Mise en scène

Malgré les travaux de Ducos Du Hauron qui avait démontré la possibilité d’avoir des photographies en couleur par trichromie, les premières tentatives pour donner des couleurs aux films se firent par coloriage (partie 1). Les procédés se succèdent ensuite du Kinemacolor breveté en 1906 au Technicolor trichrome de 1932 ou à L'Eastmancolor (partie 2). L'ensemble de ces techniques sont au service de la mise en scène (partie 3).

I - Les procédés de coloriage

Ce fut le cas du procédé le plus ancien mais qui donnait des résultats spectaculaires : le coloriage au pinceau. Cette technique est apparue dès 1895 avec La danse serpentine d’Annabelle de W.K.L Dickson et consistait à peindre à la main avec un pinceau ou une brosse des couleurs à l’aniline (transparentes, celles-ci étaient très lumineuses et préservaient l’effet de profondeur) sur des pellicules positives des films, image par image.

Le chateau hanté (Méliès, 1897)

Les films de Méliès semblent avoir été coloriés dès 1897, c’est-à-dire dès ses débuts. La Star Film, comme la plupart des grandes maisons éditrices de vues animées, offrait un certain nombre de leurs vues en coloris. Les copies étaient donc vendues soit en noir et blanc, soit en couleurs, moyennant un prix plus élevé (le double généralement, en France comme à l’étranger). Georges Méliès proposait ainsi plusieurs de ses films coloriés à la main à ses riches clients, comme le magasin Dufayel qui n’achetait que des vues spectaculaires en couleurs. C’était en effet les films les plus spectaculaires, en particulier les féeries, qui étaient vendus en couleurs.

Méliès eut d’ailleurs très tôt le souci de tourner la plupart de ses films avec, en tête, les différents coloris qu’il ferait appliquer sur la pellicule. Pour ce faire, il met en place un incroyable dispositif dès la conception des décors, des costumes puis des maquillages. En effet, comme les pellicules orthochromatiques de l’époque traduisaient mal au niveau des gris certaines couleurs, il eut l’idée de peindre ceux-ci en divers tons de gris afin d’éviter de se retrouver à l’étape du coloriage avec des masses noires et opaques pratiquement impossibles à colorier. Méliès s’est d’ailleurs lui-même expliqué sur sa pratique :

« Les décors sont exécutés d’après la maquette adoptée (…) et peints à la colle, comme la décoration théâtrale; seulement la peinture est exclusivement exécutée en grisaille, en passant par toute la gamme des gris intermédiaires entre le noir pur et le blanc pur. (…) Les décors en couleurs viennent horriblement mal. Le bleu devient blanc, les rouges et les jaunes deviennent noirs, ainsi que les verts; il s’ensuit une destruction complète de l’effet. Il est donc nécessaire que les décors soient peints comme les fonds des photographes. (…) Le mieux est de n’employer (…) que des objets fabriqués spécialement, et peints également dans diverses tonalités de gris graduées avec soin, suivant la nature de l’objet. Les films ou pellicules cinématographiques importants étant souvent coloriés à la main avant de les projeter, il serait impossible de colorier des objets réels photographiés, lesquels, s’ils sont en bronze, en acajou, en étoffes rouges, jaunes ou vertes, viendraient d’un noir intense, sans transparence par conséquent, et sur lequel il serait impossible de donner le ton réel translucide nécessaire à la projection (…). Pour la même raison, la plupart des costumes doivent être fabriqués spécialement dans des tonalités qui viennent bien en photographie et susceptibles de recevoir plus tard le coloris (…). Mais, là encore, (les artistes) n’échappent pas à la loi qui régit la peinture des décors, dans lesquels le blanc et le noir sont seuls employés. Ici, plus de rouge sur les joues, ni sur les lèvres, sous peine d’obtenir des têtes de nègres. Le maquillage se fait exclusivement au blanc et au noir.»

Une fois le film tourné, si une commande de film couleur, Georges Méliès se tournait alors vers un "ateliers de coloris". À l’époque, les éditeurs de films avaient la possibilité de faire "colorier à façon" leurs bandes dans différents ateliers. L'un des plus importants ateliers fut sans doute celui que dirigeait Elisabeth Thuillier au 87 rue du Bac, à Paris. Cette ancienne coloriste de plaques en verre et celluloïd pour lanternes magiques passait pour l’une des meilleures de la profession. Elle déclarera plus tard (L’Ami du Peuple (du Soir) – 13 décembre 1929) :

"Le coloriage était entièrement fait à la main. J’occupais deux cents ouvrières dans mon atelier. Chacune d'elle recevait un franc par journée de travail Je passais mes nuits à sélectionner et à échantillonner les couleurs. Pendant le jour, les ouvrières posaient la couleur, suivant mes instructions. Chaque ouvrière spécialisée ne déposait qu’une couleur. Celles-ci, souvent, dépassaient le nombre de vingt. Le coût du coloriage est de six à sept mille francs par copie pour une bande de 300 mètres, et cela avant guerre. Nous exécutions en moyenne soixante copies pour chaque production. Le coloriage à la main grevait donc assez lourdement le budget des producteurs".

L'atelier d'Elisabeth Thuillier au 87 rue du Bac, à Paris

À partir de 1904, se développe la technique du pochoir, sans remplacer pour autant le coloriage. Celui-ci produit des coloriages instables d’une image à l’autre et les traits de pinceaux sont souvent très visibles. Ceci disparait avec la technique du pochoir. Les ouvrières découpaient alors à l’aide d’un stylet, dans une copie positive, les parties qui devaient être coloriées. Le pochoir ainsi obtenu était alors consacré à une seule et même couleur. L’opération est répétée autant de fois qu’il y avait de couleurs à poser. On appliquait ensuite la couleur à l’aide d’un coton imbibé.

En 1906, Charles Pathé qui possédait, rue du Bois à Vincennes, un atelier de coloriage occupant 200 ouvrières, le travail se fait entièrement au pochoir.

Au début de 1907, le découpage des pochoirs se mécanise puis, rapidement, plusieurs procédés sont mis au point pour colorier les bandes grâce à des machines qui contrôlent à la fois la superposition du pochoir et l’application des couleurs.

Usine Pathé (atelier de coloriage des films) Photo Collection Pathé

Très rapidement, Henri Fourel, responsable du service coloriage de Pathé, décidait de mécaniser le procédé et un brevet fut déposé le 22 octobre 1906 pour un prototype de machine à colorier construite par le mécanicien Florimond. Cette machine reproduisait à l’aide de cames tous les mouvements que faisaient les ouvrières coloristes.

Un nouveau brevet fut déposé le 14 janvier 1907 pour un modèle plus évolué. Après plusieurs perfectionnements successifs, la machine à colorier définitive fut brevetée le 19 août 1908. Elle fut mise au point par Méry, avec les conseils d’Henry Fourel, des ingénieurs A et M. Julien et du mécanicien Goujon. Cette nouvelle machine se caractérisait par l’entraînement continu du pochoir et de la copie à colorier et par le coloriage de la copie par l’intermédiaire d’une bande sans fin en velours rasé.

Se développent également très tôt d’autres techniques moins coûteuses et plus aisées d’exécution. Retenons le teintage et le virage. La technique du teintage utilisait un colorant acide (Amaranthe, Bleu direct, Ponceau, Vert acide, Vert naphtol, Violet acide…) qui pénétrait uniformément la gélatine de l’image positive, n’affectant que les parties claires de la pellicule. Les bandes étaient alors monochromes et l’image argentique fixée restait noire dans une gélatine entièrement teintée. On choisissait la couleur en fonction de l’ambiance dominante : vert pour les paysages, bleu pour la nuit, rouge pour le feu, jaune pour les scènes d’intérieur

Quant à la technique du virage, elle consiste à remplacer l’argent métallique de la pellicule positive par un sel coloré. La coloration sera donc plus intense sur les parties sombres de l’image, contrairement aux parties claires où la gélatine est presque pure. Ces deux procédés, qui étaient parfois appliqués ensemble, visaient à pallier modestement l’absence de coloriage (même si certains films pouvaient être en partie coloriés en parties virés).

II - Les films couleur

Le plus ancien film en couleur connu a été découvert en 2012 au National Media Museum de Bradford (Grande-Bretagne) après être resté inconnu dans une boite durant 110 ans. Ce film date en effet 1902, soit sept avant le procédé Kinemacolor, le premier procédé ayant donné lieu à une exploitation commerciale. Le film découvert est dû à l’inventeur Edward Raymond Turner, de Londres, qui avait déposé le brevet correspondant dès le 22 mars 1899. Turner a développé ses bouts d'essai en 1902 sans avoir le temps de trouver des projecteurs pour le montrer. Il fallait une vitesse de projection de 48 images par seconde, associée à l'enregistrement précis des trois images séparées de lentilles disposées en parallèle. Le résultat obtenu par Turner ne donnait qu'un flou inregardable (le film a été restauré par ordinateur en 2012 pour être visionné). Son oeuvre pionniere a pris fin abruptement quand il est mort subitement en 1903 d'une crise cardiaque.

Les essais de Turner, restaurés sur odinateur et diffusés en numérique.

Le Kinemacolor

Un procédé nouveau fut breveté en 1906, mais commercialisé de 1908 à 1916, le kinemacolor, mis au point en Grande Bretagne par Serge Albert Smith et Charles Urban. Le principe consistait à utiliser une caméra dont l’obturateur avait été évidé pour contenir un filtre rouge-orangé et un filtre bleu-vert, de façon à impressionner une image sur deux dans ces deux couleurs. Le projecteur étant muni du même type d’obturateur, la lumière traversait ces filtres colorés avant d’atteindre l’écran, ce qui permettait de reconstituer assez grossièrement les couleurs.

En réalité le film est en noir et blanc et les couleurs rajoutées par les filtres de l'obturateur.

Le premier film exploité avec ce procédé fut un court-métrage de huit minutes, Une visite au bord de la mer, montré en septembre 1908. Echec et mat (1910), Le Durbar à Delhi (1912) et Le monde, la chair et le diable (1914) furent les principaux succès au sein d'une production d'une cinquantaine de longs-métrages qui furent diffusés par les 300 projecteurs de Kinemacolor installés en Grande-Bretagne.

Le Chronochrome

Dès 1913, Léon Gaumont a mis au point une caméra bichrome comportant deux objectifs respectivement munis d’un filtre bleu-vert et d’un filtre rouge. En 1919, elle fut perfectionnée par ajout d’un troisième objectif. Grâce à ses trois filtres rouge, bleu et vert, cette nouvelle caméra permettait d’obtenir des couleurs beaucoup plus fidèles. Pour que ce procédé, appelé Chronochrome, puisse fonctionner, il était bien entendu indispensable de disposer de projecteurs munis des mêmes filtres colorés.

Un autre inventeur, Hérault, imagina à la même époque un appareil semblable, mais muni d’un seul objectif. C’était un disque rotatif synchrone qui présentait successivement les trois filtres colorés devant chacune des images.

Caméra Chronochrome Gaumont

Toujours à la même période, la société Gaumont avait aussi pratiqué des essais en quadrichromie (probablement par ajout d’un filtre jaune). Rapidement abandonnée, cette tentative de quadrichromie fut curieusement reprise par les frères Roux en 1930. Le procédé Rouxocolor fut utilisé par Marcel Pagnol pour le tournage de La belle meunière. Les difficultés de projection, exigeant des salles spécialement équipées, écourtèrent la carrière de ce film expérimental.


Le procédé KELLER-DORIAN BERTHON

Ce procédé consistait à imbriquer trois images dans le cadre de l’image cinématographique normale en transformant en réseau semi-cylindrique la face dorsale d’un film noir et blanc. Pour cela, Rodolphe Berthon avait dû s’associer avec Keller-Dorian, spécialiste de la gravure. Ce dernier réalisa l’outillage nécessaire pour laminer le film entre deux cylindres en acier, l’un gravé en creux de cannelures cylindriques, l’autre lisse.
Le film ainsi matricé et ligné dans le sens horizontal défilait dans la caméra, le côté cannelé vers l’objectif afin que les rayons lumineux traversent ces dioptres semi-cylindriques.
L’objectif était divisé en trois parties munies de filtres rouge, vert et bleu, dans le sens horizontal. Pour reconstituer les couleurs à la projection, il fallait évidemment que l’objectif du projecteur soit muni des mêmes filtres.
Le brevet concernant ce procédé fut déposé en 1914, mais c’est seulement le 27 décembre 1923 que furent présentées à Paris les premiers essais. Hélas, des problèmes de luminosité apparurent et l’utilisation fut abandonnée en 35 mm, mais poursuivie un certain temps en 16 mm.

C’est le procédé Keller-Dorian Berthon (repris par Thomsoncolor) qu’avait choisi Jacques Tati, en 1947, pour tourner Jour de fête, mais comme il n’était pas certain des résultats, il avait doublé toutes les prises de vues en noir et blanc. Heureusement, car la projection en couleur s’avéra impossible.
Comme il tenait absolument aux couleurs, Jacques Tati a fait colorer une partie de son film au pochoir en 1960. Il a fallu attendre 1987 et la rencontre entre Sophie Tatischeff, fille de Jacques et le cinéaste François Ede, pour que l’on tente de retrouver les couleurs d’origine à partir de la pellicule gaufrée et des filtres.

version 1960 colorée au pochoir
Couleurs par le procédé Keller-Dorian Berthon

Le procédé DUGROMACOLOR

Mis au point par Dumas, Grosset et Marx en 1913, ce procédé est inspiré des applications pratiques de la trichromie photographique par Ducos de Hauron.
Ce procédé consistait à diviser l’image primaire par des prismes à surface réfléchissante qui donnaient naissance à trois images filtrées en rouge, vert et bleu sur trois films en noir et blanc. On peut remarquer l’analogie avec les premiers essais Technicolor de 1915. Le Dugromacolor utilisait en projection un assemblage d’objectifs qui superposait les trois sélections trichromes.


Le procédé DUFAYCOLOR

Dans ce procédé, ce n’est plus par superposition, mais par juxtaposition que se manifeste la loi des trois couleurs. C’est donc par un mélange optique que nos yeux voient la couleur finale. Le Dufaycolor était un procédé à réseaux. Deux machines spéciales imprimaient sur un support en acétate de cellulose 20 lignes par millimètre. Après trois passages, deux pour imprimer les couleurs bleues et vertes disposées à 23° par rapport au bord du film et un passage pour la couleur rouge disposée à 90° par rapport aux deux autres lignages, on obtenait un damier que l’on recouvrait d’un vernis imperméable et sur lequel il ne restait plus qu’à couler une émulsion noir et blanc. Les copies positives étaient obtenues par inversion pendant le développement. Plus tard, il a existé du Dufaycolor négatif pour en faciliter l’utilisation.


Le procédé MONDIACOLOR

Variante du précédent, cet autre procédé a bénéficié d’un perfectionnement dans la fabrication du support gaufré imaginé par M. Chevalier, qui utilisa deux très fines trames de photogravure.


Tous ces procédés ont disparu à l’arrivée des films couleur monopack comme l’AGFACOLOR mis au point en Allemagne entre 1936 et 1939.

 

Le Technicolor bichrome

La Technicolor Motion Picture Corporation fut fondée en 1915 par Herbert Kalmus, Daniel Frost Comstock et W. B. Westcott. Leurs premières expérimentations consistaient en un procédé additif bichrome. En 1915, une première caméra technicolor utilise ainsi un prisme pour diviser la lumière en deux rayons filtrés différemment, impressionnant chacun une image sur un négatif noir et blanc. Un des rayons passe au travers d'un filtre rouge et impressionne les composantes bleues et vertes de l'image. Le deuxième rayon passe au travers d'un filtre bleu et impressionne les composantes rouges de l'image. Les deux images sont disposées l'une au dessus de l'autre sur un film 35 mm qui défile à deux fois la vitesse normale. Une des images est inversée par rapport à l'autre du fait de l'utilisation d'un prisme.

Ce qui se passe à la prise de vue

Pour la projection, le positif était tiré en noir et blanc et chaque image projetée au travers de son filtre correspondant (synthèse additive des couleurs).

Ce qui se passe à la projection

Un seul film, The gulf between (1917), fut réalisé selon cette technique et ce fut un échec en raison de la nécessité d'un matériel spécial de projection. En 1922 cependant, fut développé un procédé soustractif bichrome dans lequel deux copies positives teintées, l'une en vert et l'autre en rouge, étaient superposées et collées ensemble pour ne former qu'une seule copie pouvant être projetée avec un projecteur normal. Le premier long métrage réalisé avec cette technique fut The toll of the sea (1922) suivi par Wanderer of the Wasteland (1923) ainsi que Le pirate noir avec Douglas Fairbanks (1926) alors que d'autres films comportaient des séquences colorées isolées ainsi Fiancées en folies (Keaton, 1924), La grande parade (1925), La veuve joyeuse (1925), Le fantôme de l'opéra et Ben-Hur (1925). Le premier long métrage à avoir combiné le technicolor et le son synchronisé fut The Viking (1928) et cette technique fut utilisée pour la dernière fois dans Masques de cire (1933).

Le Technicolor trichrome

En 1932, stimulé par les besoins des Silly symphonies de Walt Disney, Technicolor élabora une caméra soustractive à trois bandes beaucoup plus sophistiquée. Le Technicolor trichrome représente un progrès considérable. Dans le vieux Technicolor bichrome utilisé par De Mille dans Les dix commandements en 1923, on ne pouvait pas reproduire la couleur bleu.

Le procédé trichrome permet de recouvrir le spectre entier. De très grosses caméras peuvent exposer trois négatifs simultanément, chacun d'eux enregistrant une couleur primaire. La couleur est alors rarement utilisée pour des drames contemporains et réservée aux comédies musicales et aux films en costume.Plutôt que de favoriser le réalisme, la palette du Technicolor va au-delà, elle ajoute un côté flamboyant au mélodrame (Voir Péché Mortel de John M. Stahl).

Le nouveau procédé utilisait trois films négatifs noir et blanc défilant dans une caméra spéciale ; les rayons provenant de l’objectif traversaient un prisme et étaient en partie déviés. Ceux qui n’étaient pas déviés par le prisme atteignaient un autre film après avoir traversé un filtre bleu. Le support de ce film teinté en rouge jouait le rôle de filtre pour une image enregistrée sur un troisième film appliqué au deuxième.

Le tirage comportait deux phases principales :

- Obtention de positifs noirs et blancs d’après les trois négatifs.

- Copie en couleurs obtenue avec trois passages sur trois matrices hydrotérapées, donc en relief et encrées successivement avec les trois couleurs fondamentales.
Cela fonctionnait, en fait, comme en imprimerie.

Le principe du procédé 1932

 

Les trois négatifs obtenus
 
Après encrage afin d'imprimer le positif

 

Le procédé Kodachrome

Cette pellicule a commencé à être vulgarisée vers 1935, mais seulement pour le 16 mm et les formats d’amateur car, étant inversible, elle ne convenait pas pour le 35 mm. Elle a été mise au point par Mannes et Godowsky d’après les travaux de Homolka (1907) et Fisher (1912). Son grand avantage provient du fait que les couleurs ne se dénaturent pas. Le 22 juin 2009, après 74 ans de fabrication et après qu'elle eut conquis le titre de pellicule couleur la plus vendue au monde, Kodak annonce la fin de la fabrication de la pellicule Kodachrome. Le 13 juillet 2010 est développé le dernier film Kodachrome produit par Kodak.

 

Le procédé Agfacolor

La société AGFA, après avoir fabriqué une pellicule couleur inversible en 1936, mit au point le système négatif-positif en 1939, permettant ainsi le tirage en série.
Sur le même principe que l’Agfacolor, on voit apparaître en 1948 le Gévacolor (Belgique) et le Sovcolor (Union Soviétique), ainsi que le Fujicolor (Japon). C’est un peu plus tard, en 1952 que l’Italie proposa le Ferraniacolor.

Le Kodacolor

Dès 1942, les Etats-Unis répliquent à l’Agfacolor par la mise au point du Kodacolor.
Les méthodes inversibles et négatives-positives vont continuer à cohabiter avec les sorties de l’Ektachrome en 1945, du Telcolor et de l’Anscochrome et d’une nouvelle génération de Kodacolor en 1949, puis également une nouvelle génération de Gévacolor en 1953.


L'Eastmancolor

Il est également basé sur le principe négatif-positif, mais cette pellicule présente une innovation importante par rapport aux procédés Agfacolor et Gévacolor, l’adjonction d’un masque orangé dans l’émulsion négative (en fait un jaune et un magenta) qui améliore la pureté des couleurs et permet de changer la disposition des couches dans le positif en plaçant en surface la couche magenta qui donne la couleur verte, essentielle à la définition des images.

Négatif Eastmancolor

 

III - Mise en scène de la couleur

Contrairement à l'introduction du son, qui fut une révolution, celle de la couleur a obéi à une très lente et sélective évolution non seulement en raison des coûts de production très élevés des tournages en technicolor mais aussi parce que le noir et blanc était perçu comme plus réaliste et resta longtemps considéré comme la forme cinématographique standard. pendant une longue période, le pourcentage des films en couleurs demeura dérisoire : autour de 3 % à la fin des années 1930, qui virent pourtant naître des œuvres en technicolor trichrome aussi importantes qu'Une étoile est née (William Wellman, 1937), Les aventures de Robin des bois (Michael Curtiz, 1938), Autant en emporte le vent (Victor Fleming, 1939), Le magicien d'Oz (Victor Fleming, 1939). La couleur entre 1935 et le début des années 50, loin d'être perçue comme apportant un supplément de réalisme, était souvent associée à des valeurs spectaculaires ou exotiques plutôt que psychologique sou narratives. Elle était presque exclusivement utilisée dans des genres non réalistes comme la comédie musicale, le dessin animé, les super productions bibliques, les films féériques, historiques, d'aventures dont les époques les décors, les paysages, les costumes évoquaient un monde totalement différent de celui dans lequel vivaient les spectateurs. Les films noirs, criminels ou de gangsters, les films policiers, les drames sociaux, les comédies dramatiques étaient quant à eux, presque tous en noir et blanc. Il faut attendre le milieu des années 50 pour voir des genres sérieux utiliser la couleur à des fins dramatiques et de réalisme psychologique. En témoignent les mélodrames flamboyants réalisés durant cette période par Douglas Sirk, du Secret magnifique (1954) au Mirage de la vie (1958), par Vincente Minnelli, de La toile d'araignée (1955) à Comme un torrent (1959), par Nicholas Ray de La fureur de vivre (1955) à Derrière le miroir (1956) ou par Elia kazan avec A l'est d'Eden (1955).

En Europe, la conversion à la couleur est tardive. En France le premier film en couleur, Le mariage de Ramuntcho (Max de Vaucorbeil, 1947) a recours au système allemand Agfacolor. Suivront dans les années 50 des œuvres majeures comme French Cancan (1954), Elena et les hommes (1954) de Jean Renoir tournées en Technicolor ou Si Versailles m’était conté (Sacha Guitry, 1953), Lola Montès (Max Ophuls, 1955), Mon Oncle Jacques Tati (1958) ou Le déjeuner sur l'herbe (Jean Renoir, 1959) tournées en Eastmancolor. En Italie, le premier long-métrage en couleur Toto en couleur (Stefano Vanzina, 1952) est réalisé avec le procédé italien Ferraniacolor. En 1955, pour couvrir le marché non pris en charge par la Grande-Bretagne, Technicolor installe à Rome un laboratoire, Technicolor Italia, qui permettra à la couleur et au procédé de la société Kalmus de s'imposer à partir des années 60 dans le cinéma d'auteur avec Le guépard (Luchino Visconti, 1963), Le désert rouge (Michelangelo Antonioni, 1964) et Juliette des esprits (Federico Fellini, 1965).

L'alternance du noir et blanc et de la couleur est un procédé presque classique dans les films utilisant des images d'achives qu'ils soient documentaires, Nuit et brouillard ou de fictions, Les égarés de Téchiné.

Dans les films à flashes-back, la couleur indique souvent le présent alors que le noir et blanc renvoie au passé : Nous nous sommes tant aimés (1974). Toutefois dans Bonjour Tristesse (Otto Preminger, 1958) le présent, terne, est en noir et blanc et les souvenirs plus sensuels sont en couleur. Il en est de même dans Johnny got his gun (Dalton Trumbo, 1971) où le présent de l'enfermement du héros est terrifiant alors que ses souvenirs de la nature et de sa sensualité dans ses rêves du passé sont en couleur. Memento (Christopher Nolan, 2000) alterne des scènes en noir et blanc et des scènes en couleur. Les premières suivent un ordre chronologique mais sur un laps de temps très court. Les scènes en couleur, qui occupent les trois quarts du film, sont toutes postérieures aux séquences en noir en blanc mais suivent un ordre chronologique inversé.

Sans quoi, l'alternance est souvent un maniérisme très visible qui convient à très peu de films sauf à vouloir proposer de la distanciation par rapport à l'intrigue, une sorte de théatralité comme Gabrielle (2004) de Patrice Chéreau où la reconstitution noir et blanc alterne avec de plus longs passages en couleur. Le rôle des passages en noir et blanc est bien d'accentuer la douce illusion du discours dans lequel se complet Jean, le héros. Le noir et blanc souligne ici le faux alors que la couleur capte le sang, la vérité de la peau et les déchirements du couple.

Les pointes de couleur tel que le poisson de Rusty James, la petite fille en rouge de La liste de Schindler accentuent le lyrisme, ils sont désignés au spectateur. Runaway train (Andreï Konchalovski, 1985) est tourné en couleur, mais dans des tonalités sombres, froides et sévères qui le rapprochent du noir et blanc, avec seulement quelques traces de couleur ajoutées. Les arbres sombres et ses rochers noirs du désert montagnard de l'Alaska apparaissent ainsi d'autant plus majestueux en se détachant du blanc de la neige. Cela rehausse également l'image du monstrueux train noir filant à vive allure sous le ciel blanc.

Jean-Luc Lacuve, le 27 janvier 2022

Source : Vincent Amiel et José Moure, Histoire vagabonde du cinéma. Éditions : Vendémiaire, 2020

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