Venise printemps 1866. Les derniers jours de l'occupation autrichienne. Au théâtre de la Fenice, à la fin du troisième acte du trouvère de Verdi, une manifestation anti-autrichienne éclate. L'un des organisateurs, le comte Roberto Ussoni, défie en duel un lieutenant autrichien, Franz Mahler, qui a prononcé des paroles insultantes pour les Italiens. La comtesse Livia Serpieri, cousine d'Ussoni et qui partage en principe son idéal patriotique, prie le lieutenant Malher, présent dans sa loge, de ne pas relever le défi. En fait, Ussoni a été dénoncé : il est arrêté à sa sortie du théâtre.
Livia tombe follement amoureuse du lieutenant autrichien Franz Mahler, oubliant toutes ses convictions. Mais Mahler la quitte. Elle le poursuit, le retrouve en pleine bataille et l'aide à se faire réformer, en fait, à déserter. Mahler, qui ne l'a vraiment jamais aimée la repousse à nouveau. Désespérée, elle le dénonce au commandant autrichien. Arrêté, il est jugé et condamné à mort. Livia va tout tenter pour sauver son amant, mais en vain. Mahler refuse de présenter un recours en grâce et est fusillé. Livia, sous le choc, perd apparemment la raison.
Le bref récit de Camillo Boito (1883) a fourni à Visconti la matière d'un de ses plus grands films. Senso montre l'enlisement de deux personnages dans leur amour, qualifié par eux-mêmes de triste et de honteux et qui aboutira à leur réciproque destruction. Ils sont l'un à l'autre leur prison et leur bourreau. Toute leur aventure se déroule à côté de l'histoire, à laquelle leur veulerie et leur passivité les empêchent de participer. Ils sont les représentants impuissants mais lucides d'un monde en train de disparaître. Le positif est mort en eux et c'est pourquoi il est difficile de parler à leur propos de mélodrame ou d'opéra. Si l'Opéra est la référence esthétique de la révolution à venir, leur marche sur les canaux les conduit à un requiem dont le lyrisme glacé et funèbre ne permet pas d'éprouver à leur endroit al moindre pitié. Visconti pose sur ses personnages un regard froid et détaché, les décrit dans de longues scènes non dynamiques où les plans généraux abondent et mettent entre eux e le spectateur le recul maximum qu'autorise la mise en scène
La production et la censure pesèrent ensemble pour arracher au film tout le côté négatif que Visconti souhaitait y mettre. Il lui fit interdit par ailleurs d'appeler le film Custoza du nom de la célèbre défaite italienne à laquelle participe Ussoni, du point de vue de Fabrice cependant"
Jacques Lourcelles: dictionnaire du cinéma