du continent africain.

Jean-Luc Lacuve, le 8 août 2025.

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