Gabrielle

2004

Thème : Le couple

D'après Le retour de Joseph Conrad. Avec : Isabelle Huppert (Gabrielle Hervey), Pascal Greggory (Jean Hervey), Claudia Coli (Yvonne), Thierry Hancisse (le rédacteur en chef), Chantal Neuwirth (Madeleine). 1h30.

Jean est fier de sa vie, de l'argent qu'il manie facilement, de sa femme surtout, Gabrielle, avec laquelle il est marié depuis dix ans. Il a une maison où l'on aime venir. Le jeudi, on écoute, regarde, rit, affirme une chose puis son contraire. C'est l'avantage de ce cercle d'habitués, on se connaît si bien. Elans de franchise ou excès de dissimulation, instants de doute, de joie fondée ou infondée, tout s'y côtoie, pour le plaisir des invités et des maîtres de maison. A ces derniers, tout réussit et leur existence est de celles qu'on envie.

Mais soudain, un soir en rentrant Jean remarque une lettre. Gabrielle lui annonce qu'elle est partie. A 19 heures, elle rentre pourtant. Le couple se déchire. Il hésite entre le souci des conventions et la réalité de son amour. Elle n'hésite pas : elle sait qu'il n'y a plus d'amour entre eux depuis longtemps.

Si Chéreau est théâtral, c'est probablement par sa façon de vouloir tout voir en grand. Ainsi porte-t-il à l'écran une petite nouvelle de Conrad (Le retour) de la même façon qu'il mettrait en scène un roman de cet immense écrivain. Ainsi utilise-t-il reconstitution noir et blanc en alternance avec de plus longs passages en couleur. Ainsi le texte vient-il parfois s'incruster à l'écran.. Le théâtre c'est souvent grand : grand texte, grand décor, grands personnages. Le cinéma est nettement plus proche du quotidien, du constat du réel et quand il y a lyrisme c'est par une accélération de l'émotion à partir d'un petit fait qui grossit ou explose.

Chéreau dans Judith Therpauve (habituellement sous estimé) ou Intimité avait su se placer à hauteur du cinéma et avait su être remarquablement théâtral avec ce grand sujet qu'était La reine Margot.

Ici le déséquilibre est patent entre un texte devenu maintenant un peu convenu - les conventions bourgeoises nous ont habitué à ces situations où les couples vivent ensemble sans amour- et la mise en scène de la douleur.

Soit Gabrielle Hervey a raison : il n'y a jamais eu d'amour entre elle et Jean son mari et là on compend mal le scandale qu'il provoque et sa fuite, soit il est réellement redeveu amoureux. On est alors dans la situation décrite par Visconti dans L'innocent. Mais rien dans le jeu de Pascal Grégory ne parvient à nous y faire croire. Sa femme n'est pour lui qu'une blanche statut, à l'image de celles qui encombrent les pièces de sa maison.

Isabelle Huppert est cinglante de vérité, de cruauté de lucidité. Jean se berce d'illusions et de discours. Le rôle des passages en noir et blanc est bien d'accentuer l'artifice, le faux alors que la couleur capte le sang, la vérité de la peau et les déchirements du couple.

Chéreau termine par la couleur : eut-il été honnête avec Gabrielle qu'un retour au noir et blanc se serait imposé.

Jean-Luc Lacuve le 06/10/2005