Du 4 au 10 octobre 2010

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Compte-rendu quotidien par
Justine Lévêque

Correspondante du site à Lyon

UN FESTIVAL DE CINEMA POUR TOUS

Pas de compétition, pas de territoire revendiqué (à l'image de Deauville, Nantes ou encore Gerardmer, pour ne citer qu'eux), pas d'avant - premières françaises (à l'exception de A letter to Elia de Martin Scorcese et Kent Jones, documentaire en hommage au cinéaste Elia Kazan) : ces quelques mots suffisent à provoquer la surprise :

Quel est donc ce festival? Quel est le profil de ce jeune et pourtant déjà robuste événement ?

Cette seconde édition du Grand Lyon Film Festival, dans une volonté d'unicité et sans aucun doute de distinction recherchée, revendique son choix de programmation comme un regard sur le cinéma d'hier présenté par les acteurs d'aujourd'hui. Inutile d'attendre la séance d'ouverture du 4 octobre pour rendre compte du fulgurant succès du bébé de l'Institut Lumière. Presque 200 séances programmées, pas loin de 80 films re-présentés, plus de dix catégories distinctes, et un nombre conséquent de séances déjà complètes une semaine avant l'ouverture de ce ballet cinématographique ! Faire valoir d'une pérennisation certaine, d'un avenir indéniablement prometteur.

Le public aime à rencontrer des personnalités, les voir et s'en approcher… on le sait et on l'exploite. En effet, une des forces notable du festival se veut être la présence d'acteurs de la vie culturelle présentant la séance. De cette façon, acteur, critique, ou bien comique se mettent à hauteur du public, disons comme spectateur.

Outre cette caractéristique de taille, le succès tombe rarement du ciel et les moyens de communication mis en œuvre depuis cet été exercent une corrélation évidente. Kakémonos sur chaque poteau, stations de métro bombardées du doux visage de Claudia Cardinale, affiches, programmes, allant jusqu'à l'impression de tickets de métro spécialement pour l'événement. Aucune ville voisine, aucun arrondissement ne sont oubliés, le site Grand Lyon résonne sous les traits du Guépard, la ville des Frères Lumières hisse le drapeau du grand cinéma mondial pour 6 jours intenses d'éblouissement et de rencontres.


Ouverture : Chantons sous la pluie de Stanley Donen et Gene Kelly
la séance d'ouverture en présence de Stanley Donen affichait complet depuis bientôt un mois…

C'est sur une double note d'admiration et d'émotion que débute l'événement, un hommage à deux fils du cinéma français récemment disparus, Alain Corneau et Claude Chabrol sous forme de projection de deux courtes vidéos. Une question posée en hors champ : Pourquoi ont-ils décidé de faire du cinéma ?

Est-ce un hasard si la vidéo de Claude Chabrol se termine sur une vision vénale du réalisateur lui-même : "De toutes façons, c'est une affaire de pognon" ? Peut-être pas. Thierry Frémaux, directeur de l'Institut Lumière, ne fait que mettre en exergue (inconsciemment ?) une réalité. Amour et Passion ne suffisent malheureusement pas pour que vivent et survivent de si beaux moments culturels, voire même patrimoniaux, pour qu'existe l'une des ambitions premières du cinéma : "une affaire de mémoire et de souvenirs. Que cet art cherche avant tout à lutter contre la mort des êtres qui nous sont chers, le festival leur est dédié. "

Une promesse tenue, un gage d'avenir, une déclaration d'amour faite au cinéma. Quelques mots pour mettre en lumière l'essence même de cette soirée, passé - présent, futur réunis en un non-temps. Les jointures s'effacent, les frontières temporelles se brisent, spectateurs et invités de renom se rejoignent dans un même espace, intemporel, qu'est celui du cinéma.

Eblouissement visuel et sonore. La copie restaurée de Chantons sous la pluie, dont le choix de programmation se veut en lien avec la clôture de la biennale de la danse de Lyon, donne au film une dimension rarement atteinte, un rêve éveillé, un parcours sonore aux couleurs époustouflantes. Précisons, dans une visée non exclusivement anecdotique, que Stanley Donen, 86 ans, s'inquiétait davantage de la qualité du son que de celle de l'image c'est pour dire l'importance d'antan de cette oeuvre au niveau des recherches du son au cinéma.

 

MARDI 5 OCTOBRE

C'est au Comoedia, grand cinéma d'Art et d'Essai lyonnais et scène incontournable du festival que se déroula cette première journée. 3 projections, 3 découvertes au grès des images et des époques.

Les damnés (Luchino Visconti, 1969)

C'est une salle comble (292 places), émue, étonnée et charmée qui fit une véritable ovation à la venue surprise de Helmut Berger (Ludwig ou le crépuscule des dieux), acteur autrichien de 66 ans, personnage central du film et de son succès. Quelques touches d'humour ("on a restauré le film et pas moi "), de vérité (" je déteste les festivals, surtout Cannes, c'est pour les Américains"), de souvenirs (" Je reçu un coup de fil de Marlene Dietrich me dévoilant son admiration pour la scène ou je reprends LOLA LOLA De L'Ange bleu") et de regrets ("si seulement Luchino pouvait être présent") figèrent la salle en un instant unique, d'une grande force émotionnelle.

C'est dans un contexte de terrorisme en Italie, que Visconti nous plonge au cœur de l'Allemagne de 1933 avec Les Damnès. Nul besoin de chercher une explication approfondie renvoyant à la signification du titre, il parle de lui-même et désigne le film dans sa splendeur et sa perversité. Les choix formels, les éléments de la mise en scène, le cadrage et la lumière pointent du doigt cette famille s'anéantissant au nom d'une quête intarissable de pouvoir et d'argent. Ce microcosme métaphorise un macrocosme marqué par la montée du nazisme. Une famille à l'image du pays où viols, meurtres et inceste sont permis et excusés puisque perpétrés par des nazis. Les diverses successions de gros plans, le rapprochement sur un visage comme par un mouvement de zoom a, suggère Deleuze, " le pouvoir d'arracher l'image aux coordonnées spatio-temporelles pour faire surgir l'affect en tant qu'exprimé. " En effet, de ces visages ainsi mis en lumière ressort la crainte, l'horreur voire même la monstruosité de leur âme. Ne dit-on pas communément que les yeux sont le miroir de l'âme ? Le regard ainsi positionné au centre de l'écran semble justifier en images la véracité de ce dicton. Certaines scènes, pédophile ou incestueuse (sans tomber dans un voyeurisme pervers et déplacé), peuvent gêner voire choquer le public, mais c'est pourtant la décadence et la cruauté qui sont ici mises au pied du mur. Une authentique dénonciation de la perversion, un pamphlet sur les abus du pouvoir, un regard sur le devenir monstre de l'être humain.

 

Au feu les pompiers ! (Milos Forman. 1965)

Aucune présentation de faite, le film est envoyé et c'est parti. Suite à une séance forte en émotions, qu'elles soient humaines ou cinématographiques, on en vient d'emblée à éprouver un profond regret à ce que chaque projection ne soit pas introduite ne serait-ce par un membre de l'organisation du festival. Le spectateur a besoin d'un accompagnement souvent recherché sur un tel événement, il se sent désormais seul et c'est bien regrettable.

Premier élément à prendre en compte, instance de charme : le public. Une salle non remplie de personnes âgées éclatant de rire devant les pitreries des anciens pompiers tchèques, c'est quelque chose. L'horaire étant un facteur à prendre en compte, il en est également de la thématique et de l'époque du film.

Troisième et dernier volet de sa période tchécoslovaque (L'as de pique, Les amours d'une blonde), avant son émigration forcé aux Etats-Unis durant la répression du printemps de Prague, Au feu les pompiers ! fait parti de ces films dont l'humour, le comique de situation à la limite du burlesque recouvrent la toile de fond : une indéniable satire sociale. Une fable de la fontaine des temps modernes en quelques sortes. Outre une succession excessive de scènes susdites comiques à leur insu, un temps fort, silencieux, recentre le film et ses objectifs. Une maison voisine en feu, la population en fête sortant des lieux pour venir aider et admirer le brasier. Au cours de cette contemplation symbolique et métaphorique c'est leur histoire qu'ils voient s'envoler en fumée, le chancellement des flammes soulignant un avenir incertain, une non - promesse d'avenir.

Ténèbres (Dario Argento. 1982)

Dario Argento timide, puis conquis par le présentation de Betrand Bonello et la ferveur de son public

Projection présentée par Bertrand Bonello, en présence de Dario Argento. C'est un hommage, un témoignage d'amour et d'admiration que rendit Bonello au réalisateur transalpin avant son entrée en scène. Se positionnant à hauteur de public, de spectateur, c'est Bonello adorateur et cinéphile qui rendit grâce à Dario Argento. "A chaque fois que je fais un film je me demande comment Dario l'aurait fait " ; Profondément marqué par ce premier amour cinématographique, Bonello avoue ses emprunts, aspirations (bien que toujours remaniées dans son propre style) allant jusqu'à travailler avec Asia Argento (De la guerre) dans le but premier (mais bien entendu non exclusif) de se rapprocher de son père. Trop peu reconnu du grand public, Bonello pointa du doigt une caractéristique fondamentale de son cinéma susnommé "cinéma de la réconciliation", à mis chemin entre le cinéma moderne et le cinéma de genre, entre l'intelligible et le sensible, entre le noble et le trivial. Avec une ingéniosité vertigineuse, Argento nous prouve que l'hybridation a eu lieu. Il est une exigence, une recherche, une attente du cinéma, et ce que Argento nous procure, nous ne le décelons nul part ailleurs.
C'est une salle comble, à croire que c'est une habitude du festival, qui accueillit ce maestro de l'horreur, ce magicien de la peur. Une foule venue délecter la première nationale de Ténébres en VOST. Entre anecdotes sur les origines de l'œuvre et remerciements sincères envers un pays l'ayant toujours soutenu, c'est un personnage d'une grande simplicité, timide voire même intimidé qui pris place au sein des spectateurs pour partager cette projection. De l'obscurité de ses films jaillit une lumière irréfragable dont l'éclat nous subjugua, figeant cette séance en un instant d'une rare intensité sensorielle. Une mise en lumière d'un talent, d'un homme.

Suite au succès incontournable des deux premiers volets de sa trilogie des "Trois mères " (Suspiria et Inferno), Ténèbres marque le retour de Dario Argento au giallo (L'oiseau au plumage de cristal, un chat à neuf queues), s'éloignant de ce fait des forces occultes pour se rapprocher davantage de la réalité. Tueur ganté et masqué dont l'identité ne sera révélée qu'à la fin, préférence marquée pour l'arme blanche, des meurtres sadiques, la reprise d'un certain nombre de codes propre à ce style typiquement italien est ce que nous espérions et les effets sur le spectateur ne se font pas attendre. Avec ce film, il dépasse magnifiquement la tradition d'associer l'ombre et la peur. C'est au cœur de la lumière, de bâtiments blancs d'une grande modernité que se déroule l'action. Chez Argento, le cinéma est une expérience perpétuelle au cœur de laquelle le cinéaste tente incessamment de creuser l'image en profondeur, d'épuiser les espaces, d'exalter nos sens par un travail sans relâche sur les formes, les couleurs, la lumière et le son.

 

MERCREDI 6 OCTOBRE

Le tambour (Volker Schondorff- 1979)

Indéniablement, la force du festival est de donner une possibilité attendue, de redonner un accès à de grandes œuvres cinématographiques. Dans une volonté, selon Bertrand Tavernier (président de l'Institut Lumière) , de lutter "contre la dictature du présent", cet événèment met en lumière et nous en avons la preuve par ces séances pour la plupart remplies et mais jamais presque vide (Les trois quarts des sièges étant occupés sur chaque séance), qu'il n'est actuellement nullement question d'une table rase du passé.
Le visionnage de la copie restaurée version director's cut inédite du Tambour, probablement l'un des films les plus récompensés de l'histoire du cinéma allemand (palme d'or à Cannes en 1979 ex-aequo avec Apocalypse Now de Francis Ford Coppola et oscar du meilleur film étranger en 1980), trouve sa place parmi ces grands moments de cinéma où nous sommes immergés d'un sentiment d'unicité, il se passe quelque chose et nous sommes là à le vivre dans une salle presque comble un mercredi à 14h30.
"C'est d'abord un film réaliste, profondément plongé dans la petite bourgeoisie de Dantzig, avec ses mesquineries, ses terreurs, ses rêves, et avec parfois même une certaine grandeur. C'est aussi un film fantastique et barbare, où des éclairs de lumière noire transpercent tout à coup les rues de banlieue, les petits commerces, la monotonie, la vie quotidienne." (Jean-Claude Carrière, co-scénariste du film)

Les fantômes de Goya (Milos Forman- 2005)

Quiconque entre dans la salle dans le but unique d’assister à un biopic sur la vie de Goya en ressortira déçu. Ses allures initiales de biographie font bien entendu songer (espérer même) au puissant Amadeus, mais il n’en sera rien. C’est d’un regard sur l’histoire dont il s’agit, d’un regard sur une Espagne meurtrie par l’Inquisition et les multiples conflits, entre mensonges, tromperies et quête de pouvoir. Il ne semblerait sans doute pas exagéré de supposer que Forman porte un regard sur ce pays comme pour parler de la Tchécoslovaquie, son pays natal. Une question se pose, pourquoi ce titre ? Débutant sur l’observation des Caprices de Goya, recueil de gravures signé de la main de l’artiste où sont dénoncées la société et ses différentes instances ; l’église durcit ses règles posant une main de fer (ou de feu) sur l’Espagne : une véritable chasse aux sorcières à l’encontre des susdits hérétiques s’empare du pays. Le rôle de Goya ? Le personnage tout autant que sa peinture auront pour double dessein d’être agent de la mise en scène et de sa composition (en effet nombreuses scènes renvoient à ses propres tableaux) et intermédiaire permanent entre deux puissances s’affrontant et ce quelque soit l’époque invoquée.
Aparté. Il serait d’un intérêt louable et fructueux de rapprocher ou justement de distinguer de cette œuvre celle de Carlos Saura (Goya, 1999) au travers de laquelle il est indéniablement question de l’artiste, un tableau vivant où l’histoire se résulte à une toile de fond.

Pour rappel, eut lieu aux palais des beaux arts de Lille, une exceptionnelle exposition des Caprices de Goya en 2008. Un parcours nous menant aux relectures faites par nos artistes contemporains. A voir, le travail de l’artiste japonaise Morimura.

Le village du cinéma

Marjane Satrapi
Dario Argento

Le rendez-vous des cinéphiles

Pour l'occasion, l'Institut Lumière installa dans ses jardins un lieu de vie dédié au septième art. Des centaines de livres et de DVD sont mis en vente pour l'occasion, on fourmille de désirs, à la recherche de la perle rare. Une observation de plus d'une heure, et nous constatons que ce lieu est une ode au cinéma et à ses différents supports : l'exception consiste à repartir les mains vides. Des DVD en avants - premières françaises, des rééditions inédites, des prix largement abordables, une petite cinémathèque française ici à Lyon. On annonce la venue de Dario Argento et, en quelques minutes, les DVD du cinéaste seront dévalisés (avec une préférence marquée pour Suspiria) et il en sera de même pour les ouvrages de Marjane Satrapi.


Rencontre avec les artistes

Puisque tout est discutable, nous pourrions porter un regard critique sur cette susdite rencontre artistique, du moins, certains le feront. Il n'est cependant pas seulement question d'une signature griffonnée sur un dvd ou un livre. Nous sommes face, non pas à un fétichisme désagréable, mais simplement (dans la plupart des cas) à un témoignage d'amour et de ravissement de la part d'un public dont tout artiste a besoin. En face de celui-ci, un besoin probable de la part du public de posséder la signature de celui ou celle qui nous a tant fasciné par ses œuvres. Accolades amicales, photographies, quelques mots échangés, c'est ça aussi la beauté d'un festival ou du moins la richesse dont rendent comptes certains artistes : une grande simplicité, qui illumina une nouvelle fois Dario Argento. Croiserons également notre chemin Françoise Fabian, Jean Louis Trintignant ou encore Bertrand Tavernier.

Jeudi 7 Octobre

Thierry Frémaux et Laurent Gerrat présentent Larry Flint

Larry Flynt (Milos Forman- 1996)

Séance présentée par Laurent Gerra et Thierry Frémaux. La présence du comique, cinéphile et ami du festival, se traduit comme une volonté de transmettre un message, tel un spectateur lambda bavardant au sujet d’un film apprécié.

Avec Larry Flynt (ours d’or de la Berlinale - 1997), œuvre sur la vie scandaleuse du créateur de Hustler, débute ce que nous nous permettrons d’intituler « sa trilogie biographique ». S’en suivra Man on the moon (1999) inspiré de la vie du comique américain Andy Kaufman puis Les fantômes de Goya (2006). Bien que l’intention de l’artiste se voulait d’être une biographie sur la vie du peintre, l’œuvre se verra finalement largement orientée sur les moments clés de l’histoire de l’Espagne.
Fer de lance d’une histoire du cinéma Tchèque (L’as de pique, Les amours d’une blonde, Au feu les pompiers !), Milos Forman, satirique et subversif, se rangera du côté des artistes antagoniques aux productions communistes avant son émigration forcée aux Etats-Unis durant le printemps de Prague en 1968.
L’américanisation progressive de sa filmographie ne se résuma pas pour autant au devenir hollywoodien de son cinéma. Analogue au parcours de Roman Polanski, ses thèmes et aspirations persistent en toile de fond. Pour ce qui est de la comparaison avec le réalisateur polonais, il apparaît prégnant de porter un regard sur son parcours, depuis Le couteau dans l’eau à The Ghost Writer, de percevoir la récurrence de certains motifs, comme une intégrité préservée.
Et comment ne pas définir Larry Flynt autrement que par une puissante satire sociale ? Son goût prononcé pour la provocation déferla la chronique, une mise à mal de l’Amérique puritaine et de ses têtes pensantes, une ode à la liberté d’expression.

Le dossier 51 (Michel Deville- 1978)
(Prix Méliès 1978, César du meilleur scénario et du meilleur montage en 1979)

Pour comprendre une œuvre, l’apprécier davantage, n’y a-t-il pas meilleur rencontre que celle du réalisateur pré ou post visionnement ? L’introduction faite par Michel Deville en personne, en toute humilité, de cette œuvre « anormale » (surtout pour l’époque), fut un instant d’une grande richesse où la beauté du cinéma, comme une puissante énergie, circula de spectateurs en spectateurs comme pour l’emplir de son essence même. Adaptation d’un livre homonyme de Gilles Perrault (qui sera par ailleurs le scénariste du film), Deville s’attarda davantage sur ce dernier nous laissant pénétrer avec crainte, interrogations et hâte au sein de ce film, où les êtres portent un numéro, ici est ouvert le dossier du numéro 51, ovni du cinéma français.


Quelques mots, quelques pistes. Le mystère sera néanmoins respecté. Pour quelles raisons ? Simplement puisqu’il est d’un intérêt particulier de voir ce film, sans nécessairement l’apprécier mais le découvrir tant pour son extrême modernité que pour les questions soulevées.


Indubitablement, cette œuvre pose des questions de cinéma, des questions au cinéma. La place et le rôle du spectateur institué comme voyeur et espion, le statut de la caméra subjective (dont on connaît de nos jours une surenchère presque abusive), la corrélation entre photographie et cinéma et cette idée de Blanchot, cité par Raymond Bellour dans l’Entre-images, que l’arrêt est aussi un moyen de suspendre la mort, de rendre la vie et ce dans un temps indéterminé. En s’attardant sur ce qui n’est plus, un proche décédé, une relation terminée, c’est la vérité que l’on tente d’atteindre. Il y aurait donc au sein d’une enquête policière la question de la mémoire, celle d’une famille, sous forme de souvenirs contées ou de photographies, un plongeon dans le passé d’un homme, allers-retours permanents entre passé et présent pour agir sur le futur, le contrôler.

 

VENDREDI 8 OCTOBRE

Légitime Violence (Rolling Thunder- John Flynn- 1977)

Catégorie rareté US des années 70'. Et justement, le charme et l'attractivité suscités par cette section se ressentent également au travers de la qualité des copies, nous plongeant immédiatement dans l'ambiance de l'époque. Corrélation donc entre l'intitulé et le résultat. Introduit par l'écrivain et journaliste Philippe Garnier, nous est présenté "un film maudit", jugé en ce temps comme "fasciste" et "infilmable". Réalisateur peu connu de la scène française et internationale, Garnier considère son cinéma comme "bien trop sous-estimé ". De plus, à en croire les divers écrits, l'imminente popularité que connut le film fut souvent attribuée au scénariste Paul Schrader, dont la célébrité explosa un an auparavant grâce au scénario de Taxi Driver.

Il n'est pas question d'un film de guerre, mais d'un film sur l'après-guerre et ses conséquences sur l'état psychologique des hommes. Ici, après avoir été sept ans durant prisonniers de guerre au Vietnam. Bien que l'histoire puisse être jugée comme banale en apparence, elle révèle néanmoins une puissante toile de fond. La force est dans l'invisible, dans la profondeur de l'écran et de ses êtres socialement et psychiquement morts.

Prégnante anecdote. Légitime Violence fait parti des 10 films préférés de Quentin Tarantino. Ce dernier créa en 1995, une compagnie de distribution, The Rolling Thunder Pictures (RTP, en référence au film de Flynn, c'est pour dire l'impact qu'il eût sur ce grand cinéphile qu'est Tarantino) dont le but initial fut de ressortir sur les écrans des films indépendants n'ayant pas eu le succès escompté (tels que Sonatine de Takeshi Kitano). Dessein similaire, en quelques sortes, à celui du festival avec ces raretés US.

Helsinki, Forever (Peter Von Bagh- 2008).

Programmateur de la cinémathèque de Finlande, directeur artistique de deux festivals (Finlande et Bologne), enseignant à l'université des arts d'Helsinki, auteur de nombreux ouvrages et articles, membre du jury de Cannes en 2004 (palme d'or remise à Michael Moore pour Farenheit 9/11) et réalisateur de divers téléfilms et documentaires, Peter Von Bagh nous apparaît comme un éminent historien du cinéma, quelque peu "touche à tout", facteur d'une légitimité certaine.

Documentaire de création sur la Finlande ; un siècle nous est conté au gré des images et de la musique. Poème personnel d'un homme amoureux du montage dont la subtilité est telle que la distinction entre images cinématographiques et images d'archives apparaît par moment ambiguë. Un entrelacement habile entre deux régimes d'images naît donc sous nos yeux. Le réalisateur intégra en effet des extraits de films comme pour relater d'histoire de son pays. Fait revendiqué par l'auteur en personne (présent lors de la projection) pour souligner " la vérité de la fiction et le mensonge du documentaire ". Le choix des morceaux filmiques n'est certainement pas anodin. Le choix de " mauvais films, du moins non intellectuels " se voulait être un moyen de se rapprocher de la réalité de tous, de situations communes. Cette œuvre d'un documentaliste cinéphile souligne l'importance du cinéma pour l'écriture nationale, un médium miroir d'un pays et de son histoire.
" Nous ne vivons pas seulement dans le présent. Le passé avec tous ses souvenirs, événements et expériences vit en nous. Souvent le passé est plus puissant que le présent. " Ce commentaire en voix-off situe et recentre l'intention du film. Il est question de mémoire, de préservation, d'un regard sur le temps qui passe depuis le présent de sa réalisation et du futur de la projection. Le présent ne peut vivre sans le passé lequel ne peut survivre sans le présent. Une œuvre intemporelle qui trouve sa place, déclara Chris Marker, parmi " les grands poèmes urbains ".

LA PLATEFORME DU FESTIVAL


Est installée sur le Rhône la plateforme du festival, ouverte à tous, pour que se prolongent jusque 3h du matin les discussions, découvertes et surprises des cinéphiles et public festivalier. Comment ne pas se laisser envouter à l'idée de boire un verre, bercé par le vent et les tumultes du fleuve, suite à l'expérience cinématographique que nous venons de vivre avec Milos Forman, Dario Argento ou encore Luchino Visconti ? En outre, soyons honnête, l'idée d'approcher une des personnalités invitées est également un facteur clé. En somme, un incontestable atout du festival.

SAMEDI 9 OCTOBRE


A letter to Elia (Martin Scorcese et Kent Jones - 2010)

Présenté en avant-première française à Lyon en présence de Michel Ciment (critique et écrivain de cinéma), le film fut projeté en première mondiale à la 67ème Mostra de Venise il y a un mois.

A letter to Elia ou une déclaration d'amour posthume à Kazan. En utilisant comme matière première de son discours, les œuvres cinématographiques (principalement A l'est d'Eden, le fleuve sauvage et un tramway nommé désir) de son maître, en expliquant en voix-off l'impact qu'eût telle séquence, tel dialogue sur son existence, c'est au sein de sa propre intimité que l'auteur nous mène. De Kazan à Scorcese, ou de Scorcese à Kazan, c'est de survivance dont il semble être question : de la mémoire, du passé, de l'admiration d'un fils envers son père spirituel. Comme un devoir de mémoire, de témoignage de sa propre histoire, avant qu'il ne soit trop tard peut-être. C'est un documentaire classique, intimiste, voire même d'archive qui se déroule sous nos yeux et dont la force maîtresse qui l'a guidé tout autant qu'elle nous guide est l'amour modeste, sans relâche pour les œuvres de Kazan. Pourquoi ce film maintenant ? Pourquoi ne l'avoir jamais avoué? C'est entre lui et les films de Kazan nous répondra-t-il. Ce parcours au gré des films et des photographies se conclut par un ultime regard - caméra comme un regard droit dans les yeux de Kazan. L'intimité dans laquelle nous venant d'être plonger ne peut que nous inciter à nous immerger à notre tour dans la filmographie kazanienne.

Projection en présence
d'Emmanuelle Devos et Xavier Giannoli
Une rencontre avec Bertrand Tavernier
au cours de sa séance de dédicaces.


REMISE DU PRIX LUMIERE A MILOS FORMAN
4h de pure délectation

Une petit Cannes

L'événement le plus attendu de la semaine arrive enfin. Après Clint Eastwood en 2009, c'est à Milos Forman de recevoir ce précieux prix Lumière. Etaient présents pour lui rendre hommage : Bertrand tavernier, Dominique Blanc, Emannuelle Devos, Xavier Giannoli, Julie Ferrier, Luc Jacquet, Xavier Dolan, Atom Egoyan, Laurent Gerra, Matteo Garrone, Souleyman Cissé, Tonie Marshall…

   

Amadeus Director's cut (Milos Forman - 1984),Une symphonie visuelle

Après quelques problèmes techniques qui nous furent patienter 30 minutes, le sublime vint à notre rencontre et ce à l'unanimité. Et les conditions y sont pour quelque chose : une version originale sous-titrée, un écran colossal, une qualité d'image inégalable. C'est une foule de plus de 1 500 admirateurs et de curieux qui emplit l'amphithéâtre du palais du Congrès de Lyon pour plus de 3h de projection qui passèrent en un instant. Et voilà une belle leçon de cinéma donnée au standard américain de 1h30. Avec ce chef-œuvre sur la vie de Mozart adapté de la pièce de théâtre éponyme de Peter Schaffer, Milos Forman, pour la première fois de sa carrière, se plongea dans une autre époque où costumes somptueux côtoient les rues viennoises du XVIIIème siècle. Mais enfreint-il pour autant son cinéma ? Certainement pas. C'est un hymne à la liberté, une ode à la musique que signe Milos Forman couronné d'une reconnaissance internationale (8 oscars, 5 golden Globes, et césar du meilleur film étranger). Authentique expérience esthétique et sensorielle, Forman compose son œuvre tel un opéra, corrélant sentiments et musique, faisant coexister deux époques, deux arts, Mozart et Forman.


From Tavernier To Forman

C'est avec émotion que Bertrand Tavernier se rendit sur scène, secondé par tous les réalisateurs présents, pour rendre hommage à Milos Forman assis au milieu de la salle. "Aucune scène dans l'histoire du cinéma ne m'a autant touché que celle où Mozart est mourant". "Aujourd'hui, il y a trop de films débiles et quand on regarde l'œuvre de Milos Forman, on y voit des films intelligents, qui parlent de liberté et je dirais même que ceux sont des films libres". Toute est là, résumé en une phrase, en un mot même, liberté. Les larmes aux yeux, le cinéaste rejoignit la scène pour recevoir des mains de Dominique Blanc et Emmanuelle Devos le prix. " C'est une fierté pour moi de recevoir ce prix avec écrit Lumière puisque tout part de là, d'ici et c'est extrêmement important"

 

 

DIMANCHE 10 OCTOBRE

Taking off (Milos Forman - 1971, rand prix spécial du jury Cannes 1971)

Fraîchement débarqué sur le nouveau continent, Milos Forman nous livre une comédie sur les jeunes hippies fugueurs, son premier film depuis sa " trilogie tchèque ". Et quelle comédie ! Une salle riant aux éclats dès 11h du matin ! Une originalité de taille caractérise son film et l'individualise. En effet, prenant comme pied d'accroche la fugue de la jeune Jeannie c'est sur les parents de cette dernière que le cinéaste porte son intérêt. Des scènes devenues mythiques, de grands moments de comique de situation ponctués par des inserts d'auditions musicales de jeunes filles dont les paroles corrèlent avec l'action. Efficace, puissant et divertissant, trio sortant du cinéma de Milos Forman.
Qu'il s'agisse de son cinéma indépendant à petit budget ou de productions plus importantes telles que Larry Flynt ou Man on the moon, Milos Forman, de par son cinéma, vient répondre à l'une des questions cruciales du festival : est-il exclusivement élitiste et réservé à un public de cinéphiles avertis ? Les salles remplies, l'engouement général voire même l'ovation unanime met en lumière la réussite du festival et fournit une réponse en conséquence : un cinéma, un festival pour tous. Seulement, permettons-nous d'émettre des réserves quant à la non cinéphilie du public de Visconti ou de Raymond Bernard.

SEANCE DE CLOTURE
En présence de Claudia Cardinale


Plus de 3500 personnes se rendirent à la Halle Tony Garnier (salle de concerts) pour achever ce festival sur des notes Viscontiennes. Ayant immergé la ville durant plusieurs mois, le Guépard, comme par un effet magnétique, attira un auditoire toutes générations confondues. Quel délice de voir toutes ces sièges, si inconfortables soient-ils, occupés pour assister à la projection d'un film qui soufflera bientôt ses 50 bougies.


Deux courts films nous sont au préalable projetés. Un premier, teinté de nostalgie, combinant des extraits des films présentés durant la semaine puis un second en hommage à Claudia Cardinale et retraçant sa carrière cinématographique en images. Quelques mots de Thierry Frémaux et de Bertrand Tavernier, un remerciement aux bénévoles, et le film peut débuter. A l'égal de Amadeus director's cut, c'est une époustouflante fresque qui défile sous nos yeux dont la copie restaurée fait éclater les couleurs, les mouvements, les formes, jusqu'à la larme finale de Burt Lancaster.


Une séance malheureusement clôturée bien trop furtivement. 3h de projection, les lumières se rallument, il est temps de quitter les lieux, nul mot rajouté.

Gérard Collombe, maire de Lyon, formula les mots magiques tant attendus, on enchaîne sur une troisième édition, à l'année prochaine. Espérons néanmoins qu'un système de pass et de tarifs étudiants sera mis en place (bien que 5 euros la séance puisse sembler un prix peu élévée à côté de ceux pratiqués habituellement dans les cinémas), le public n'en sera que plus varié et les séances combles. Brièvement, c'est de réussite et de promesse dont nous pouvons parler au terme de cette semaine festivalière. Un public au rendez-vous, de nombreux invités de renom et accessibles, un amour pour le cinéma planant sur toute la ville.

Justine Lévêque.

 

 

Programme du festival

Prix Lumière : Milos Forman

Documentaires:

Le cinéma de Luchino Visconti

Documentaire : Luchino Visconti, le chemin de la recherche de Giorgio Treves (2010, 53min)

Le cinéma français oublié : Raymond Bernard

Best of restaurations 2010

• Confucius de Fei Mu (Confucius, 1940, 1h36)
La 317e section de Pierre Schoendoerffer (1965, 1h38)
Justin de Marseille de Maurice Tourneur (1934, 1h35)
Fellini Roma de Federico Fellini (Roma, 1972, 2h08)
Boudu sauvé des eaux de Jean Renoir (1932, 1h25)
Psychose d’Alfred Hitchcock (Psycho, 1960, 1h49)
Mes chers amis de Mario Monicelli (Amici miei, 1975, 1h56)
Le Tambour de Volker Schlöndorff (Die Blechtrommel, 1979, 2h22)

Déjà classiques !

• Z de Costa Gavras (1969, 2h07)
• Les Valseuses de Bertrand Blier (1974, 1h57)
• La Bonne année de Claude Lelouch (1973, 1h55)
• La Vie de château de Jean-Paul Rappeneau (1965, 1h32)
• Le Dossier 51 de Michel Deville (1978, 1h48)

De retour sur les écrans !

• La Classe ouvrière va au paradis d’Elio Petri (La classe operaia va in paradiso, 1971, 2h05)
• Lenny de Bob Fosse (Lenny, 1974, 1h51)
Chasse à l'homme de Fritz Lang (Man Hunt, 1941, 1h45)
• Le Voyage fantastique de Richard Fleischer (Fantastic Voyage, 1966, 1h40)
Rosemary's Baby de Roman Polanski (Rosemary's Baby, 1968, 2h16)

Profondo rosso : le cinéma de Dario Argento

• L’Oiseau au plumage de cristal (L’uccello dalle piume di cristallo, 1970, 1h32)
• Le Chat à neuf queues (Il gatto a nove code, 1971, 1h52)
• Suspiria (Suspiria, 1977, 1h38)
• Ténèbres (Tenebrae, 1982, 1h41)
• Phenomena (Phenomena, 1985, 1h50)

Raretés US des années 70’

• Five Easy Pieces de Bob Rafelson (Five Easy Pieces, 1970, 1h38)
Point limite zéro de Richard C. Sarafian (Vanishing Point, 1971, 1h39)
• Cisco Pike de Bill L. Norton (Cisco Pike, 1972, 1h35)
• The Heartbreak Kid d’Elaine May (The Heartbreak Kid, 1972, 1h46)
• Légitime violence de John Flynn (Rolling Thunder, 1977, 1h35)
• Le Merdier de Ted Post (Go Tell the Spartans, 1978, 1h54)
• Mélodie pour un tueur de James Toback (Fingers, 1978, 1h30)


Evénements et hommages

• Nuit de la comédie américaine
- The Big Lebowski de Joel et Ethan Coen (The Big Lebowski, 1998, 1h57)
- Un jour sans fin de Harold Ramis (Groundhog Day, 1993, 1h43)
- Elle de Blake Edwards (Ten, 1979, 2h)
- Tonnerre sous les tropiques de Ben Stiller (Tropic Thunder, 2008, 1h48)
• Invitation à Jean-Louis Trintignant - Une journée bien remplie de Jean-Louis Trintignant (1972, 1h27)
• A tribute to Anthony Quinn - Zorba le Grec de Michael Cacoyannis (Zorbas the Greek, 1964, 2h22)
• Gaumont passionnément – 115 ans de Gaumont - French Cancan de Jean Renoir (1954, 1h37) précédé de Gaumont passionnément de Pierre Philippe (2010, 48min)
• Invitation à Peter von Bagh Helsinki, Forever de Peter von Bagh (Helsinki, ikuisesti, 2008, 1h15)
• Invitation à Jim Harrison, La Soif du mal d’Orson Welles (Touch of Evil, 1958, 1h35) + The Practice of the wild de John J. Healey
• Mon festival à moi - spécial jeune public - Le Roi et l’oiseau de Paul Grimault (1980, 1h23)
• A letter to Elia de Martin Scorsese, Kent Jones (2010, 1h)


Sublimes moments du muet

Evénement du muet : à l'occasion de la sortie du coffret DVD et Blu-ray chez Carlotta, trois chefs d’œuvres de Frank Borzage visibles sur grand écran avec accompagnement musical, en présence d'Hervé Dumont, auteur de Frank Borzage Sarastro à Hollywood :

 


Les documentaires cinéma à la Villa Lumière (entrée libre)

• Luchino Visconti, le chemin de la recherche de Giorgio Treves (2006, 53min)
• Milos Forman, années 60 de Luc Lagier (2010, 50min)
• Raymond Bernard 1891-1977 de Roger Ikhlef (1973, 1ère partie : Le Fils de Tristan, 52min – 2ème partie : Un grand cinéaste français, 53min)
• Milos Forman : What Doesn’t Kill You… de Miloslav Smidmajer (Milos Forman : Co te nezabije..., 2009, 1h40)
• Bandes originales Maurice Jarre de Pascal Cuenot (2008, 52min).


 

 

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