Le roi Charles V et III font VIII et VIII font XVI règne sur le royaume de Takicardie. C'est un petit homme tyrannique complexé parce qu'il louche et qui dispose de la vie de ses sujets comme bon lui semble. Il est respecté parce qu'il est craint et cette crainte est instaurée par le régime dictatorial qui régente le " bon fonctionnement " du royaume.
La vie du petit dictateur serait paisible si elle n'était pas perturbée par l'Oiseau, qui niche au sommet du palais, qui se moque ouvertement de son handicap. De plus, ce dernier semble être de seul à avoir suffisamment de courage pour dénoncer les pratiques de l'homme d'Etat.
Une nuit, alors que le monarque dort, sa représentation picturale (qui elle ne louche pas) prend vie et déclare sa flamme à une jeune bergère, elle aussi peinte. Mais la jeune enfant est amoureuse d'un ramoneur qui, ensemble, réussissent à fuir le tyran peint en quittant les " appartements secrets de sa majesté ". La fuite réveille le vrai roi qui se retrouve face à son effigie animée que cette dernière tue sans l'once d'un regret.
Arrivés sur le toit, les amoureux assistent pour la première fois au lever du jour puis font aussitôt connaissance avec l'Oiseau qui les met en garde contre " les pièges à oiseaux, les pièges à enfants, les pièges à... (jamais il ne finit sa phrase). Les enfants sont pourtant poursuivis par la police du roi et leur course-poursuite les mènent à quitter (avec l'aide de leur précieux ami l'Oiseau) la ville haute pour la ville basse. Ils s'y font capturer et sont séparés, la bergère acceptant d'épouser le roi pour sauver la vie du ramoneur condamné à la fosse aux lions. Il est finalement envoyé, avec l'Oiseau, aux ateliers du roi, pour travailler sur les nombreuses effigies du souverain.
Alors que le roi prépare son mariage (du moins son personnel tandis que lui " parade " dans l'enceinte du palais), le ramoneur saccage de colère les effigies, ce qui lui vaut, toujours avec l'Oiseau, d'être envoyé en prison, dans la fameuse fosse aux lions. Mais l'Oiseau, bel orateur " polyglotte, monoglotte ", accompagné d'un musicien aveugle, retient l'attention des lions qui finalement s'insurgent. Ils quittent la prison, avec la ferme intention d'empêcher le mariage et de détrôner le roi. Dans leur élan, ils entraînent la population opprimée de la ville basse. Le roi se sentant menacé, se sert de son grand automate pour fuir mais l'Oiseau s'empare des commandes et détruit le royaume entier. Enfin, le grand automate, de sa propre initiative, capture le roi qui tentait d'assassiner le ramoneur. Avec un puissant souffle il l'envoie au fin fond de l'univers et dans un dernier soubresaut détruit une cage, dernier symbole du régime dictatorial.
Avec Le roi et l'oiseau, Grimault accomplit l'oeuvre de toute une vie faite de patience, de passion et de volonté.
Le parcours créatif ne fût pas sans encombre: sans l'acharnement d'un homme consacré à son rêve, le film n'aurait certainement pas existé ou du moins pas dans la forme que cet homme voulait.
Commencé en 1945, soit juste après la guerre, Grimault est dépossédé de ses droits au motif de "perfectionnisme excessif". En réalité, l'entreprise s'avérait ruineuse pour la maison de production qui préféra alors arrêter le processus de création. Néanmoins, sortira en 1952 La bergère et le ramoneur, film de 63 minutes et ce, malgré le désaccord de Grimault qui tenta d'empêcher la sortie en salle du film.
Ce n'est qu'en 1977 qu'il rachète les droits de son film qu'il peut alors enfin terminer. La difficulté en reprenant un travail laissé en chantier plus de 20 ans auparavant, était notamment de retrouver l'état d'esprit de l'époque , la qualité graphique, la subtilité et la puissance du propos. D'autant plus qu'il ne s'agissait pas de rajouter à la suite de La bergère et le ramoneur 20 minutes de film mais d'insérer d'autres scènes, entre celles déjà existantes, pour étoffer l'histoire et la rendre plus riche en sens.
En procédant de cette manière, il a fallu tenir compte des raccords non seulement de mouvements mais aussi de couleurs où l'impératif était de retrouver les nuances utilisées en 1945. Il était indispensable de créer une homogénéité entre l'ancien et le nouveau travail. Pour cela, Grimault fit appel aux collaborateurs de la première heure et si certains répondirent présents, d'autres étaient morts ou se sentaient incapables, parce que trop vieux,de reprendre un tel engagement. De tels risques n'auraient pu être surpassés sans la foi inébranlable de son réalisateur en son projet, sans l'investissement de toute une équipe et sans une harmonie entre les différents collaborateurs. Il s'agit réellement ici d'un travail " artisanal " réalisé par de jeunes talents de l'animation, épaulés par les doyens du genre en France (à l'époque).
Outre ce challenge technique qui contribue, il est vrai, pour beaucoup à la légende du film, n'omettons pas cependant de parler du propos lui-même qui, à lui seul, suscite l'étonnement de par son audace voire sa virulence. Il est évident que Le roi et l'oiseau est un film qui dénonce toute forme d'oppression, qu'elle soit physique, psychologique ou de parole; et Prévert, qui est à l'origine du scénario (avec le concours bien sûr de Grimault) s'en donne à coeur joie. La vraie force du film ne vient pas du talent de Grimault ou de celui de Prévert, mais bien de la rencontre des deux, s'harmonisant l'un par rapport à l'autre, le trait de Grimault adoucissant la verve de Prévert, la parole de ce dernier rendant incisif le coup de crayon du premier. Cette alchimie crée une impression de subtilité tant dans la forme que dans le fond où l'ironie, le cynisme sont maniés avec une certaine maîtrise. C'est ainsi que le film nous dépeint métaphoriquement un dictateur bête et méchant (métaphore dans la mesure où chaque dictateur, le vrai et sa représentation, est affublé d'un trait de caractère unique), avide de pouvoir.
Est-ce là une façon pour Grimault et Prévert d'affirmer que la motivation d'un dictateur est poussée soit par la bêtise soit par la méchanceté, mais toujours par la soif de pouvoir? Est-ce une mise en garde déguisée? Doit-on y voir le reflet d'une époque?
On peut penser en effet que le film reflète l'état d'esprit d'une époque car sa conception débuta au lendemain de la Seconde guerre mondiale pour se terminer à la fin des années 70. Il s'agit de la période historique de la Guerre Froide et de la crainte du bloc russe; la menace communiste ainsi que du douloureux souvenir des affrontements. Probablement donc que le propos du film parle de manière plus ou moins implicite de cette période trouble: implicite car jamais le film ne nomme une quelconque dictature, que ce soit celle d'Hitler ou une autre, explicite car l'Oiseau désigne le roi comme étant un vilain " coco " (communiste). Dans tous les cas, le film se fait le porte parole de la liberté et tente de montrer à quelle point celle-ci est précieuse mais fragile. La métaphore par excellence est certainement celle de l'oisillon pris au piège dans une cage. A chaque fois, il est tenté et à chaque fois, il se fait prendre au piège (trop gourmand; ne pouvant résister à manger les grains de raisins). Le fait que malgré la connaissance, l'oisillon réitère son erreur renvoie-t-il à la condition humaine et à ses multiples erreurs qu'elle répéta au fil de l'histoire? Doit-on y voir le "péché d'orgueil", "l'hybris" de l'homme de croire que sa vision unilatérale est la bonne?
Toujours est-il qu'ici, la tentation mène à l'enfermement
et le seul moyen d'éviter cet enfermement est de détruire les
moyens qui y conduisent. C'est ainsi que le robot, dans la position du penseur
de Rodin, détruit la fameuse cage. En poussant l'analyse plus loin,
nous pourrions dire que cette cage symbolise la petitesse d'esprit, une vision
obtuse personnifiée par le roi. Le film donc fonctionne sur des parallèles
internes mais aussi sur des échos de l'actualité ou du souvenir
populaire.
Dans tous les cas, Le roi et l'oiseau est le film français par excellence
et le seul qui, à l'époque, a suscité un tel engouement
public. La critique était elle aussi au rendez-vous et, ensemble, ils
ont salué la poésie qui transpire de cette oeuvre malgré
son sujet. Grimault réussit son pari technique de reprendre une oeuvre
délaissée en friche 20 ans auparavant et de l'actualiser pour
en faire un petit bijou de l'animation. Fait plus étonnant, c'est en
souvenir de ce film que Miyazaki (ainsi que d'autres animateurs japonais)
envisage ses propres oeuvres. Grimault offrit à l'animation française
la possibilité de se faire connaître, et, face au géant
Disney, des artistes comme Ocelot (Kirikou et la sorcière), Chomet
(Les triplettes de Belleville) pour ne citer qu'eux, réalisent des
films dans la mouvance du Roi et l'oiseau qui est devenu, avec le temps, la
référence et l'exemple à suivre.
Sylvain Raynard le 07/07/2005