Intimité

2000

Thème : érotisme

(Intimacy). Avec : Mark Rylance (Jay), Kerry Fox (Claire), Susannah Harker (Susan), Alastair Galbraith (Victor), Philippe Calvario (Ian), Timothy Spall (Andy), Marianne Faithfull (Betty). 2h00.

À Londres, Jay est barman de nuit, il a quitté femme et enfants pour vivre seul dans une maison-taudis. Chaque semaine, le mercredi après-midi, il retrouve là Claire, jeune femme rencontrée par hasard. Elle entre, ils se déshabillent, ont une relation sexuelle intense, restent un moment silencieux côte à côte puis elle repart sans qu’il ne sache rien d’elle. Il sympathise avec Ian, jeune Français homosexuel qui travaille avec lui et devient son confident. Dans sa relation avec Claire, Jay voudrait aller au-delà du rituel érotique, la connaître et l’aimer. Il la suit, découvre qu’elle est mariée à Andy, un chauffeur de taxi, et qu’elle a un fils. Elle donne des cours de théâtre à des amateurs dans le sous-sol d’un pub, où Jay s’introduit discrètement, poussant la curiosité et une certaine cruauté jusqu’à sympathiser avec le mari de Claire.

Un jour, les rôles s’inversent : il la perd de vue dans la rue, elle l’aperçoit et c’est elle qui le suit. Claire comprend qu’elle-même est attirée par Jay mais hésite à tout quitter pour lui, malgré l’exemple de Betty, une élève du cours, femme mûre qui vit seule, malheureuse et pourtant sereine après un grave échec amoureux. Cela pèse sur leurs rendez-vous suivants, d’autant que Jay héberge Victor, un ami paumé et encombrant, et que Andy est au courant de la situation. Jusqu’au jour où, après une rencontre tendue, dont Ian est témoin, Claire annonce qu’elle ne reviendra plus, décision qui les laisse tous deux insatisfaits.

"La séquence d'ouverture entre poussière et désir, banalité et exultation des corps, désespoir et routine, n'est pas seulement l'un des éléments principaux de l'histoire qui nous sera contée. Elle situe précisément le lieu où l'incarnation physique, la rigueur élégante de la mise en scène et le respect de la réalité trouvent leur point d'équilibre. Claire et Jay, amants absolus, quasi muets, entièrement définis par cette relation intense où tout se joue au-delà ou en deçà des rapports humains, faisant d'eux un couple de légende, sinon de mythe. Et il y a la vie, le réel, le social, le travail, la famille, le langage, la culture, le passé et l'avenir. Autour de Claire et Jay, ce tissu se déploie à l'infini et ses fils viennent encercler, fissurer le noyau "naturel" qu'ont formé l'homme et la femme.

Intimité observe au contraire avec beaucoup d'amour le travail de Jay dans un bar, le mari chauffeur de taxi de Claire et son fils, les relations de chacun d'eux avec ceux qui tiennent ici la place de confidents, le serveur et le copain parasite de Jay, la dame (Marianne Faithfull, méconnaissable, formidable) qui suit opiniâtrement les cours d'art dramatique de quartier que donne Claire.

Puisque le théâtre, avec Chéreau on n'y échappe pas, est bien là. Pas du tout la théâtralité de la mise en scène : la manière de filmer les corps et les visages, de capter les voix et de leur donner des échos sonores (la bande originale est magique), de filmer les rues, les couleurs et les lumières de la ville, les intérieurs de bistrot ou de voiture, est d'une beauté qui doit tout aux vertus du cinéma, et rien à celles de la scène. De même que c'est avec ces armes-là que Patrice Chéreau rend – à nouveau – magnifiquement justice aux acteurs, qu'ils viennent eux aussi du théâtre comme Mark Rylance (patron du Shakespeare Globe à Londres) ou du cinéma (comme Kerry Fox, découverte en 1990 grâce au merveilleux Un ange à ma table, de Jane Campion).

Non, ce qui est en en jeu, c'est la place même du théâtre, la possibilité de ritualiser une activité en la séparant du flux du quotidien. Claire se rend à jour fixe chez Jay pour faire l'amour comme elle monte à heure fixe sur la scène d'un théâtre minable au sous-sol d'un pub, auquel fait écho le sous-sol crasseux du pavillon de Jay. Ici comme là elle accomplit un cérémonial, dans l'espoir de donner une dimension de plus à une existence qu'elle ne veut aucunement renier. Et, dans le regard clair et doux de Patrice Chéreau sur ce monde si proche, si réel, une note vibre, un sourire passe. "

Extraits de la critique de Jean-Michel Frodon Le Monde du mercredi 28 mars 2001