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Octobre à Paris

1962

Voir : photogrammes
Genre : Documentaire politique , 1h08.


Avant que le film ne commence, la voix de Kader s'élève sur l'écran noir. Il n'aurait jamais cru possible ce qui est arrivé en octobre 61 à Paris. Mais c'est sans doute seulement en France qu'un tel film aurait pu être fait. Un carton signale que le film est tourné d'octobre 1961 à mars 1962.

"La France c'est le pays de la liberté" disent ceux qui sont arrivés en France. Pourtant nombreux sont ceux qui ont été arrêtés par la police et torturés par les "harkis" (La FPA, force de police auxiliaire) depuis 1960 au 28 rue de la goutte d'or (roués de coups, supplice de la bouteille, boire de l'eau de javel), ou même laissés dans des conditions d'hygiène effroyable au Centre de rétention pour vérification d'identité de Vincennes. Dans les bidonvilles de Nanterre et Gennevilliers, les conditions de vie sont très dures : une pièce pour neuf personnes, sans eau, sans water, sans cuisine.

Le 5 octobre 1961, le préfet de police de la Seine, Maurice Papon, impose un couvre-feu discriminatoire visant exclusivement tous les français musulmans d'Algérie. Cette mesure entraine aussitôt une réaction sous la forme d'une grande manifestation pacifiste organisée par le FLN. A l'intérieur d'une casemate, l'équivalent d'une direction locale dans les mouvements résistants, du bidonville de Gennevilliers, on rapporte la décision. Les instructions sont données d'emprunter tel ou tel chemin, d'emmener aussi les femmes et les enfants. L'ordre étant surtout de ne pas apporter la moindre arme, même pas un caillou, les militants sont fouillés au départ du bidonville.

Photos d'Elie Kagan zoomées, montées et mises en musique comme témoignage de la manifestation pacifique organisée dans Paris le 17 octobre 1961, regroupant près de 30 000 algériens et de la répression féroce qui suit.

Panijel retrouve des hommes qui avaient échappé de justesse à la mort ; des gens qui avaient été balancés à la Seine et s'en étaient sortis. Ainsi ce garçon qui a été "flanqué à la Seine", comme il le dit, est filmé sur le lieu où les flics l'ont balancé dans le fleuve. Il raconte en voix off ce qui s'est passé, qu'il a attendu jusqu'à quatre heures du matin de voir passer à nouveau des automobiles sur le pont pour sortir de sa cachette. "Ils m'ont matraqué, ils m'ont frappé à la tête, c'est pour cela que j'ai moins de cheveux. Après ils m'ont jeté dans la Seine".

Aux témoignages sur la répression d'octobre 1961 s'ajoutent ceux des victimes de la manifestation organisée à Paris le 8 février 1962, pour dénoncer les agissements de l'OAS ainsi que la guerre d'Algérie. Parmi les manifestants qui essaient de se réfugier dans la bouche de la station de métro Charonne, huit personnes trouvent la mort, étouffées ou à la suite de fractures du crâne, ainsi qu'une neuvième à l'hôpital, des suites de ses blessures.

" Et que faut-il encore pour que toute le monde comprenne que tout le monde est un youpin, tout le monde est un bicot. Pas vrai Kader ? "

Jacques Panijel réalise lui-même un film qu'il aurait préféré voir faire par un cinéaste réputé. Les quelques essais de fiction -femmes qui crient devant des corps hors champ dont on ne voit que les chaussures- sont bien vite abandonnés pour un documentaire où les acteurs du drame jouent leur rôle après coup ou témoignent.

Un documentaire politique

Jacques Panijel n'a pas trouvé de bandes filmées montrant les évènements du 17 octobre 1961. Il a donc recourt aux photographies et à la reconstitution. Il demandé à ceux qui avaient rapporté ces instructions du FLN au bidonville de Gennevilliers s'ils voulaient bien recommencer la scène qu'ils avaient vécue. Au petit matin, il reconstitue la réunion de la cellule, les instructions données d'emprunter tel ou tel chemin et la fouille des militants au départ du bidonville. Ce sont ensuite els photos d'Elie Kagan zoomées, montées et mises en musique. Il n'y a donc que ces traces, très mises en scènes de la féroce répression policière.

On ne trouvera pas dans ces images la preuve qu'environ une centaines de français d'Algérie sont morts lors de la confrontation avec les forces de l'ordre et que plus de 11 000 manifestants furent internés dans des centres de détention pendant parfois quatre jours pour y subir de multiples violences. Pour le témoignange du garçon jetté dans la Seine, Panijel va cependant chercher l'endroit où il s'est planqué, l'endroit est tel qu'il l'a décrit, preuve qu'il ne mentait pas. Il y a notamment un arbre sur lequel était cloué un panneau : "Interdit de jeter des ordures".

Réalisé moins de trois semaines après la manifestation du 17, Octobre à Paris raconte à chaud l'événement, en donnant la parole à ceux qui organisèrent le rassemblement, qui vécurent la répression sanglante et qui échappèrent à la mort après avoir été jetés à la Seine. Ce sont notamment eux qui reconstituent la préparation du rassemblement. Au-delà de l'évocation du 17 octobre, le documentaire rend compte des terribles conditions de vie réservées aux algériens installés en France.

Genèse

Jacques Panijel, chercheur en biologie, écrivain, ancien résistant français à l'occupant nazi, est le secrétaire du Comité Maurice Audin, un comité créé en décembre 1957 avec Pierre Vidal-Naquet, au lendemain de la soutenance posthume en Sorbonne de la thèse de Maurice Audin, jeune mathématicien assassiné à El Biar par un officier parachutiste français.

Jacques Panijel propose l'idée d'un film qui retracerait les événements du 17 octobre. Le comité accepte à condition que le film soit réalisé par un metteur en scène de renom dont la réputation aurait protégé le film et qui aurait accepté de travailler avec les représentants du FLN en France. Plusieurs cinéastes français de la Nouvelle Vague et grands cinéastes étrangers sont alertés. Le seul qui réagit favorablement est Jean Rouch. Mais il souhaitait une production légère ce qui est refusé pour ce qui est perçu comme un événement majeur. Quelques années plus tard, interrogé par une revue de cinéma, François Truffaut expliquait : "la guerre d'Algérie, je regrette mais qu'est-ce que vous voulez que je dise là dessus, j'y connais rien. C'est comme si on me demandait de faire un film sur la déportation". Jacques Panijel propose alors de réaliser le film lui-même. Son expérience cinématographique se limitait à la coréalisation au côté de Jean-Paul Sassy de La Peau et les os qui avait obtenu le Prix Jean Vigo l'année précédente.

Réception

Du fait de la censure, il n'y a pas de projection de presse. Jacques Panijel avertit des amis journalistes que des projections ont lieu tel jour à telle heure au Studio Bertrand en face de l'hôpital Necker. Une fois sur deux, la police arrive et embarque la copie du film. Quand la salle est prévenue de la descente, c'est Le Sel de la terre (Herbert Biberman) qui est projetté.

Au festival de Cannes en 1962, Jacques Panijel loue une salle de la rue d'Antibes. Le seul journal à s'en faire l'écho est Variety ! Le grand journal de l'entertainment évoque en première page la projection d'un film interdit mais aucun journal parisien consacrant des pages au festival ne se fait l'écho de ces quelques projections. Jacques Panijel emmene ensuite le film à la Mostra de Venise où il fut à nouveau projeté quelques jours avant que les carabinieri ne ferment la salle. Enfin, il emmene Octobre à Paris dans des symposiums scientifiques où il est projeté à la stupéfaction des participants. En mai 68, le film sera à nouveau brièvement projeté dans une salle du Quartier latin, en alternance avec La bataille d'Alger.

Le film de Jacques Panijel ne recevra son visa d'exploitation qu'en 1973, à l'issue d'une grève de la faim de René Vautier. Mais son réalisateur a longtemps refusé de le montrer tant qu'un préambule en forme de préface ne lui a pas été ajouté, une opération qui nécessitait des subventions restées introuvables. Jacques Panijel décède le 12 septembre 2010 à Paris d'une défaillance cardiaque. Octobre à Paris sort pour la première fois en France le 19 octobre 2011 et en octobre 2012 en DVD.

Jean-Luc Lacuve le 01/10/2012

Test du DVD

Editeur : Montparnasse, octobre 2012. Durée du film 1h08. 15 €

Suppléments

  • A propos d'Octobre (Medhi Lallaoui, 2011, 19')
  • 17 octobre 1961 (Sébastien Pascot, 2012, 51')