Une jeune femme brune entonne une chanson yé-yé. Dans le dortoir d'un foyer d'ouvrières, Andula chuchote des confidences amoureuses à une compagne de chambre. Elle raconte sa rencontre avec un garde-forestier dans une forêt enneigée. Peut-être serait-elle, la prochaine fois, sensible à son allusion aux chevreuils, en couple seulement au moment du rut et pas tenus à la fidélité à vie comme les oies sauvages.
Non loin de Prague, la petite ville de Zruc compte ainsi deux mille ouvrières qui travaillent à l'usine de chaussures. Mais il n'y a là qu'une centaine d'hommes et les ouvrières s'ennuient ce qui nuit à leur moral et à leur productivité. Le responsable du personnel, très paternaliste, obtient de l'armée l'implantation d'un cantonnement militaire à proximité, afin d'organiser des bals, et de faire ainsi se rencontrer de jeunes couples. A l'arrivée du train c'est la déception : les soldats sont tous des hommes d'âge mûr, mariés pour la plupart.
Un soir de bal, Andula et ses deux amies, Jana et Marie, sont draguées sans finesse par trois soldats d'âge mûr. Mais Andula remarque le pianiste de l'orchestre, et l'intérêt est réciproque. Ils passent la nuit ensemble, et Milda fait de vagues promesses à Andula.
Après avoir rompu avec Tonda, son petit ami, la jeune femme décide de partir rejoindre son petit pianiste à Prague. Elle arrive chez lui tard dans la soirée, et se voit accueillie par les parents de Milda. Celui-ci est de sortie, il joue en ville dans un orchestre de danse et prolonge la nuit avec sa dernière conquête.
La mère assomme Andula de réprimandes mais accepte néanmoins de la loger. Milda rentre au petit jour, tout surpris de trouver Andula endormie dans son lit. Malgré de nouvelles promesses, Andula comprend qu'elle n'a été pour lui qu'une passade d'un soir et retourne à Zruc.
Andula confie à son amie combien elle est heureuse, et que dorénavant elle ira à Prague tous les week-ends - et peut-être se convainc-t-elle de son propre mensonge ?
Les amours d'une blonde est un exemple parfait des aspirations artistiques de nouvelle vague tchèque (la Nova Vlna). Court, simple, ancré dans le réel, souvent léger, le film se veut générationnel, photographie pertinente d'une jeunesse tchécoslovaque caractérisée par le désuvrement et l'inquiétude, loin des valeurs positives prônées par le réalisme soviétique. A mi-chemin entre l'imaginaire romanesque de la Nouvelle Vague française et la volonté documentaire du free cinéma anglais, Les amours d'une blonde fait preuve d'un soucis plastique constant.
Le film est constitué de onze blocs de séquences (Les confidences, la négociation avec les militaires, l'arrivée du train, le bal, les pourparlers d'après bal, la nuit d'amour, la semaine de travail, le bal de Prague, l'attente chez les parents, l'arrivée de Milda, le retour à Zruc) avec pour centre le bal et la nuit d'amour.
La musique et la danse, très présentes, participent intimement à cette quête du naturel. Forman affectionne tout particulièrement les orchestres et les bals populaires. Le bal, c'est le moment privilégié où, sous l'effet de la musique et de l'alcool, les gens cessent de se surveiller, oublient leurs inhibitions et révèlent désirs et frustrations. C'est aussi un formidable terrain d'observation, un concentré de comédie humaine et sociale. Il y a une scène de bal dans chacun des films tchèques de Forman. Dans Au feu, les pompiers, elle s'étendra aux dimensions du film entier.
La cruauté de la séquence du bal atteint son apogée avec le militaire obligé de passer sous la table pour récupérer l'alliance qu'il avait tenté de dissimuler. Regardé de haut par les trois jeunes filles qu'il a humilié en leur retirant la bouteille de vin commandée pour leurs voisines, il se redressera maladroitement non sans avoir reçu un verre de bière sur sur sa veste. Les jeunes filles pourront sourire. Un bref moment pourtant. L'une d'elles s'en va en pleurant. Ramenée par le chef du personnel qui n'est pas loin de la prostituer en appelant pour la rencontrer le militaire délaissé par Andula à la fin du bal. Le réalisme de la scène, obtenu en partie grâce au filmage à deux caméras, n'empêche ainsi pas une rigoureuse construction scénaristique, très cruelle.
Très belle séquence de la nuit d'amour entre Andula et Milda. Après Andula, saisie nue de dos en premier plan, la séquence avec le store récalcitrant permet aussi un très beau nu masculin de dos. Le point d'orgue est la séquence du plan long de Milda sur le sexe de Andula lui parlant de sa singulière et anguleuse beauté :" Il y a des femmes qui sont rondes comme des guitares. Toi aussi tu es comme une guitare, mais une guitare de Picasso"
Critique discrète du plan quinquennal, objectif du directeur de l'usine qui ne laisse partir ses ouvrières qu'une fois dûment mariées et du fétichisme de la carte dont feraient preuve les militaires. Argument du chef du personnel :"S'il n'y a pas de guerre avant cinquante ou cent ans ne seront-ils pas responsables de tout cet amour perdu ?
La fin, désenchantée, a parfois été interprétée comme une préfiguration de la répression qui frappera le printemps de Prague.
Jean-Luc Lacuve, le 09/02/2010 pour le Ciné-club du jeudi